Conflit israélo-palestinien : Comment l’attaque du Hamas a envenimé une vieille fracture française

Alors que l’attention se focalise sur Gaza et la riposte israélienne à l’attaque du Hamas, certains craignent une « exacerbation des tensions » dans le pays. Ont-elles toujours existé ?

La guerre Israël-Hamas nourrit l’impossible « union nationale » sur le conflit israélo-palestinien.
Tuomas A. Lehtinen / Getty Images La guerre Israël-Hamas nourrit l’impossible « union nationale » sur le conflit israélo-palestinien.

POLITIQUE - Près de 400 000 morts, dont a minima 11 000 enfants depuis 2015. Pourtant, aucune manifestation d’envergure, ni de controverses politiques majeures ou de disputes familiales. La guerre au Yémen, véritable catastrophe humanitaire, passe sous les radars de la société française. Soit l’exact inverse du tout aussi dramatique conflit israélo-palestinien, réveillé par l’attaque terroriste commise par le Hamas le 7 octobre.

Une opération sanglante qui a immédiatement déclenché d’intenses débats et sur laquelle la classe politique française s’est fracturée. Illustration avec la position alambiquée de la France insoumise qui a provoqué un tollé, et qui vaut à Jean-Luc Mélenchon et à ses proches des procès médiatiques en antisémitisme. Illustration aussi avec le voyage en Israël de la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet qui, accompagnée des « faucons » Éric Ciotti et Meyer Habib, a aussi provoqué une forme de malaise dans la Macronie.

Ce jeudi 26 octobre, ce sont les mots du préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, qui ont remis une pièce dans la machine. En annonçant qu’il interdirait la manifestation prévue samedi dans Paris « en soutien avec le peuple palestinien », l’ancien secrétaire d’État a justifié sa décision par un « critère moral », bien éloigné des principes de l’État de droit, lesquels ont été rappelés au gouvernement par le Conseil d’État la semaine dernière. Preuve du caractère éruptif, voire parfois irrationnel, de l’appréciation française du conflit israélo-palestinien.

Bascule après la guerre des Six jours

Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. En audition à l’Assemblée nationale mardi 24 octobre, Marc Hecker, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et auteur de l’ouvrage Intifada française ? De l’importation du conflit israélo-palestinien (éd. Ellipses, 2012) a rappelé que la société n’a pas tout le temps été divisée sur le sujet.

« Avant la guerre des Six Jours (1967), il y avait une vraie crainte dans l’opinion publique de voir Israël disparaître, à peine deux décennies après la Shoah », explique le spécialiste, rappelant « la mobilisation de grande ampleur qui dépassait très largement la communauté juive », notamment un concert de soutien à Israël en juin 1967 à Paris qui avait réuni « entre 30 000 et 50 000 personnes » et auquel avait participé Johnny Hallyday. Or, avec l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza intervenant après cette guerre, « les choses ont commencé à changer » dans l’opinion.

  

S’opère alors une forme de bascule dans la société française, avec l’émergence d’un sentiment pro palestinien alimenté à l’origine, selon Marc Hercker, par quatre « cercles » de militantisme : celui des « réseaux de solidarités panarabes » (composés pour beaucoup de travailleurs immigrés), celui des gaullistes adeptes d’une politique pro-arabe, celui des « cathos de gauche » et celui de l’extrême gauche, laquelle « a appliqué la grille de lecture anti-impérialiste et anticolonialiste à ce conflit ».

« Le bien contre le mal »

Avec le temps, la cause palestinienne a muté en « symbole du combat contre l’injustice », explique au HuffPost David Khalfa, expert à la Fondation Jean-Jaurès. « Elle s’est déterritorialisée, avec une dimension binaire, presque cosmique, du bien contre le mal, déconnectée de la réalité du terrain », poursuit le spécialiste, rappelant que le drapeau palestinien était brandi lors des manifestations des gilets jaunes ou au sein des défilés antivax post-Covid. Une « universalisation » sensibilisant la gauche qui cohabite avec une « islamisation de la cause palestinienne », alimentée par ceux qui, du Hamas au Hezbollah en passant par les mouvements jihadistes, ont exporté cette grille de lecture véhiculant la haine d’Israël.

« À la gauche de la gauche, par stratégie ou idéologie, certains s’accommodent de cette coexistence. C’est ce qu’on a vu avec une partie de la France insoumise ou du NPA qui participent à des rassemblements où des slogans d’inspiration islamiste, du genre “Palestine libre de la mer au Jourdain” (impliquant donc la destruction de l’État d’Israël) sont scandés. Je me demande vraiment s’ils s’en rendent compte », poursuit David Khalfa.

Au-delà des prises de position qui peuvent s’exprimer, cette importation du conflit, que les pouvoirs successifs ont toujours souhaité éviter, s’exprime de façon plus violente. De la seconde intifida entre 2000 et 2005, à l’opération plomb durci entre 2008 et 2009, chaque flambée de violences au Proche Orient se traduit par une hausse des actes antisémites en France. Après l’attaque du 7 octobre 2023, plus de 4 000 signalements sur la plateforme Pharos et près de 600 actes sont recensés par le ministère de l’Intérieur. Un triste record en si peu de temps.

Auprès du HuffPost ce jeudi, une ministre veut croire que la situation va s’apaiser : « J’ai l’impression que la société française tient. Qu’il n’y a pas encore une fracture béante comme on pouvait la craindre ». Devant les députés, Marc Hecker n’était pas (du tout) de cet avis, dans la mesure où l’offensive terrestre promise par Tsahal va inéluctablement nourrir son flot d’images et d’indignation : « Je crains qu’on ne soit aujourd’hui qu’au début de la phase ouverte par l’attaque du Hamas le 7 octobre, et qu’il faille s’attendre à une exacerbation des tensions dans notre pays ».

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