"Je suis soulagé de sortir de là": les touristes bloqués au Machu Picchu par des manifestations témoignent

"Le Machu Picchu c'était formidable mais on se souviendra plus des jours de stress qui ont suivi. Inoubliable", rigole, mi figue-mi raisin, le Canadien Alex Lim qui faisait partie des 200 premiers touristes évacués samedi du célèbre site inca, selon un décompte de l'AFP samedi.

Depuis le 7 décembre, le Pérou est agité par des manifestations ayant fait au moins 19 morts et 569 blessés, déclenchées par la destitution et l'arrestation du président Pedro Castillo, ainsi que l'arrivée au pouvoir de Dina Boluarte.

Américains, français, australiens, allemands, péruviens... Ils étaient au moins 500 à s'être retrouvés coincés mardi au pied du site du patrimoine mondial de l'humanité, dans la petite ville d'Aguas Calientes, selon l'AFP. CNN table de son côté sur 300 touristes bloqués. En cause: une ligne de train coupée par des manifestants.

Bloqués pendant 5 jours

Le chemin de fer est en effet l'unique moyen de transport pour se rendre à Aguas Calientes mais aussi pour en sortir. Les touristes se sont donc retrouvés à attendre dans l'incertitude pendant 5 jours dans des chambres d'hôtel du village sans leurs affaires, la plupart d'entre eux logeant à Cuzco, la ville impériale inca, située à 110 km.

"C'était particulier d'avoir des vêtements pour un jour. Et donc de faire la lessive et d'attendre qu'elle sèche en restant tout nu", rigole Kate Lim, l'épouse d'Alex, interrogée par l'AFP.

Malgré les blagues, le couple a beaucoup stressé. Alex, 41 ans, qui souffre d'hypertension et doit prendre un cachet par jour, n'avait pas pris suffisamment de médicaments. Il a finalement pu en obtenir après la visite d'un médecin dépêché par les autorités.

"On était mieux informé par les autres voyageurs que par les autorités locales", dit-il.

Le couple, qui avait commencé un "grand voyage post-Covid", hésite à continuer l'aventure ou rentrer à la maison à Toronto. "On va se reposer, se déstresser et on décidera", résume Alex, qui précise que, malgré les manifestations, les Péruviens ont été "accueillants".

Évacuation après la réparation des voies

Les autorités ont commencé par vouloir mettre en place samedi un pont aérien avec des hélicoptères mais la pluie les en a empêchés. Plus tard dans la journée, "avec l'appui de la police et des forces armées", elles "ont pu envoyer un monorail avec de l'équipement et des hommes pour réparer" et dégager les 29 km de voie entre Piscacucho et Aguas Calientes, a expliqué le ministre du Tourisme Luis Fernando Helguero, présent sur place.

Piscacucho, un des points de départ du chemin de l'Inca, est le hameau joignable par la route le plus proche de Aguas Calientes.

"On a découvert par hasard qu'il y avait ce train qui quittait le Machu Picchu dix minutes avant le départ. On s'est précipité", raconte à l'AFP le Brésilien Guilherme Bucco, professeur à l'université de Porto Alegre.

"C'est bien mignon Aguas Calientes, mais une heure après, t'as plus rien à faire! Alors 5 jours... J'ai dû annuler plein de plans et je dois retravailler la semaine prochaine", dit-il. "Mais je suis soulagé de sortir de là".

Marche de deux kilomètres sur les rails

Une autre mauvaise surprise attendait les voyageurs. Si les cheminots ont fait leur possible pour réparer la voie, ils n'ont pu retirer une énorme pierre trônant entre les rails, précipitée des falaises par les manifestants.

Conséquence, les touristes devaient marcher la nuit tombée quelque deux kilomètres sur les cailloux de la voie ferrée à la lumière des téléphones portables pour rejoindre les mini vans qui les attendaient pour les ramener à Cuzco.

Si des policiers et cheminots ont aidé certains à porter leurs sacs, le trajet escarpé n'était pas facile, notamment pour les plus âgés.

L'Américaine Avis Berney, 77 ans, originaire de Whidbey Island, près de Seattle, se repose sur un rocher et garde sa bonne humeur avec un jeu de mots: "Ma canne me sauve! Je suis retraitée et fatiguée (retired and tired)".

"Je n'oublierai plus jamais la différence entre le confort de vie et le confort d'être chez soi!", a-t-elle philosophé auprès de l'AFP.

Randonnée de 40 kilomètres pour d'autres

Selon le quotidien El Mundo, d'autres touristes n'ont pas attendu d'être évacués pour effectuer les 40 premiers kilomètres à pied avant de rejoindre Cuzco en voiture.

"À 6 heures du matin le mercredi, nous avons commencé à marcher en direction d'Ollantaytambo. On nous avait dit qu'il fallait compter entre 6 et 8 heures, mais en fin de compte, nous avons fait 40 km et environ 10 heures de marche", témoignent au média espagnol Vicente et Ana Isabel.

"Les 25 premiers kilomètres depuis Aguas Calientes, nous avons suivi les voies ferrées, avec peu de monde. Nous étions un groupe de 20 personnes, il faisait très chaud, il n'y avait pas d'eau à acheter, un désastre", poursuit le couple.

Ils ont ensuite pu manger du riz à la cubaine chez des habitants. Mais en avançant sur la route de Cuzco, ces touristes espagnols racontent que les tensions avec des manifestants ont été de plus en plus vives. "Nous avons pris une moto, puis nous avons encore marché, avec des piquets au milieu, avec des arbres coupés, des pierres, des manifestants, même des paysans sur la route", relatent Vicente et Ana Isabel. "Lorsque nous avons dépassé la ville d'Anta (...) il y avait déjà des voitures qui sont venues nous chercher et sans rien payer ils nous ont emmenés à Cuzco". Mais ils ont manqué leur vol vers l'Espagne, et ont été contraints d'acheter un nouveau billet.

Après le casse-tête de l'évacuation, le ministre du Tourisme croise les doigts pour que les manifestations cessent et que le "tourisme puisse reprendre". "Nous avons calculé une perte de 200 millions de soles (50 millions d'euros)" en raison des événements, a déclaré Luis Fernando Helguero. Et de rappeler que le tourisme représente entre 3 et 4% du PIB et donne de l'emploi "à toutes les strates de l'économie".

Il s'est inquiété des dégâts sur l'image et la perception du pays que pourraient avoir tour-opérateurs et touristes.

Article original publié sur BFMTV.com