AC Milan-PSG: qui sont ces ultras habillés en noir qui forment la Curva Sud de San Siro?

Un mur sombre, compact et intimidant. A chaque match de l’AC Milan à domicile, des centaines d’hommes se regroupent dans l’un des virages de San Siro, au sein de l’anneau bleu (situé derrière un but), pour créer l’une des ambiances les plus chaudes de Serie A. Tous habillés en noir, ils forment la Curva Sud Milano. Un collectif unifié en 2006, qui regroupe aujourd’hui les principaux ultras rossoneri.

C’est de là que vont être lancés les chants hostiles (et possiblement de faux billets de banque) à l'encontre de Gianluigi Donnarumma lors de la venue du PSG, ce mardi en Ligue des champions (21h sur RMC Sport 1).

"Nous lui avons prévu quelque chose de spécial. Nous voulons lui faire vivre un enfer", a confié Marco Pacini (dit "Pacio"), l’un des responsables de la Curva Sud, au site MilanNews.

"Il a eu une attitude sans aucun respect pour les tifosi et le club qui l'a lancé dans le football de haut niveau. C’est impardonnable." Une prise de parole extrêmement rare. Les leaders actuels de la Sud ne s’expriment quasiment jamais dans les médias. Difficile d’ailleurs de savoir précisément qui ils sont. "Pacio" est décrit comme une sorte de porte-parole, qui ne tire pas vraiment les ficelles en coulisses…

L’héritage de la Fossa dei Leoni

Pour mieux comprendre le flou qui entoure aujourd’hui l’organisation des ultras milanistes, il faut revenir quelques années en arrière. En 2006 précisément, lorsque la Curva Sud Milano a officiellement été créée. Le regroupement des ultras du club lombard s’est opéré après la dissolution de la Fossa dei Leoni (la fosse aux lions, en VF), fondée en 1968 et considérée comme la première association ultra du football italien. Le groupe historique a mis fin à ses activités après le vol d’une de ses bâches dans les rues de Milan. Sans communiquer sur les raisons de cette dissolution assez soudaine.

"La Fossa dei Leoni était vraiment un groupe référent, explique le journaliste indépendant Jean-Philippe Savry, qui a écrit plusieurs articles sur l’infiltration des organisations criminelles au sein des curva italiennes. Dans les années 1980-1990, ils comptaient près 15.000 cartés, c’était une folie. Leur succès était incroyable. La disparition de la Fossa a été un de coup de massue énorme pour les ultras du Milan. Ça s’est fait du jour au lendemain et ça engendré beaucoup de frustration. Certains de leurs sympathisants ont ensuite intégrés d’autres groupes, qui ont eux-mêmes arrêté par la suite."

Un collectif nébuleux et imperméable

De quoi obscurcir un peu plus le tableau, d’autant que la bannière de la Fossa dei Leoni est toujours régulièrement affichée dans la Curva Sud, tout comme celle des Brigate Rossonere (en référence aux brigades rouges communistes), un autre groupe important lui aussi dissous.

"Ce sont des bouts du passé qui sont exhibés mais c’est une nouvelle génération qui est derrière ça", résume Jean-Philippe Savry.

Certains suiveurs des Commandos Tigre gravitent toujours autour de la tribune. L’un de leurs anciens leaders, Giovanni Capelli (surnommé "Il Barone"), âgé d’une soixantaine d’années et traditionnellement vêtu en orange, est un personnage emblématique de la sphère milaniste. Les Black Devils, un groupe plus récent, sont également présents, même si leur implication est difficile à mesurer au sein de la Curva Sud. "Il y a des sous-divisions moins importantes que le groupe unifié, mais c’est un collectif assez imperméable. C’est très difficile d’y entrer, que ce soit individuellement ou en tant que groupes", explique Diego, un community manager du compte Milan Actu, présent sur plusieurs réseaux.

L’ombre du sulfureux Luca Lucci

Actuellement, un certain Francesco Lucci pourrait être l’un des leaders de la Sud. Il assurerait l’intérim en l’absence de son frère Luca Lucci, l’ancien boss des ultras rossoneri, emprisonné depuis l’an passé pour trafic de drogue. Depuis sa cellule, Luca continue de commenter l’actualité du Milan sur les réseaux et conserverait une certaine influence. Il a pris du grade dans la hiérarchie des ultras après la dissolution de la Fossa dei Leoni, en profitant de ses liens étroits avec la mafia calabraise et albanaise.

"Il s’est imposé comme le leader de la Curva Sud dans les années 2010, précise Jean-Philippe Savry. Comme d’autres figures du mouvement ultra en Italie, il fait partie de ces gens qui ont une vie criminelle à l’extérieur du stade, avec une certaine aura. Ils sont entourés et ils arrivent à faire leur place en tribune".

"Par leur intermédiaire, les clubs tentent d’acheter la paix sociale avec leurs supporters, parce que c’est un contre-pouvoir important", résume-t-il.

De nombreux trafics en tribune

Dans le sillage d’individus comme Luca Lucci, la Curva Sud, comme beaucoup de grandes tribunes italiennes, est parfois devenue une place de deal ou de business illégaux. "On parle de clubs très populaires, avec des milliers de personnes présentes. Ça offre des zones où tu peux vendre de la drogue, c’est une réalité. Il y a beaucoup d’argent qui transite dans les gradins, qui sont souvent aux mains d’organisation criminelles", complète Jean-Philippe Savry. Sans parler du contrôle des kiosques ou des parkings adjacents.

A l’inverse des leaders actuels, Luca Lucci apparaissait régulièrement en public ou dans la presse. En affichant sa proximité avec certains hommes politiques. Il a notamment été photographié aux côtés de Matteo Salvini, l’ancien ministre de l’Intérieur d'extrême droite (lui-même tifosi du Milan), lors du cinquantième anniversaire de la Curva Sud.

Des sympathisants de droite et d’extrême-droite

Aujourd’hui, le virage des ultras du Milan n’est pas vraiment politisé, même si beaucoup de ses membres véhiculent des idées de droite et d’extrême droite. Par rapport à certains groupes en Serie A, la Curva Sud n’est pas connue pour ses débordements racistes. La consigne avait d’ailleurs été donnée à l’époque par le président du club Silvio Berlusconi (1986-2004, 2006-2008). "Ma Curva ne fait pas de cris de singe", avait fait savoir Luca Lucci dans les médias, en opposition à la Curva Nord de l’Inter, qui se situe de l’autre côté de San Siro, dans la partie verte.

Les deux clubs de Milan prennent possession de leur stade en alternance. Mais la cohabitation se passe plutôt bien entre les Rossoneri, qui représentent historiquement les classes populaires, et les Nerazzurri, réputés plus flambeurs. "Les Milanais vivent avec cette dualité, témoigne Diego, qui a grandi en Italie à l’époque des exploits de Kaka. Les gens sont habitués, ils en rigolent. Tout le monde dans la ville a un cousin milaniste et un cousin interiste. S’il y avait une animosité perpétuelle, ce serait ingérable. Donc il y a une sorte d’accord de paix officieux pour que ça ne dégénère pas dans la violence."

Un supporter du PSG poignardé

Cela n’empêche pas les habitués de la Curva Sud de pouvoir déraper. Lundi soir, une centaine d’entre eux, casqués et armés, a attaqué des supporters du PSG dans le quartier des Navigli, autour des canaux situés au sud de la ville. Un Parisien de 34 ans a reçu deux coups de couteau au niveau des jambes. Selon nos informations, il est hors de danger après avoir été opéré. D’autres supporters souffriraient de contusions et de blessures au visage. Le club lombard a condamné ces agissements dans un communiqué.

"Ces incidents sont assez surprenants, même si un supporter de Newcastle a aussi été poignardé dans les rues de Milan il y a quelques semaines", observe Diego, qui alimente le compte X de Milan Actu.

"C’est bizarre parce que ça n’était pas arrivé ces dernières années. On s’attendait à un accueil hostile avec la venue des Parisiens, mais pas à des affrontements de ce genre. Depuis son unification, la Curva Sud était plus dans l’optique de promouvoir le supportérisme plutôt que la violence. Les ultras s’étaient un peu calmés. D’ailleurs, les relations sont bonnes avec le club, même si la Curva a toujours ses revendications." Stefano Pioli et ses joueurs, sermonnés publiquement après un match décevant en début de saison, en savent quelque chose.

Des tifos massifs et un fort pouvoir de mobilisation

Les ultras de l’AC Milan, qui commercialisent leurs propres produits à l’effigie de la Curva Sud, n’hésitent jamais à venir au centre d’entraînement du club pour encourager ou secouer leur équipe. En rappelant au passage: "Milan, c’est nous". Ils sont historiquement rivaux avec les tifosi de la Juventus, de Naples ou de l’AS Rome. A l’inverse, ils sont liés avec les ultras de Brescia, une ville proche en Lombardie et ont une sympathie pour le club de Monza, dans lequel Silvio Berlusconi a investi après son départ de l’AC Milan.

Les ultras rossoneri sont aussi connus pour leurs déplacements massifs à l’extérieur et leurs superbes tifos à domicile, lors des derbies contre l’Inter notamment. Malgré leur opacité, leurs fréquentations douteuses et la violence de certains d’entre eux, les ultras rossoneri restent le moteur de San Siro lorsque l’AC Milan est sur la pelouse. "Ils arrivent à fédérer des milliers de personnes, même dans le reste du stade, occupé en partie par des sections de supporters régionales. Ils ont un vrai pouvoir de mobilisation", confirme Jean-Philippe Savry. Après s’être imposés largement au Parc des Princes, il y a deux semaines (3-0), Kylian Mbappé et les Parisiens vont pouvoir le constater.

Article original publié sur RMC Sport