À Lille, le fichier de manifestants contre la réforme des retraites devra être supprimé


Des manifestants contre la réforme des retraites à Lille, le 7 mars 2023.
Des manifestants contre la réforme des retraites à Lille, le 7 mars 2023.

Ce tableur Excel détaillait les noms, prénoms et dates de naissance des personnes placées en garde à vue lors des manifestations.

JUSTICE - C’est une victoire pour la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Le tribunal administratif de Lille a jugé ce vendredi 19 mai illégal le fichage de manifestants placés en garde à vue lors de la mobilisation sur les retraites. Au passage, l’État est condamné à verser une somme globale de 3 000 euros aux requérants, mentionne la décision.

L’existence de ce fichier nominatif avait été reconnue par des représentants du ministère de la Justice. Le tribunal administratif a donc ordonné ce vendredi au garde des Sceaux Éric Dupond- Moretti et au parquet de Lille d’effacer les données personnelles du fichier, comme on peut le lire dans sa décision, consultée par l’AFP.

« La constitution par le parquet de Lille, en dehors de tout cadre réglementaire, du fichier, (...) ainsi que les suites pénales données, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée des personnes concernées et ordonne l’effacement des données à caractère personnel qu’il contient » , résume un communiqué diffusé par le tribunal.

Le tribunal examinait deux requêtes en référé déposées par l’Association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico) et le Syndicat des avocats de France, ainsi que par la Ligue des droits de l’homme après un article de Mediapart dénonçant un tel fichage.

Il s’agissait d’un tableur Excel, nommé « Suivi des procédures pénales - mouvement de la réforme des retraites » détaillant les noms, prénoms, dates de naissance des personnes placées en garde à vue lors des manifestations, et les suites pénales données.

D’autres fichiers de ce type dans d’autres villes

Selon le ministère, ce fichier était autorisé par le décret encadrant la base Casiopée, qui rassemble dans un logiciel sécurisé les données des prévenus, victimes ou témoins des procédures judiciaires des dix dernières années.

Le tableur examiné « rassemble simplement les procédures liées à un même évènement, ce que Casiopée ne permet pas de faire en temps réel », et ne contient « aucune autre information » que celles autorisées dans cette base, avait détaillé un représentant du ministère.

Si « la chancellerie n’a pas donné cette consigne », il s’agissait d’un « outil pour la gestion locale », avait-il assuré. Cela « permet le pilotage d’un évènement particulier » avec une forte « volumétrie des gardes à vue », avait expliqué une autre représentante, évoquant l’existence d’autres fichiers de ce type dans d’autres villes.

En regroupant des informations nominatives, les procureurs « se sont permis d’ajouter une donnée majeure : une opinion politique », toutes ces personnes ayant protesté contre la réforme, avait objecté Jean-Baptiste Soufron, avocat de l’Adelico et du SAF. « Ce n’est pas autorisé » et « cela revient à du fichage d’opposants politiques », avait-il dénoncé. « Si le but est uniquement statistique, pourquoi conserver des données identifiantes, et ne pas se contenter d’un numéro d’enquête », avait mis en avant l’avocate de la LDH, Marion Ogier.

Le ministère nie toute volonté de fichage

Après la décision, Jean-Baptiste Soufron, a salué auprès de l’AFP une décision « extrêmement importante », se réjouissant que « le tribunal administratif ait pu jouer pleinement son rôle de contrôle des décisions du gouvernement ». « Il s’agit clairement d’un vrai rappel à l’ordre », s’est également félicitée Marion Ogier. Selon la LDH, le fichier a été constitué depuis le 17 mars, suite au durcissement de la mobilisation après le recours au 49-3.

Selon elle, quelques dizaines de personnes ont potentiellement été fichées, 50 à 100 interpellations ayant eu lieu dans le ressort de Lille depuis le 17 mars, date à laquelle le fichier aurait été créé suite au durcissement de la mobilisation après le recours au 49-3.

Le ministère de la Justice, de son côté, a « pris connaissance » de la décision et « envisage actuellement les suites » à y donner, a-t-il déclaré à l’AFP. « Ce tableau était seulement destiné à recenser l’identité des personnes placées en garde à vue » dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites, et les « suites judiciaires » données. « Il ne s’agit ainsi en aucun cas d’un tableau de manifestants mais de personnes mises en cause dans une procédure pénale », a aussi soutenu la Chancellerie.

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