Sophie Binet, la « queen » de la CGT qui doit confirmer

POLITIQUE - Elle est celle qui répond « LOL » au président de la République. Voilà un mois que Sophie Binet, 41 ans, a pris la tête de la CGT. Arrivée là par surprise, grillant la politesse aux candidates déclarées, Marie Buisson et Céline Verzeletti. Cette dernière ne lui en tient pas rigueur. Entre la mobilisation sur les retraites, une arrivée fracassante sur le devant de la scène et les chantiers internes au syndicat divisé, « Sophie a beaucoup de poids sur les épaules, mais elle a largement les épaules, justement, pour supporter toute cette pression », loue-t-elle, avant de dérouler les qualificatifs flatteurs. Et tout le monde ou presque partage son avis.

Première femme, mère de famille, première représentante de la branche des cadres à diriger la CGT, venue du PS, le tout dans un contexte social historique… « Elle est beaucoup dans l’inédit Sophie... », s’enthousiasme Céline Verzeletti. Benoît Hamon s’enflamme. « Vous voudriez faire le portrait-robot du dirigeant syndical parfait, il se peut qu’on tombe sur Binet ! », résume l’ancien candidat du PS à la présidentielle, « elle est très très douée », prévient-il, ravi.

Le cœur de l’engagement de Sophie, ce n’est pas le socialisme : c’est le syndicalisme - Caroline de Haas, compagne de route.

Le socialiste la connaît depuis des années - « on a navigué dans les mêmes eaux » résume, pudique, l’ancien militant de l’Unef. Sa fiche Wikipédia la présente comme soutien de Martine Aubry lors de la primaire socialiste de 2011 puis de Benoît Hamon en 2017. Lui ne s’en souvient pas. « C’était de très loin », confirme une proche. Elle, renierait presque son engagement socialiste, décrit comme « très ponctuel sur France Inter », le 3 avril. Caroline De Haas, « compagne de route », comme elle se définit, rencontrée à la direction de l’Unef dans les années 2000 résume : « Le cœur de l’engagement de Sophie, ce n’est pas le socialisme : c’est le syndicalisme. ».

Elle y trace son chemin dès 15 ans, d’abord en s’engageant aux Jeunesses Ouvrières chrétiennes comme Cécile Duflot, Laurent Berger ou Jacques Delors avant elle. Vient ensuite la période Unef, comme porte-parole puis vice-présidente en 2007, et son premier « combat structurant » : le Contrat Première Embauche (CPE) qui tombe en 2006. Sa première victoire.

« C’est la fête, on se tutoie »

Pendant cette mobilisation contre la droite au pouvoir, elle croise la route de Jean-Claude Mailly alors secrétaire général du syndicat Force Ouvrière. Il ne la connaît « pas très bien », nous confie-t-il. Ce qui ne l’empêche pas de lui trouver, comme beaucoup, surtout des qualités : « personne intelligente », « bonne négociatrice », qui « se débrouille bien en communication ».

Après le retrait du CPE - succès qu’elle aimerait dupliquer avec la réforme des retraites - elle commence à fréquenter les plateaux. Comme dans l’émission « Piques et polémiques » sur France 3 Île-de-France, en 2006, avec les « jeunes » de l’époque : Laurent Wauquiez, 31 ans, député de Haute-Loire et Razzy Hammadi, président des Jeunes Socialistes, 27 ans. Elle crève l’écran. « C’est la fête, on se tutoie », répond-elle à Wauquiez qui l’a interrompue.

Elle a une belle gueule, elle est intelligente, rigolote et moderne. Les gens drôles sont souvent talentueux - un interlocuteur d’Emmanuel Macron

Dix-sept ans plus tard, arrive la cour des grands. Le 6 avril 2023, Sophie Binet refuse de répondre à CNews lors de la 11e journée de mobilisation ; le 13, elle balaye en trois lettres la proposition d’Emmanuel Macron de recevoir les syndicats après la décision du Conseil constitutionnel avec un évocateur « LOL » ; le 17, elle ironise sur l’allocution du chef de l’État digne « de Chat GPT ». Une punchlineuse de son époque qui lui vaut le surnom de « Queen Sophie » sur les réseaux sociaux.

Jusqu’aux couloirs de l’Élysée, son style fait mouche. « Elle est drôle ! C’était très marrant son truc sur chat GPT », admet un interlocuteur régulier du président. « Elle a une belle gueule, elle est intelligente, rigolote et moderne. Les gens drôles sont souvent talentueux. Elle est talentueuse et donc elle nous challenge. C’est très bien », se réjouit cette source. Si même les proches du président l’adoubent alors…

Une boulette, deux boulettes…

Unanimement, ses interlocuteurs louent sa « clarté », sa « précision » et sa « pédagogie » dans les médias. Mais l’erreur guette. Le 17 avril, sur BFMTV, à une heure de grande écoute, Sophie Binet se frotte à un exercice difficile : réagir à chaud et en direct à l’allocution du président de la République. Promulgation de la réforme, mobilisation du 1er mai et puis, le référendum d’initiative partagée. Première gaffe : elle déclare que « le RIP a quand même été mis en place suite aux gilets jaunes, pour permettre de sortir des conflits ». C’est faux, le RIP a été mis en place sous Nicolas Sarkozy en 2008. Binet se fait reprendre, ne relève pas, et la méprise passe presque totalement inaperçue. « Le RIP est peu identifié car il ne fonctionne pas, c’est bien pour ça que les Gilets jaunes ont porté le RIC (référendum d’initiative citoyenne, ndlr) », évacue auprès du HuffPost celle qui revendique de ne pas « tout connaître par coeur, n’étant ni là pour ça, ni haute fonctionnaire au cabinet de la Première ministre ».

Regardez bien, elle ne fait pas de grandes émissions, elle n’est pas prête… - Un poids lourd de la Sarkozie

Le 10 mars, les très polémiques coupures d’électricité de la CGT ont touché un Ehpad et un centre de dialyse dans le Pas-de-Calais. Rebelote le 20 avril, dans une clinique de l’Hérault. Face à Apolline de Malherbe, quatre jours plus tard, toujours sur BFMTV, Binet maintient que la CGT n’aurait « jamais » visé un établissement de santé. Elle est contredite quelques heures après par le secrétaire fédéral de la centrale. Le gouvernement monte au créneau. « C’est une erreur en effet », admet du bout des lèvres Céline Verzeletti, mais une erreur « compréhensible car au début, les camarades ont dit que ce ne n’étaient pas eux ».

Pas convaincu, un poids lourd de la Sarkozie, persifle : « Regardez bien, elle ne fait pas de grandes émissions, elle n’est pas prête… ». « Si la droite veut m’attaquer là dessus, je leur donne bien du courage », ironise-t-elle en réponse. Elle débute, mais elle s’entoure. Pour sa première matinale d’envergure, sur France Inter le 3 avril, Caroline de Haas glisse avoir été « sollicitée » pour l’aider à préparer l’interview. « Proches » à l’Unef, les deux femmes se sont retrouvées sur la loi Travail dite loi El Khomri en 2016. Sophie Binet est alors secrétaire générale adjointe de la CGT Cadres (Ugict) depuis deux ans.« Sophie m’a filé l’analyse de l’Ugict pour que je la traduise en mode grand public. On a fait 48 heures d’aller-retour pour peser chaque mot et être bétons. Elle disait ’Caro, fais gaffe, c’est faux à force de trop simplifier’ et moi je lui répondais ‘Personne ne va rien comprendre là’ », se rappelle la militante avec amusement. Leur pétition atteint le million de signatures en deux semaines. Elle était hébergée sur le site « Loi Travail.lol ». On ne se refait pas.

Sophie Binet répond ’LOL’ au président. Nous, nous répondons ’chiche’ au dialogue social - entourage d’Emmanuel Macron

Un autre combat les rapproche : l’engagement pour l’égalité entre les femmes et les hommes. La nouvelle dirigeante de la CGT connaît le sujet sur le bout des doigts. Elle a été référente sur ces questions dans le syndicat, a co-signé l’ouvrage « Féministe, la CGT ? » (Éditions de l’Atelier) et a pris le relais sur l’organisation des 8-Mars après Nous Toutes. C’est une « féministe écolo », qui va « faire entrer les luttes sociales dans les luttes écolos et féministes », se réjouissent de concert Hamon et de Haas.

En attendant, c’est un chantier social explosif qui attend la nouvelle patronne du syndicat : la suite de la protestation contre la réforme des retraites. Pour l’instant, c’est un quasi sans faute. « Elle respecte à la lettre sa mission du congrès, elle ne trahit pas », la félicite Sandrine Gérard, secrétaire de la CGT du Havre, organisation qui a voté pour elle comme 63 autres sur la centaine de la centrale.

Après le 1er mai, elle le sait, tout reste à écrire. Faut-il, ou pas, revenir discuter à Matignon ou à l’Élysée ? Comment se passeront ses relations avec Marylise Léon, sa future homologue de la CFDT ? Réussira-t-elle à refaire de la CGT, fière de ses 30 000 nouveaux adhérents depuis janvier, le premier syndicat de France ? À la première question, les chances sont maigres. Seule une discussion sur « les salaires » - et non les primes - semble suffisante pour lui faire faire le déplacement. Dans l’entourage du Président de la République, on l’attend de pied ferme : « Sophie Binet répond ’LOL’ au président. Nous, nous répondons ’chiche’ pour le dialogue social ».

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