Sophie Goettmann, victime d’incestuel : “On me disait qu’il fallait avoir des rapports sexuels deux à trois fois par jour”

Si tout le monde a déjà entendu parler d’inceste, très peu en revanche savent ce qu’est l’incestuel. Pour Yahoo, la dermatologue Sophie Goettmann, autrice de l’ouvrage “Waterbed” (ed. Plon), décrit ce phénomène et raconte la manière dont elle a évolué dans ce climat malsain, hyper sexualisé.

Viols, agressions, deuils insurmontables, accidents de la vie : dans "Trauma", anonymes et célébrités reviennent pour Yahoo sur un traumatisme qui a bouleversé leur vie.

Les blessures sont indélébiles. Lorsqu’elle parle de son enfance, Sophie Goettmann ne peut s’empêcher de penser au climat incestuel dans lequel elle a évolué. La dermatologue parisienne a grandi dans une famille naturiste et libertine, loin de la vie de monsieur et madame tout le monde. Là-bas, les tabous n’ont jamais eu leur place. Un peu dans l’esprit d’une auberge espagnole, la maison dans laquelle elle vivait était le QG d’adultes en quête de sensations et dont la sexualité était débordante. La nudité était de rigueur et les rapports sexuels, eux, permanents. Au milieu de tout cela, les enfants devaient trouver leur place, laissant de côté leur pudeur et leur innocence. Pour Yahoo, l’autrice de “Waterbed” (ed. Plon) a accepté de revenir sur son histoire. Un récit poignant (Retrouvez l’intégralité de l’interview en fin d’article).

C’était dans les années 70. Sophie fait partie d’une famille libertine dirigée par Martial, son grand-père, un homme “brillamment intelligent, industriel tyrannique et partouzeur de renom”. Cet homme, qu’elle craint dès le plus jeune âge, règne sur la famille comme un roi sur ses vassaux. Il est à la tête d’une communauté où la nudité est la norme et dans laquelle chacun s'exprime sans filtre. “La sexualité était évoquée de façon très naturelle devant tout le monde”, explique-t-elle tout en se remémorant quelques phrases marquantes. “J’entendais qu’il fallait avoir des rapports sexuels deux à trois fois par jour”.

Comme elle l’explique, son grand-père, dont “la pathologie était proche de la perversion”, passe son temps à inculquer ce mode de vie libertin, loin de toute fidélité. Et l'ambiance de ces années-là ne fait qu'accentuer son penchant pour la bonne chair. L’âge ne compte plus. Il n’y a plus de génération, plus de rôle prédéfini. “L'ami qui frappe à la porte va venir et va se conduire avec l'enfant comme s’il était la mère ou le père. Le grand-père, lui, va se conduire comme s'il était le petit copain de la petite fille, c'est la grande confusion des êtres”.

Concrètement, il n'y a pas d'inceste, il n'y a pas d'acte sexuel en présence des enfants mais un climat malsain bien pesant. Les cris de jouissance sont constants, des bruits qu'elle assimile à de la violence. Il s’agit d’un viol psychique, une intrusion qui peut détruire un enfant en profondeur. Cela peut être autant destructeur voire même plus que l’inceste lui-même dans certains cas. “C'est un nudisme sexualisé où les gens s'exhibent, font des blagues salaces, regardent les autres, parlent de sexe”. Sophie ne le supporte pas mais se veut contrainte de suivre le mouvement. “Comme tous les enfants, on m’imposait d’être nue, même à l’adolescence. Je le vivais très mal, c’était atroce, insupportable”.

“Mon grand-père a été agressé sexuellement par un prêtre lorsqu’il était jeune”

Avec le temps, grâce à ses études de médecine et à plusieurs thérapies, Sophie parvient à se construire et à envisager l'amour et le désir autrement, ce qui était loin d'être gagné. "J’ai d’abord considéré la sexualité comme quelque chose d’épouvantable", se remémore-t-elle tout en se refaisant le film de toutes ces situations malaisantes. Mais loin de vouloir trouver des excuses à son grand-père, Sophie a tout de même le début d’une explication à tout cela. “La perversion sexuelle est la forme érotique de la haine. Le pervers se venge et reproduit bien souvent son traumatisme”. Comme elle le raconte, son grand-père a été violemment agressé lorsqu’il était jeune. Il s’est fait abuser par un prêtre, pendant des années, dans un établissement catholique.

Un traumatisme qui a engendré, sans grande surprise, des comportements borderline, sexuellement parlant, mais qui n’a pas fait perpétuer un schéma de viol. Sophie a tenu à souligner cet aspect-là, le remerciant d’une certaine manière de n’avoir jamais franchi le pas. “Effectivement, j'aurais préféré qu'il se fasse prendre en charge mais cette explication-là m’apaise”. Forte de cette expérience traumatisante dont elle s’est relevée, elle exhorte désormais tout parent à s’occuper correctement de leurs enfants afin qu'une telle situation ne se reproduise pas. “Pour moi, l'être humain n'est pas mauvais, il le devient”. Mère de famille, Sophie a finalement réussi à aller de l'avant, confiant avoir "revécu son enfance" avec ses propres enfants.

“Cela entraîne des conséquences terribles, des enfants finissent même par se suicider”

C’est au travers son second ouvrage, intitulé Waterbed (ed. Plon), qu’elle a souhaité partager son histoire. L'objectif était “de faire comprendre qu’il existe d’autres types de violences sexuelles que l’inceste et qu’elles ont des conséquences terribles sur les enfants”. Ceux qui en sont victimes ne peuvent se construire, ont de graves troubles psychiatriques et finissent même parfois par se suicider.

“L’incestuel, c’est quand souffle le vent de l’inceste sans qu’il n’y est inceste”, rappelle-t-elle tentant d’expliquer l’état d’esprit dans lequel les victimes se trouvent. “L’enfant craint mais ça n’arrive jamais. C’est un inceste moral”. Face à cette réalité, elle estime aujourd'hui essentiel de parler plus ouvertement de ce sujet et de ne plus négliger l’aspect traumatique. “C'est très grave mais comme il n’y a pas eu de passage à l'acte, les personnes qui ont subi ça n’ont aucune légitimité. Ça doit être reconnu et c’est mon premier combat”.

Retrouvez en intégralité l'interview de Sophie Goettmann