Boxe: "Ça peut aller très vite", Souleymane Cissokho reprend sa marche vers une ceinture mondiale

Souleymane Cissokho, vous remettez en jeu votre ceinture WBC Silver des welters ce samedi soir à Monaco contre le Mexicain Isaias Lucero. Près d’un an après votre dernier combat, remonter sur le ring vous démange-t-il?

Exactement. Ça démange un peu, c’était long. Mais j’ai appris beaucoup de choses durant ces mois d’absence du ring donc hâte d’être à samedi.

Vous deviez combattre en juillet dernier à Detroit contre Janelson Figueroa Bocachica mais vous aviez dû déclarer forfait en raison d’une blessure au cou. Pouvez-vous nous raconter ce qui s’était passé et est-ce que tout va mieux à ce niveau?

J’ai eu une blessure au niveau cervical, des petites hernies. C’était chiant, c’était long, ça faisait très mal, mais aujourd’hui ça va beaucoup mieux. On a essayé de gérer ça au mieux. J’ai été très bien entouré. J’ai un staff de malade autour de moi et ils se sont très bien occupés de moi.

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Votre adversaire, Isaias Lucero, est classé 30e mondial chez les super-welters par le site Boxrec. Parfait pour un combat de reprise après onze mois sans combattre?

C’est un beau combat. Lorsqu’on regarde ses vidéos, au début, on se dit que ça va. Mais quand on regarde plus en profondeur, on se dit que c’est un boxeur qui est quand même très intelligent. Il place très bien son bras arrière, il n’avance pas n’importe comment, il met une pression. Sur la majorité de ses combats, il est très, très bien physiquement. Il ne faudra pas être surconfiant. Il faudra bien gérer les premiers rounds et derrière délier ma boxe tranquillement. C’est un bon boxeur qui n’est pas venu pour faire de la figuration. Et c’est la chance de sa vie. C’est la ceinture WBC Silver, celle juste avant le championnat du monde, donc il va donner sa vie. Et c’est un boxeur qui a été prévenu trois mois avant, ce qui veut dire trois mois de préparation, donc un boxeur prêt.

On semble arriver dans un moment charnière de votre carrière: vous êtes numéro 3 du classement WBC et le boxeur qui détient les quatre ceintures des welters, Terence Crawford, va monter de catégorie et les abandonner. Avez-vous le sentiment que la chance mondiale n’est plus très loin?

Bien sûr. A partir du moment où on a la ceinture WBC Silver, on se rapproche du championnat du monde pas à pas. Là, ça s’accélère. On est vraiment dans le dernier carré. Il faut que je prenne ce combat comme un championnat du monde. En fait, là, tous les combats que je vais disputer sont des championnats du monde. On a eu un exemple avec Nordine Oubaali, qui a gagné la ceinture WBC Silver, l’a défendue une fois et derrière il a fait son championnat du monde. Ça peut aller très vite. Ça bouge beaucoup dans cette catégorie. On a déjà un champion intérimaire WBC, Mario Barrios, et on va voir ce qui va se passer ensuite. Pour le moment, je reste concentré sur mon combat. Ça fait longtemps que je n’ai pas été dans un ring donc il faut retrouver les sensations du ring, être impressionnant, et derrière on verra ce qu’il en est.

Vous faites partie de la Team Solide qui a fait vibrer les Français aux Jeux de Rio en 2016. Nous sommes fin 2023. Selon vous, c’est le bon timing pour arriver bientôt à une chance mondiale ou y a-t-il une frustration que cela n’arrive pas plus vite?

On est dans le bon timing. Je suis quelqu’un qui pense que tout arrive à temps. J’avais beaucoup à apprendre et j’apprends toujours beaucoup. Ce passage entre boxe olympique et boxe professionnelle a mis beaucoup plus de temps que prévu mais je suis dans la force de l’âge, je me sens bien, aguerri, j’ai pris l’expérience qu’il fallait. Avant, ça n’aurait peut-être pas été le bon moment. Je ne pense pas en tout cas. Maintenant, je sais de quoi je suis capable et je me sens prêt pour ces défis.

Quelle différence faites-vous entre le boxeur qui débutait chez les pros début 2017, après Rio, et celui d’aujourd’hui?

Déjà, je pensais que ça allait être beaucoup plus facile que ça. Lorsqu’on fait une médaille aux Jeux olympiques, on est sur le toit du monde. On se dit que le passage chez les pros va être beaucoup plus simple. Mais c’est tellement différent, c’est incroyable. La différence est énorme, on apprend tous les jours, on est sur des détails, des choses minimes mais qui font la différence. Comme on dit, c’est la somme des détails qui fait la différence au plus haut niveau. Et on est là-dessus. C’est là où je me dis que j’avais beaucoup à apprendre et que je continue de le faire. Je suis beaucoup plus réaliste dans mes choix, dans mes décisions. Je sais où je veux aller et quel chemin je dois prendre pour y arriver. C’est pour ça que je m’entoure d’une bonne équipe entre le promoteur, le manager, etc. Tout a un rôle. On ne peut pas juste être un bon boxeur et devenir champion du monde. Il y a énormément de choses qui se passent autour et il faut se renforcer autour de soi pour ça.

Votre promoteur britannique, Matchroom Boxing, est un des plus importants de la planète et un choix essentiel pour espérer monter au sommet. Après les JO, vous attendiez-vous à ce que les coulisses de la boxe pro aient une telle importance et soient si compliquées à gérer?

Je m’y attendais plus ou moins car je suis quelqu’un qui me renseigne beaucoup sur mon sport, qui parle beaucoup avec les anciens. Compliqué, oui et non car j’ai eu la chance d’avoir tout de suite plusieurs propositions quand je suis passé pro. J’ai tout de suite eu une bonne équipe autour de moi, j’ai été bien conseillé, etc. J’estime être assez bien loti pour un boxeur de cette Team Solide mais ça n’a pas été le cas pour tout le monde.

Vous êtes descendu des super-welters (-69,9 kg) aux welters (-66,7 kg). Vu la situation des deux catégories, on a l’impression que c’était un très bon choix de carrière pour arriver plus vite à une chance mondiale…

C’était un très bon choix, bien sûr. Depuis le début de ma carrière, quand j’ai été aux Etats-Unis, on m’a dit que c’était mieux de descendre chez les welters car je ne reprenais pas beaucoup de poids après la pesée. En super-welters, j’étais à max deux kilos en plus sur le ring. Ce n’était rien du tout. Mes adversaires étaient à +9. J’étais un petit super-welter. Là, c’est seulement ma deuxième descente en welters et je commence à m’habituer petit à petit. Je me sens bien dans cette catégorie, mieux que dans celle d’avant.

La perte de poids est forcément plus importante. Vous le vivez bien?

Je le vis bien, oui. Je m’y prends très tôt et ça se passe bien. Je ne vois pas vraiment de différence entre la perte de poids chez les super-welters et celle chez les welters.

Quand on regarde le classement WBC, dans l’idéal, prendre le Canadien Cody Crowley, numéro 1 actuellement, est ce qui ferait le plus de sens pour vous dans une idée de "title eliminator" où le gagnant rencontre ensuite Barrios pour le titre mondial une fois que Crawford sera monté?

C’est le scénario qui me plairait le plus, bien sûr, et c’est celui qu’on vise. Il faut le mettre sur pied et c’est vraiment l’objectif. Il faut savoir que Crowley est également bien placé à la WBO (deuxième, NDLR) et à l’IBF (troisième avec deux places vacantes devant, NDLR). D’autres opportunités peuvent donc s’offrir à lui. Tout peut donc aller encore plus vite car Crowley ne va pas forcément rester sur le chemin de la WBC. On va voir ce qui va se passer dans les prochains mois. J’en saurai beaucoup plus.

Mario Barrios est le nouveau champion intérimaire WBC et devrait être promu champion tout court une fois que Crawford montera de catégorie. On sait que Barrios est un ami à vous…

Ah oui. On est amis. Je me suis entraîné cinq ans avec lui, cinq ans de mises de gants avec lui, on se connaît très bien, on a beaucoup évolué ensemble. Il a changé de coach pour ses deux derniers combats mais c’est un très bon ami. Lorsqu’il était à Paris il n’y a pas longtemps, pour voir boxer Tony Yoka, on sortait ensemble. Mais pour une chance mondiale, on met ça de côté. On se refera la bise après le combat.

Si on vous offre Barrios pour une première chance mondiale, pas de souci donc? On y va?

On y va. On est des sportifs, des compétiteurs, et ça n’entravera en rien notre relation.

Comment s’est passé votre camp de préparation?

Très bien. Exceptionnellement, on l’a fait en Angleterre car un autre combattant de l’équipe, Joshua Buatsi, devait combattre là-bas mais malheureusement ça ne s’est pas fait. On a fait le camp à Portsmouth, dans un beau cadre, où on avait tout ce qu’il fallait, des bons sparring-partners qui m’ont bien aidé. Derrière, je suis rentré en France dix-douze jours avant le combat pour finir tout ça.

Un mot sur votre coach américain, l’illustre Virgil Hunter. Comment votre relation a-t-elle évolué au fil des années?

Au début, on avait une simple relation coach-boxeur, toujours bienveillante bien sûr. Là, ça va au-delà. Je fais mes camps avec lui, on est dans la même maison, on mange ensemble, on vit ensemble. C’est quelqu’un qui a beaucoup d’estime pour moi et inversement. On a une relation très fusionnelle.

Vous boxez ce week-end à Monaco. Vous avez toujours essayé de boxer en France dès que possible, comme il y a onze mois à Nantes. Cela vous tient à cœur de rendre au public français en lui permettant d’assister à vos combats?

Bien sûr. Enormément. J’étais en camp d’entraînement et j’étais un peu fatigué, car parfois c’est dur, il y a des hauts et des bas, on se pose parfois des questions, et lorsque j’ai appris que RMC Sport diffusait le combat, j’ai eu un boost incroyable. Lorsque mes combats sont sur DAZN, tout le monde n’a pas les moyens d’acheter les combats. Là, j’ai envoyé un message à tout le monde pour leur dire que ce serait sur RMC et tout le monde était content. Ça donne énormément de force car le public a besoin de me voir boxer. J’ai une bonne base de fans en France, là je vois les messages des gens contents de me voir de retour et ça fait très plaisir. Boxer à la maison est toujours un honneur pour moi.

Votre parcours et votre quête de titre mondial, c’est aussi un peu pour eux?

Bien sûr. C’est pour le public, le peuple, tout le monde. Beaucoup me disent que je suis le champion du peuple et c’est quelque chose qui me plaît. Je boxe bien sûr pour moi, je travaille dur et je fais beaucoup de sacrifices, mais c’est aussi pour rendre à ce public tout ce qu’il me donne au quotidien.

Les JO de Paris dans quelques mois vont forcément raviver des souvenirs chez vous. Estelle Mossely sera de retour pour tenter d’aller encore chercher l’or olympique comme à Rio. C’est une idée qui vous a titillé aussi après le bronze en 2016?

Ça m’a plus que titillé puisque j’étais parti pour faire les JO. Suite à ma blessure à la main et mon opération, je n’ai pu faire le tournoi de qualification interne donc la Fédération française a envoyé un autre boxeur, Makan Traoré, qui s’est qualifié au tournoi de qualification européen. C’est comme ça, c’est la boxe. J’ai déjà vécu les Jeux et je lui souhaite vraiment le meilleur car c’est un bon jeune qui mérite et qui peut même ramener une belle médaille. Je serai à fond derrière l’équipe de France, leur premier supporter, et je vivrai les Jeux dans tous les cas car je vais commenter.

C’était une énorme déception?

J’étais très déçu, oui, car ça me tenait vraiment à cœur de faire ces Jeux. Mais j’accepte les choses. C’est comme ça, on accepte et on va de l’avant. Je reste très positif. Je suis monté dans les classements donc on se concentre sur la boxe pro, où il y a aussi quelque chose à prendre.

Après onze mois sans combattre, dans quel timing aimeriez-vous avoir votre combat suivant dans l’idéal?

Là, il faut essayer d’enchaîner. On ne sait pas encore mais on essaie de viser deux-trois combats pour l’année prochaine.

Virgil Hunter a un autre élève français, Tony Yoka, qu’on a laissé sur deux défaites mais qui devrait remonter dans le ring le 9 décembre face à Ryad Merhy. Avez-vous des nouvelles? Comment va-t-il?

Tony va très bien. Il s’entraîne en Angleterre donc on a beaucoup échangé quand on y était ensemble. Il est très positif car il n’y a plus cette distance qu’il y avait entre la France et les Etats-Unis. Il peut rentrer chez lui voir ses enfants. Il prend beaucoup plus de plaisir à l’entraînement et il est déterminé pour son combat du 9 décembre. C’est tout ce qu’on a envie d’entendre. Il a hâte de revenir sur le ring et il n’est pas fini, au contraire. Il a encore de belles choses à prouver.

On est obligé de vous parler de l’incroyable performance de Francis Ngannou face à Tyson Fury. Avez-vous été plus impressionné par la prestation de Ngannou ou déçu par celle de Fury?

Il faut avant tout saluer la performance de Francis Ngannou. Ce qu’il a fait et produit est vraiment incroyable. C’est fou. C’est quelqu’un qui m’impressionne beaucoup. Après, ceux qui ne connaissent pas très bien la boxe disent qu’il a gagné largement. Moi, je vois un combat vraiment très serré. Si je suis objectif, je vois un match nul. Mais sa performance est tellement exceptionnelle que Francis mériterait la victoire. C’est dans ce sens-là. C’est le vainqueur moral. Fury n’a rien pu faire, il n’a pas pu boxer, pas pu délier sa boxe, il n’était pas là. En face, il y avait un très bon Francis qui a bien travaillé techniquement, qui bougeait. J’étais très impressionné. Honnêtement, je ne le pensais pas capable de tenir dix rounds. Il avait la bouche ouverte et je me disais que ce serait très compliqué mais il les a tenus. A la fin, il nous a même surpris en étant encore bien sur ses jambes. Chapeau. Il faut saluer toute son équipe, dont le Français John M’Bumba qui bosse avec lui. On l’entendait parler dans le coin. Il a fait un gros travail technique et tactique.

Vous qui charbonnez dans la boxe depuis des années, quand vous voyez Ngannou ou les frères Paul dans de gros événements qui leur rapportent beaucoup, êtes-vous content de la lumière qu’ils mettent sur votre sport ou vous dites-vous qu’ils ne le méritent pas vraiment?

Il y a de la place pour tout le monde. Ça apporte un public à la boxe et ça lui fait du bien. Francis Ngannou nous a montré sur le ring qu’il méritait d’être là. La preuve : il va être classé dans le top 10 mondial de la WBC, Eddie Hearn a appelé son équipe pour monter un combat face à Anthony Joshua, il mérite la place où il est aujourd’hui. Les frères Paul, je trouve qu’ils travaillent très bien. Mais certains Youtubeurs n’ont rien à faire sur un ring, il faut dire la vérité. Il y a des boxeurs qui s’entraînent deux fois par jour tous les jours et qui n’ont pas la chance d’avoir un peu de lumière vers eux. C’est compliqué. Mais c’est toujours un nouveau public qui vient à la boxe. Tant qu’on va attirer plus de monde, qu’on va avoir plus de galas, c’est là que la boxe va revenir plus haut et plus fort.

Certains disent le contraire mais quand on voit les gros combats depuis deux ans, les grands champions du monde, la boxe est loin d’être morte, vous êtes d’accord ?

Loin de là. La boxe n’est surtout pas morte. Ces dernières années, c’est là où on a eu le plus de champions unifiés, d’unifications de ceintures. On a de très bons boxeurs qui émergent aussi. La boxe est présente. Ça tient à cœur à tous les boxeurs d’avoir plusieurs ceintures donc ça monte encore le niveau. Le MMA fait du bruit, bien sûr, énormément de monde va voir ça. C’est un sport qui est top aussi, je respecte tous ces combattants, mais on comprend pourquoi ils veulent venir dans la boxe. (Il fait le signe de l’argent avec ses doigts dans un grand sourire.)

Pour finir, une prédiction pour samedi soir et ce combat contre Lucero?

C’est une surprise. Ce que je veux, c’est gagner avec la manière. Et derrière on verra ce qui va se passer sur le ring.

Article original publié sur RMC Sport