Emmanuel Macron, une hyperprésidence syndrome d’une « perte de créativité politique »

Emmanuel Macron photographié à Reykjavik en Islande le 16 mai (illustration)
Emmanuel Macron photographié à Reykjavik en Islande le 16 mai (illustration)

POLITIQUE - Silence radio pendant trois mois. Alors que la Première ministre Élisabeth Borne était en première ligne dans le conflit des retraites, Emmanuel Macron était critiqué pour son mutisme. Accusé de se claquemurer dans l’enceinte de l’Élysée et d’ignorer les appels des syndicats, le chef de l’État était perçu comme en retrait, loin des préoccupations du pays, pourtant marqué par des mobilisations d’une ampleur inédite.

Or, depuis l’adoption de ce projet controversé, c’est tout l’inverse. Emmanuel Macron se démultiplie, et investit des thématiques aussi diverses qu’éloignées des prérogatives telles que décrites dans l’article 5 de la Constitution de la Ve République, selon lequel le Président de la République doit assurer « par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État ».

La fin de la « parole rare »

On a ainsi vu Emmanuel Macron annoncer « un plan eau » depuis les Hautes-Alpes, parler croissance verte dans le Bas-Rhin, évoquer une revalorisation salariale des profs dans l’Hérault, dévoiler la rétribution des stages prévue pour les lycéens en bac pro en Charente-Maritime, énumérer « 70 mesures fortes » sur le handicap, ou dessiner depuis Dunkerque sa stratégie de réindustrialisation. Le tout, entrecoupé d’interviews déclinées sous tous les formats : radio, télévision et presse écrite.

Ce lundi 15 mai, il était encore dans le poste pour promettre (sans détailler le dispositif) une baisse d’impôts au bénéfice des classes moyennes actives. De quoi faire sourire lorsqu’on se souvient que ce même Emmanuel Macron avait entamé son premier mandat avec la volonté de respecter la règle de la « parole rare », pour mieux se distinguer de la présidence bavarde de son prédécesseur. Un changement de costume qui commence à se voir.

En France, où Le Monde exhume avec gourmandise un article signé par ses soins dans la revue Esprit en 2011 et dans lequel il fustigeait cette tendance à laquelle se prête la Ve République, déjà observée du temps de Nicolas Sarkozy. « La présidentialisation pousse à ce modus operandi qui n’est plus adapté aux contraintes de l’action publique », écrivait-il, estimant que la politique ne pouvait « plus avoir un locuteur unique ».

Et à l’étranger où, dès la fin du mois de mars, le Financial Times pointait par exemple les affres « d’une présidence toute-puissante, la plus proche dans le monde développé d’un dictateur élu ». Si l’intention derrière cette reprise en main de l’agenda politico-médiatique paraît limpide — la volonté de tourner rapidement la page de la réforme des retraites — cette hyperprésidence ne manque pas d’interroger sur les marges de manœuvre dont dispose Emmanuel Macron pour sortir de la crise. Une crise qui a pris ces derniers temps un tournant violent, puisqu’elle a physiquement touché un membre lointain de sa famille et un maire de la République, entre autres actes.

Stratégie « cafouilleuse »

Face à cette situation inflammable, Emmanuel Macron mise sur le terrain et l’omniprésence pour conjurer le sort. « Le problème de cette stratégie, c’est qu’elle est cafouilleuse. On ne retient plus rien de ce qu’il dit. À la limite, ça pourrait fonctionner s’il faisait un mea culpa ou preuve d’empathie. Mais ce n’est pas ce qu’il fait : peu importe ce que pensent les gens, il veut montrer qu’il avance et qu’il a raison. Soit précisément ce qui irrite les Français. Ce qui renforce le procès en arrogance, voire en brutalité », observe pour Le HuffPost Mathieu Souquière, essayiste à la Fondation Jean Jaurès, citant le dernier baromètre Odoxa selon lequel 65 % des Français trouvent que le qualificatif « brutal » colle bien au chef de l’État. Un chiffre en progression de 16 points en un mois.

« L’omniprésence, c’est bien quand on a un message à faire passer et qu’on veut le marteler. C’est un moyen, pas une solution. Or, là, non seulement ça part dans tous les sens, mais ça montre qu’il a perdu sa créativité politique », poursuit notre interlocuteur, qui oppose cette stratégie à la capacité de rebond dont avait fait preuve Emmanuel Macron lors de la crise des gilets jaunes, « durant laquelle il avait su prendre une initiative d’ampleur ». Ce qui pourrait avoir de sérieuses conséquences pour le chef de l’État qui, en multipliant les initiatives et les prises de parole sur des sujets divers, « prend le risque de ne plus imprimer » dans l’opinion. Ce qui n’est pas idéal dans la pente glissante sur laquelle il se trouve. Et il lui reste quatre ans de mandat.

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