"Spider-Man": pourquoi les fans préfèrent les films d'animation aux live actions
Super-héros le plus populaire au monde, Spider-Man revient ce mercredi avec Across the Spider-Verse, second volet d'une trilogie de films d'animation mettant en scène l'homme-araignée comme aucune autre œuvre auparavant. Un événement, tant le premier volet, New Generation, avait séduit en 2018 par son innovation technique et narrative, depuis récompensée aux Oscars.
Décliné sur tous les supports, le héros créé par Steve Ditko et Stan Lee a trouvé dans l'animation le médium le plus adéquat pour retranscrire ses nuances. "Le live action ne peut pas réussir à rendre grâce à sa physicalité, là où l'animation peut se permettre de le faire, parce qu'ils peuvent s'affranchir des contraintes physiques", souligne Océane Zerbini, créatrice du podcast sur la pop culture Lemon Adaptation Club.
"En animation, il y a eu beaucoup de séries Spider-Man, avec chacune un style d'animation différent, qui allait piocher autant dans la 2D que la 3D, et dans l'animé aussi", poursuit cette grande fan de l'homme-araignée. "La série animée de 1994 est l'une des œuvres les plus généreuses avec Spider-Man, parce qu'elle arrive à exploiter au maximum sa galerie de méchants", s'enthousiasme-t-elle.
"C'est un personnage qui gagne à être animé, parce que c'est aussi un personnage de comic book", renchérit Claire Lefranc, fondatrice des Intervalles, collectif de défense des travailleurs de l'animation. "C'est un personnage qui existe à la base en dessin: autant le continuer en dessin."
New Generation comme Across the Spider-Verse ont intégré cette idée: Miles Morales devient Spider-Man alors qu'il tague un mur. "C'est un commentaire méta sur le fait que c'est un film fait par des passionnés pour les passionnés", analyse Océane Zerbini. "C'est tellement rare de voir un film de super-héros rendre hommage au médium qui lui a permis de se construire."
Supplément d'âme artistique
Seule l'animation, parce qu'elle offre "un supplément d'âme artistique", parvient à rendre justice à ce personnage burlesque et virevoltant, estime Sullivan Rouaud, éditeur chez HiComics du art book de New Generation. Si Tobey Maguire était assez rigide, handicapé par son costume et un mal de dos, ni Andrew Garfield, ni Tom Holland, malgré une certaine souplesse, n'ont réussi à rendre à l'écran la grâce du personnage.
"Ils auraient pu aller plus loin avec Tom Holland, qui on le sent est toujours prêt à faire une cabriole, mais ils n'ont jamais réussi à en tirer quelque chose d'exploitable, et c'est hyper frustrant", déplore Océane Zerbini. "Spider-Man en live action, c'est beaucoup d'opportunités manquées."
Une déception d'autant plus grande que les films en prise de vues réelles sont désormais capables de toutes les prouesses visuelles et s'approchent de plus en plus du cinéma d'animation. "Les live actions Marvel sont à 80% des animés maintenant", commente Claire Lefranc. "Ils sont entièrement en CGI (effets spéciaux numériques), c'est de l'anime 3D photoréaliste, mais ils n'assument pas de l'être."
En animation, les pirouettes de l'homme-araignée sont d'ailleurs tout aussi, voire plus difficiles à mettre en scène qu'en live: "C'est super ambitieux", acquiesce la spécialiste. "Il bouge tout le temps, Spider-Man! En 2D, avec les mouvements de caméra qu'il y a à faire, c'est une tannée. C'est pour ça que pendant des années, il n'y a eu que des séries animées sur Spider-Man, et pas des films d'animation."
"Style graphique complètement fou"
L'animation offre aussi à Spider-Man une liberté de ton. "La qualité de Spider-Verse vient du fait que c’est un projet qui n’était pas trop dans les radars des studios au départ. Personne ne s'attendait à ce que ça cartonne autant, pas au point de rafler tous les prix possibles sur sa route", explique Sullivan Rouaud.
"C’est d’ailleurs pour ça qu’ils ont laissé des artistes comme Alberto Mielgo, qui a un style graphique complètement fou, travailler sur le film. Puis après son départ, les équipes ont fait des merveilles."
La réussite de New Generation et Across The Spider-Verse tient au travail d'orfèvre sur son esthétique, mélange de 2D et de 3D poussé à une radicalité extrême dans le deuxième volet. Le nouveau film met ainsi en scène 240 personnages dans six univers tous différents graphiquement! "Chaque personnage à son style", précise Océane Zerbini. "Et chaque esthétique participe à montrer l'état d'esprit du personnage."
"Ce rendu 2D/3D a permis un design assez innovant", s'enthousiasme Claire Lefranc. "Le personnage est en 3D, mais il a sur son visage en 2D des petits traits quand il fronce ses sourcils, quand il a des mouvements de bouche très marqués. C'est un rendu comic book complètement inédit jusqu'à présent, qui s'éloigne du photoréalisme et de l'anime pure pour proposer un parfait entre-deux."
Si Spider-Man compte peu de classiques en comics (dont La Dernière chasse de Kraven), New Generation a tout de suite été considéré comme une date charnière dans l'histoire du cinéma. Comme Matrix, il a influencé toute la production contemporaine, du Chat Potté 2 à Ninja Turtles Teenage Years en passant par Les Mitchell contre les machines, et Klaus. Même en France, avec le prochain film Miraculous.
"Lui donner une identité"
Créé en 2011 par Brian Bendis et Sara Pichelli, Miles Morales a aussi marqué durablement les esprits grâce à New Generation. "Le film a surpris tous les parents, il a fait rêver tous les petits", commente Sullivan Rouaud. "Il a remis Spider-Man au milieu du village: c'est un héros plus rebelle que la moyenne, plus solitaire, avec sa propre direction artistique et son univers."
"En convention, quasiment tous les Miles Morales que j'ai rencontrés avaient sur leur costume le symbole du tournesol. C'est génial, car ce n'est pas lié aux comics, mais au film, et à sa bande originale", salue Océane Zerbini. "Ils ont réussi à lui donner une identité."
La souplesse de l'animation a favorisé "l'identification au personnage, ce qui a toujours été le moteur de la popularité de Spider-Man depuis les années 1960"", analyse Sullivan Rouaud: "Cette essence-là du personnage passe encore mieux en animation qu'en comics", estime l'éditeur, pour qui New Generation est "le film qui a le mieux compris" tous les dilemmes rencontrés par Peter Parker.
Une sensibilité obtenue grâce à une équipe hétéroclite, composée de Joaquim Dos Santos (Avatar, le dernier maître de l'air), Justin K. Thompson (le production designer de New Generation) et Kemp Powers (Soul). Ce dernier, oscarisé pour avoir coréalisé la production Pixar, a apporté sa patte au récit: un regard mêlant tendresse et regret sur les relations parents/enfants.
"Humour et humanité"
Dans cette version de Spider-Man, l'éternel trio Peter Parker, Mary-Jane Watson et Gwen Stacy n'est plus au centre de l'intrigue. Gwen Stacy alias Spider-Gwen est une héroïne en son nom propre, et beaucoup plus proactive que dans les comics. Spider-Verse propose aussi pour l'une des premières fois, tout médium confondu, un Peter Parker non plus adolescent, mais adulte.
Ces films n'auraient sûrement jamais été aussi inventifs sans l'intervention du duo de producteurs Phil Lord et Christopher Miller (La Grande aventure Lego, 21 Jump Street): "Ils représentent un peu tout ce qui se fait de plus métatextuel au cinéma", commente Océane Zerbini. "Ils réussissent toujours à tirer quelque chose de nouveau de chaque œuvre qu'ils ont sous les mains, à apporter à la fois leur humour et leur humanité."
Si ce Spider-Man animé est le plus apprécié des fans, "ce qu'ils veulent, c'est surtout de bonnes histoires de Spider-Man", insiste Sullivan Rouaud, pour qui Miles Morales manque seulement pour l'heure d'un méchant iconique: "Sony n'a pas encore vraiment essayé d'imposer de méchant canonique - c'est d'ailleurs aux artistes de proposer, et au public de décider. Sony va y aller à tâtons et jouer à fond la carte du multivers tant que celle-ci marche aussi bien."
En attendant une nouvelle trilogie avec Tom Holland, l'avenir de Spider-Man se jouera en animation: dans un premier temps avec les spin-offs de Spider-Verse (dont un consacré à Spider-Gwen), puis avec Freshman Year, une série animée sur les années lycée de Peter Parker, avec un style vintage, dont la diffusion est prévue sur Disney+ en 2024.