La sortie de Jean-Luc Mélenchon sur Adolf Eichmann tourne au règlement de comptes à gauche
Les propos tenus par chef de file de la France insoumise à Lille s’inscrivent dans un contexte électoral contribuant à tendre la situation à gauche.
POLITIQUE - Jean-Luc Mélenchon a plus de cinquante ans de militantisme au compteur. Il est donc difficile d’imaginer qu’il ignorait la déflagration que son discours tenu à Lille après l’annulation d’une conférence avec Rima Hassan prévue à l’université de la ville, allait provoquer.
Que ce soit en menant la charge contre le « dénonciateur » Jérôme Guedj, député PS de l’Essonne qui s’était ému de la teneur de ce rendez-vous consacré à la Palestine, ou en convoquant le souvenir d’Adolf Eichmann, pour faire un lien conceptuel entre le criminel nazi et le professeur de l’université de Lille ayant décidé l’interdiction.
Même chose pour sa référence hasardeuse à la rafle du Vel d’Hiv, au regard de sa charge historique et émotionnelle en France. Des procédés qui peuvent s’avérer utiles pour qui souhaite comme lui « tout conflictualiser » en politique, mais qui passent mal à gauche. Porte-parole du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Arthur Delaporte voit dans ce discours « une faute morale grave » commise par celui qui s’investit massivement dans la campagne des élections européennes, au risque d’invisibiliser la tête de liste de son propre mouvement, Manon Aubry.
« J’ai défendu hier le principe de la liberté de réunion au nom de la démocratie. C’est au nom de cette même démocratie que nous ne pouvons accepter une telle mise en accusation », a dénoncé vendredi 19 avril le député PS, en volant au secours du président d’université. Ce qui a provoqué l’ire du chef de file de LFI. « L’ignorance n’excuse pas tout », a répliqué Jean-Luc Mélenchon, avant d’enfoncer le clou : « Lisez Les origines du totalitarisme d’Hannah Arendt et vous saurez ce qu’est “la banalité du mal” dont votre ignorance et servilité partisane sont des agents actifs ».
Une riposte au vitriol (et mal sourcée) à laquelle Arthur Delaporte a répondu sans détour. « La banalité du mal est développée par Arendt dans Eichmann à Jérusalem, pas dans les Origines du totalitarisme comme vous l’affirmez. Voilà pour l’ignorance. Quant à la servilité, on la retrouve plus dans les phénomènes de cour que dans les partis démocratiques », a-t-il taclé, en référence au fonctionnement très vertical du parti de Jean-Luc Mélenchon.
La banalité du mal est développée par Arendt dans Eichmann à Jérusalem, pas dans les Origines du totalitarisme comme vous l’affirmez. Voilà pour l’ignorance.
Quant à la servilité, on la retrouve plus dans les phénomènes de cour que dans les partis démocratiques. https://t.co/WLF8RdrP6l— Arthur Delaporte (@ArthurDelaporte) April 19, 2024
Les européennes en toile de fond
Pendant ce temps, l’état-major de LFI tombait également sur le député. « C’est drôle, tu abondais moins aux polémiques dégueulasses quand tu avais besoin de Mélenchon pour être élu député », a riposté le coordinateur national de LFI, Manuel Bompard, en qualifiant Arthur Delaporte de « menteur ». Même courroux exprimé par le député insoumis Bastien Lachaud : « Il ne s’agit pas d’attaquer des personnes mais de dénoncer les mécanismes de renoncement ou de collaboration face aux basculements de la société. Vous savez, un peu comme certains partis “de gauche” face à la dérive autoritaire, néolibérale et islamophobe des dix dernières années ».
Alors que le camp mélenchoniste multiplie les attaques contre le candidat socialiste Raphaël Glucksmann qui continue de dominer le match de la gauche aux européennes, certains cadres du PS sont effarés par la tournure des choses. Sous couvert d’anonymat dans Le Parisien ce samedi 20 avril, un député socialiste dénonce une « stratégie délirante » de la part de LFI, et tente une explication : « Ils sont dans une zone de turbulences car ils se rendent compte que leur radicalité les a exclus de la centralité qu’ils pensaient occuper. La dynamique Glucksmann les sort du champ alors ils deviennent très agressifs ».
Reste qu’il n’y a pas que la gauche électorale qui s’interroge à haute voix sur la tournure des débats. Sur le réseau social X, le collectif Golem, réunissant des militants juifs de gauche cofondé par l’avocat Arié Alimi (personnalité par ailleurs proche de la France insoumise) a vilipendé les références convoquées par le triple candidat à la présidentielle : « Les hommes, femmes et enfants raflés aux Vel d'Hiv ont été déportés et exterminés uniquement parce qu’ils étaient Juifs. En se comparant à eux, Jean-Luc Mélenchon salit leur mémoire, invisibilise l’antisémitisme dont ils furent victimes et participe à la banalisation de la Shoah ».
Quelques jours plus tôt, Arié Alimi avait apporté son soutien au socialiste Jérôme Guedj, accusé par la France insoumise comme étant l’instigateur de l’annulation de la conférence.
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