« La Shtar Academy », un album de rap comme « haut-parleur » pour les détenus de Fresnes

MUSIQUE - Le rap comme haut-parleur des opprimés. C’est avec cette idée en tête que Mouloud Mansouri a produit l’album Shtar Academy, enregistré avec 4 détenus incarcérés à la prison de Fresnes et accompagnés d’une vingtaine d’artistes de la scène hip-hop, de Fianso à S.Pri Noir en passant par Doria ou Rim’K. Le processus de création de cet opus fait aussi l’objet d’une série documentaire, déjà disponible sur France.tv Slash et diffusée ce jeudi 6 octobre à 21h10 sur Culturebox.

Lui-même a passé dix ans de sa vie derrière les barreaux, alors Mouloud Mansouri sait l’importance de faire rentrer la culture en prison pour participer à la reconstruction de tout un chacun. « Les activités culturelles, sportives ou récréatives servent de relais pour le travail d’insertion ou de réinsertion », raconte-t-il au HuffPost dans une interview vidéo à voir en tête de cet article. « Sans ces outils, c’est comme à l’extérieur, si tu es chez toi 24 heures sur 24 à regarder la télé et à ne rien faire d’autre, ton cerveau ne va pas évoluer ».

Alors il y a bientôt 15 ans, Mouloud Mansouri a créé l’association Fu-Jo avec laquelle il a réalisé « plus de 500 actions » dans certaines prisons françaises : des concerts, des ateliers d’écriture, de DJing, de street-art... Le projet Shtar Academy, dans les bacs ce vendredi 7 octobre, a nécessité des mois de travail pour convaincre l’administration pénitentiaire, trouver des détenus prêts à s’investir, et aussi motiver des artistes confirmés à venir « donner de la force pour sortir ce projet - même s’il y aurait pu en avoir plus », souffle le producteur.

Au fil des 21 titres de l’album écrits et enregistrés entièrement en prison, Ryan, Perkiz, Blur, et Nono racontent avant tout leur quotidien derrière les barreaux. « J’vois ma peine comme une formation un peu violente. Unis dans l’bât’ comme des francs-maçons, entre quatre murs de ciment. Levé à six dans neuf mètres carrés, fait pas d’brigand, les lattes carrées. Tête bien remplie, couilles au carré, j’m’enfume, j’sens même plus mes carries », rappe ainsi Nono dans Oh la la la avec Fianso, à écouter ci-dessous :

Mouloud Mansouri y voit clairement un écho à l’essence de cette musique qui rappelle que « le rap à la base, c’était un haut-parleur pour des mecs qui n’avaient pas de voix » : « Là avec la Shtar Academy, on donne la parole à des personnes qui sont réellement opprimées » qui ont été « libres de dire ce qu’ils voulaient », même si leurs textes ont évidemment « été relus » par le directeur de Fresnes.

À la fin de l’été, c’est autour de cet établissement pénitentiaire que la « polémique Kohlantess » s’est cristallisée. Après la mise en ligne d’un épisode de cette websérie dans laquelle des détenus et des surveillants s’affrontaient dans des épreuves sportives et récréatives dans la cour de la prison, des politiques de droite s’étaient indignés et le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti avait ouvert une enquête interne.

« Ce n’est pas la piscine ou le kart pendant 2 heures dans la prison qui me choque, c’est plutôt que ces mecs-là ils vivent 22 heures sur 24 dans leur cellule dans des conditions déplorables pendant des jours, des mois, des années et ça ne choque personne », réagit Mouloud Mansouri. « Le problème du détenu, c’est que c’est une personne qu’on ne voit pas. La prison est un lieu fermé. On ne voit pas la réalité de ceux qui y vivent et tout le monde s’en fout ».

Conséquence directe de la polémique, une circulaire du ministère de la Justice destinée à « fixer clairement les conditions nécessaires à la tenue de projets de réinsertion en prison » a été diffusée dans les établissements pénitentiaires le jeudi 22 septembre. Mais pour les acteurs de terrain à l’image de Mouloud Mansouri, la polémique de Fresnes risque de laisser des traces. « Et comme toujours, ce sont les détenus qui en pâtissent », privés de ces fenêtres sur l’extérieur qui participent à leur (re) construction.

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