Bellator 296: Mansour Barnaoui, de l’ombre à la lumière

La punchline lui ressemble tellement. Quand on a demandé à Mansour Barnaoui ce qu’il ferait s’il remportait le million de dollars promis au vainqueur du tournoi des légers du Bellator, dans lequel il dispute son premier tour ce vendredi soir à l’Accor Arena de Paris face à Brent Primus, la réponse a fusé: "Je m’achèterai un skateboard!" Et quand on lui raconte les paroles de son adversaire américain, qui possède un très bon niveau au sol et explique qu’il paiera à Barnaoui "un filet mignon dans un bon restaurant" s’il arrive à l’étrangler (la spécialité de celui qui compte treize soumissions en vingt victoires), l’heure n’est pas à la légèreté ou à la rigolade: "Le MMA et le grappling sont deux sports différents".

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Bienvenue dans le monde de Mansour Barnaoui. Pudique, taiseux et homme de peu de mots. Mais qui parle fort avec ses actions dans la cage. A l’heure où le MMA a explosé en France, où sa légalisation remonte à peine à trois ans, le garçon est resté dans l’ombre. Mais il est temps de se retrouver en pleine lumière pour celui que beaucoup de spécialistes – votre serviteur compris – voient comme le meilleur combattant du MMA français toutes catégories confondues et qui s’offrira en cas de victoire sur Primus un rendez-vous avec l’histoire face à un nom mythique de la discipline. "C’est un talent exceptionnel, un modèle à suivre et un futur incroyable", résume Georges St-Pierre, légende de la discipline et ancien champion des welters de l’UFC.

L’histoire de Mansour Barnaoui est d’abord celle d’une expatriation familiale. Né en Tunisie, pays qu’il représente toujours en combat, le futur "Afro-Samurai" (son surnom inspiré d’un manga, univers dont il est fan) débarque en France avec ses parents à l’âge de deux semaines. Un papa ceinture noire de judo handicapé par un accident, trois petits frères, Barnaoui fait vite connaissance avec les responsabilités en aidant sa mère. "J’étais à peu près l’homme de la maison." A Malakoff, ville où la famille a posé ses bagages, un homme va écrire le premier chapitre du livre de combattant de celui qu’on surnommait "Tarzan" pour s’être essayé au parkour et au skate: Aziz Mahi, un "grand" du quartier Pierre-Valette qui monte une association sportive avec son frère pour aider les jeunes à faire du sport sans avoir à trop dépenser.

Ce dernier prend en main Barnaoui en 2006 après l’avoir croisé de retour d’une salle de lutte trop coûteuse pour s’inscrire. "Parmi les petits, c’était le seul qui s’entraînait avec les grands, et le seul qui a continué", précise celui qui est toujours son coach aujourd’hui au sein de la Team Magnum. Mahi a un plan avec son gamin pétri de qualités naturelles. "Les premières années, il n’a fait que du grappling, raconte le coach. On ne lui a pas mis de gants de boxe dans les mains, on s’est concentré à fond sur ça." Les compétitions de grappling lui permettent de développer ce sol qui deviendra sa grande force. "Une fois, il a battu mon prof de grappling, se souvient Taylor Lapilus, combattant UFC et consultant RMC Sport. Là, je me suis dit: attends, il se passe un truc."

La boxe anglaise vient s’ajouter au mix, qui fait vite basculer vers le MMA. Premiers combats pro à 18 ans, en France, dans les soirées pancrace (le MMA sans les frappes au sol, en gros) du 100% Fight. En une soirée, sa première, il étrangle trois adversaires de suite. Le train est sur les rails. Mais après six combats en France, où il prend le titre du 100% Fight, il est l’heure de s’expatrier. La situation l’oblige : le MMA n’est pas autorisé dans notre pays. Il faut donc franchir les frontières pour aller chercher de quoi vivre. Emirats arabes unis, Canada, Suisse, Russie, Angleterre, Pologne, Corée du Sud, Chine, Barnaoui va bourlinguer à travers la planète pendant sept ans. Sur le chemin, il amasse les ceintures au BAMMA, au M-1 Global et au Road FC.

Il subit aussi quelques défaites, quatre pour être exact, toutes à la décision, dont une qui vous situe le niveau du bonhomme. Avril 2013. En Russie, juste après la mort de son père, Barnaoui fait face au défi d’un certain Islam Makhachev, membre de l’équipe du papa de Khabib Nurmagomedov et actuel champion des légers de l’UFC. En bonne position au sol, il voit l’arbitre relever les deux combattants sans raison vraiment valable. "S’il n’y avait pas eu d’arbitre, j’aurais gagné", sourit-il aujourd’hui. "J’avais regardé ses combats et je m’étais dit qu’il n’était pas si fort, se souvient Makhachev au micro de RMC Sport. Pour moi, il ne savait pas lutter. J’allais le mettre au sol et le finir. Mais il m’a vraiment mis en difficulté. C’est l’un des combats les plus compliqués de ma carrière."

Un autre des revers survient face à Mateusz Gamrot, actuel membre du top 10 du classement des challengers des légers de l’UFC. Bref, pour le battre, il ne faut pas être n’importe qui. Au fil de ses voyages, Barnaoui fait briller les couleurs du MMA français. Mais son pays d’adoption lui rend mal. L’administration le prive de passeport tricolore car il ne peut présenter que des contrats de travail à l’étranger depuis sa majorité ! Ce qui n’empêche pas de le taper au portefeuille en lui faisant payer des impôts pour ses combats au-delà de nos frontières. Qui finissent par rapport gros. Au Road FC, il remporte un tournoi à un million de dollars en 2019. Problème? On ne le reverra plus dans la cage pendant trois ans et demi. Entre des problèmes contractuels avec le Road FC, le Covid puis le temps pris pour choisir sa nouvelle maison de combattant, ce passionné de snowboard est privé d’une partie de son prime athlétique.

Mais il ne pense pas une seconde à la retraite et ne reste pas sans rien faire. Bourreau de travail, celui qui a souvent préparé ses combats au Québec sur les tapis du Tristar Gym (la salle de Georges St-Pierre) part s’entraîner à Dubaï, en Thaïlande ou encore à Las Vegas. Loin de son camp de base du gymnase Jacques-Duclos de Malakoff, le long du périphérique parisien, mais avec la volonté de continuer à grandir. "Je n’ai jamais eu de break, expliquait-il il y a quelques mois. Je n’ai pas lâché l’entraînement et j’ai gagné en expérience." Barnaoui visait l’UFC en partant à Las Vegas. Mais le Bellator va lui faire une meilleure proposition, sur le plan financier comme sur celui de l’exposition avec une première en main event (combat principal) d’un de leurs événements et une garantie de participation au tournoi Grand Prix à un million de dollars.

"Quand je combattais en Asie, au Road FC, j’adorais le respect qu’ils avaient pour leurs combattants, détaillait-il pour le site MMA Junkie. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai fait ce choix. Le Bellator se soucie de ses combattants. Ils ont ce respect. Je ne pouvais pas demander mieux." Pour son retour, en octobre 2022 à Milan, l’organisation américaine le met sur la route de l’expérimenté Adam Piccolotti. Un combattant très à l’aise en lutte et au sol mais qui va subir la spéciale de Barnaoui, un étranglement qui l’oblige à taper au deuxième round. "Les gens pensaient que son absence allait lui porter préjudice mais on a vu le résultat, pointe son coach avec un grand sourire. Ça faisait trois ans sans rien mais il avait beaucoup combattu juste avant. Ce n’était pas une perte énorme non plus."

La suite de l’histoire va se jouer dans le tournoi. L’objectif est clair, double: "J’ai l’étoffe pour le gagner et prendre la ceinture". S’il passe l’obstacle Primus, le deuxième but sera à portée de cage: la demi-finale serait contre Usman Nurmagomedov, cousin de la légende Khabib, toujours invaincu (17-0) et champion des légers du Bellator depuis novembre dernier. Un combat qui serait l’un des plus beaux de l’année sur la planète MMA. Avec un sous-texte fascinant. Dix ans après avoir poussé Makhachev dans ses retranchements, quatre ans après avoir mis KO un cousin éloigné de Khabib (Shamil Zavurov) d’un coup de genou sauté au Road FC dans un combat qui avait impressionné l’ancien champion des légers de l’UFC, Barnaoui sera forcément vu comme un adversaire ultra dangereux par le clan Nurmagomedov.

S’il bat le champion du Bellator, il deviendra le premier homme à infliger une défaite à l’un des trois grands combattants portant ce nom de famille, Khabib (29-0, aujourd’hui retraité), Usman et Umar (16-0, actuellement à l’UFC). Grand pour la catégorie, avec un cardio hyper fiable (son staff hallucinait souvent en lui prenant son pouls peu avant ses combats tant il ne semblait pas sujet au stress) et un style ultra complet mais atypique, brillant au sol, Barnaoui possède toutes les qualités pour le faire. Avec en plus une intelligence de combat améliorée depuis sa défaite face à Gamrot pour la ceinture des légers du KSW en 2016.

"A la base, j’étais la tête la première et après on réfléchit, détaillait-il ces derniers mois. J’ai essayé de faire ça avec Gamrot, un combattant très intelligent qui m’a contré facilement donc je me suis dit qu’il fallait combattre comme lui le faisait, avec une stratégie intelligente." Et désormais avec plus de lumière. S’il est resté dans l’ombre, Barnaoui (20-4 en carrière) le doit aussi à lui-même. Il n’aime pas les caméras et le jeu médiatique. "Je suis un peu réservé, je reste dans mon coin, je ne suis pas trop sur les réseaux." "Il est totalement différent d’un Cédric Doumbé, appuie son coach. Ce serait contre-nature d’être quelqu’un de très folklorique."

Mais avec son premier combat en France depuis près de douze ans, en co-main event d’une soirée d’une des plus grosses organisations de MMA à travers la planète et à une victoire d’un choc XXL pour le titre, les yeux se tournent enfin vers lui comme il le mérite. Mis en avant par RMC Sport dans le film Ovni, mot qui le définit bien selon lui ("C’est une personne pas comme les autres, qui ne parle pas mais qui fait le taff"), Barnaoui explique être désormais "un peu plus arrêté dans la rue". Mais pas de quoi faire dévier de la route celui qui possède un gros mental. "Je suis là pour gagner, c’est tout", lâche-t-il. Et de conclure comme une prédiction pour la suite: "Je ne vois personne devant moi qui peut m’arrêter". La concurrence est prévenue. A trente ans, Barnaoui (20-4 en carrière) a toujours faim. Très faim. D’une nouvelle ceinture comme d’un nouveau skateboard.

Article original publié sur RMC Sport