Boxe: Shakur Stevenson, un combat pour marquer l’histoire (mais pas facile à monter car on l’évite)

Il n’est pas encore la superstar lucrative que son potentiel laisse imaginer. Pas encore à l’affiche d’un pay-per-view (paiement à la séance) malgré de belles audiences télé. Mais il peut déjà marquer l’histoire. Opposé ce jeudi soir à Las Vegas au Dominicain Edwin De Los Santos (16-1, 14 KO; 24 ans) pour la ceinture vacante WBC des poids légers, la pépite Shakur Stevenson (20-0, 10 KO; 26 ans) va devenir champion du monde dans une troisième catégorie à 26 ans en cas de victoire dans un combat pour lequel il se présente en grand favori. Déjà sacré chez les plumes (WBO) et chez les super-plumes (WBC-WBO-The Ring), l’Américain qui tient son prénom du rappeur 2Pac décédé quelques mois avant sa naissance rentrerait alors dans un cercle très fermé.

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En argent aux Jeux de Rio en 2016, Shakur Stevenson deviendrait le septième boxeur sacré dans au moins trois catégories chez les pros après avoir gagné une médaille olympique. Les six premiers? Sugar Ray Leonard, Pernell Whitaker, Roy Jones Jr, Oscar De La Hoya, Floyd Mayweather et Vasiliy Lomachenko. Des légendes toutes au Hall Of Fame de la discipline à part le dernier, qui y rentrera sans souci quand il sera éligible après sa carrière.

Il peut aussi devenir le septième boxeur sacré chez plumes, super-plumes et légers, et surtout le plus jeune à le faire (Alexis Argüello, Manny Pacquia, Mikey Garcia et Jorge Linares à 29 ans, Lomachenko à 30, Juan Manuel Marquez à 35). De quoi mettre un point d’exclamation à son arrivée chez les légers, catégorie où il monte dans le ring pour la deuxième fois seulement après le TKO infligé au Japonais Shuichiro Yoshino en avril dernier.

Stevenson est un des boxeurs les plus "évités" de la planète

Maître de la défense, jusqu’à être le boxeur qui concède le pourcentage de coups puissants le plus bas selon CompuBox, celui qui a débuté le noble art à cinq ans sous l’égide de son grand-père Wali Moses (toujours son entraîneur) possède les armes nécessaires pour passer l’obstacle De Los Santos, combattant qui dispute son premier championnat du monde et possède selon lui "de la puissance, de la technique, de l’intelligence" et qui "ne donne pas un coup pour rien" mais "fait des erreurs". Un combat que Stevenson aura eu du mal à monter. Numéro 1 du classement WBC et challenger obligatoire pour cette ceinture, l’Américain aurait dû affronter son compatriote Devin Haney – avec qui il a déjà sparré dans le passé – après la victoire de ce dernier sur Lomachenko pour défendre son titre unifié et incontesté des légers. Il a poussé fort pour ça.

Le choc était très attendu par les amoureux de la discipline. Mais Haney a préféré monter chez les super-légers, ce qui était attendu depuis quelques temps, pour défier Regis Prograis pour le titre WBC de la catégorie. La couronne des légers devenue vacante avec ce choix, la WBC a tenté de mettre Stevenson face Frank Martin, numéro 2 du classement. Qui a d’abord accepté avant de refuser au moment de signer le contrat, prétextant une somme d’argent proposée insuffisante… alors qu’il allait toucher un chèque à sept chiffres, le plus gros de sa carrière, et disputer son premier championnat du monde. "Il a eu peur, estime Stevenson pour ESPN. Ce combat l’a rendu nerveux. Il a parlé pour se mettre en situation de voir ce combat arriver. Mais quand ça s’est réalisé, il a compris qu’il fallait se retirer. Son excuse de l’argent, c’est du mensonge. Il allait gagner quatre fois plus que durant toute ta carrière. Si j’étais dans ce cas, jamais je ne refuserais."

Troisième du classement WBC, Lomachenko a ensuite reçu la proposition. Refusée aussi. Idem pour le quatrième, Isaac "Pitbull" Cruz, qui ne voulait pas risquer une défaite alors qu’il espère une revanche contre la star Gervonta "Tank" Davis en 2024. William Zepeda, le suivant sur la liste, a également décliné car il avait déjà un combat prévu contre Mercito Gesta le 16 septembre (victoire par KO). La WBC a donc fini par tomber sur De Los Santos, sixième de son classement, qui n’a lui pas hésité à sauter sur l’occasion. "On dit que Shakur est l’épouvantail de la catégorie mais je vais prouver que c’est moi", annonce le Dominicain. Une situation qui symbolise une réalité: Stevenson est un des boxeurs les plus "évités" de la planète, à l’image de Bernard Hopkins ou Gennadiy Golovkin à d’autres périodes. Question de risques-bénéfices.

Avec ses qualités, le garçon spécialiste de faire payer l’adversaire après lui avoir fait rater sa cible peut battre tout le monde entre les cordes. Mais il ne possède pas tous les titres d’une catégorie pour le rendre incontournable à ce poids et n’est pas encore une star des pay-per-views qui peut rapporter très, très gros au coin opposé. "Quand il deviendra, le revenu généré fait que les autres vont prendre leur chance car c’est du sport professionnel l’argent fait une grosse différence, explique Dmitry Salita, ancien boxeur pro devenu promoteur (il s’occupe notamment de Claressa Shields, championne incontestée des moyens, qui est un peu dans une situation similaire chez les femmes). C’est ça le challenge. Ceux qui l’affrontent font pas mal d’argent mais pas au point de changer leur vie alors qu’ils savent qu’ils montent dans le ring contre un combattant supérieur et que ça pourrait donner une défaite."

Tenté d'aller voir ailleurs?

Pas l’idéal pour attirer. Surtout quand les possibles rivaux vous ont déjà vu à l’œuvre de près. Haney, Lomachenko, Davis (les deux se cherchent depuis longtemps), Zepeda, ils ont déjà tous sparré avec Stevenson à l’entraînement. Et selon l’intéressé, ils ont retenu la leçon. "Quand tu sparres avec quelqu’un, tu peux voir combien il est bon dans le ring. C’est ce qui fait la différence. Ça a beaucoup à voir avec mon intelligence de combat. Je suis bien meilleur que ce qu’ils pensaient avant de se retrouver face à moi. Je les ai choqués, surpris." On imaginait déjà son prochain combat contre Emanuel Navarrete, le très actif champion WBO des super-plumes qui remet son titre en jeu contre le Brésilien Robson Conceição dans le co-main event de cette soirée Stevenson-De Los Santos et qui monterait pour le défier. Mais la signature récente de l’Américain O’Shaquie Foster, champion WBC des super-plumes, chez leur promoteur Top Rank donne un nom qui fait encore plus de sens pour le Mexicain pour un combat d’unification.

Pas grave. Stevenson vise autre chose. "Navarrete est quelqu’un qu’on m’envoie pour nous distraire du fait que Lomachenko ne m’affronte pas. J’adorerais affronter Navarrete mais je pense que Lomachenko ne devrait affronter personne d’autre que moi. Mon prochain combat devrait être contre lui. On est chez le même promoteur, c’est un gros combat, qui devrait être en PPV." Alors qu’il lui reste un seul combat sur son contrat avec Top Rank après De Los Santos, ce qui fera de lui un agent libre s’il ne signe pas de prolongation, la pépite américaine pourrait être tentée d’aller voir ailleurs pour obtenir les chocs qu’il désire.

Mais il explique que la guéguerre des promoteurs n’est pas forcément le frein le plus puissant à lui trouver des gros combats… qu’il n’arrive même pas à avoir en interne, à l’image d’un Lomachenko lui aussi chez Top Rank et qu’il rêve d’affronter mais qui serait aujourd’hui en pourparlers avec l’ancien champion incontesté des légers George Kambosos Jr pour un combat en Australie au printemps. "Lomachenko est du même côté de la rue que moi. Et Haney ne m’affronte pas alors qu’il a déjà travaillé avec Top Rank. Donc je pense que ça n’a rien à voir avec ça." La solution se trouve sans doute dans un mot: attendre. "Je suis frustré, oui, mais je dois baisser la tête et rester patient, lance-t-il. Je sais que ces combats vont finir par arriver. (…) Quand tu deviens une superstar en pay-per-view, c’est là que tout le monde s’aligne pour être sur la grande scène et toucher une partie de l’argent des PPV. C’est ce qui va faire que les gens accepteront de m’affronter." A 26 ans, Shakur Stevenson a tout le temps devant lui pour atteindre ses buts.

Article original publié sur RMC Sport