"Sexy Boys", le "teen movie" français accusé d’avoir copié "American Pie"

Jérémie Elkaïm, Julien Baumgartner et Matthias Van Khache sur l'affiche de
Jérémie Elkaïm, Julien Baumgartner et Matthias Van Khache sur l'affiche de

Paris, au milieu des années 1990. Un ex-étudiant d'école de commerce fan de Kevin Smith (Clerks) et de John Hughes (Ferris Bueller), Stéphane Kazandjian, se lance dans le cinéma. Le futur réalisateur de Bad Buzz rêve de raconter, sur le modèle des "teen movies" américains, l'histoire de sa bande de potes, de la fin du lycée à l'entrée à l'âge adulte. Son souhait se concrétise en 2001 avec Sexy Boys, une comédie tendre et potache sur les tribulations sentimentales de trois jeunes gens, que l’histoire retient injustement comme un plagiat français d'American Pie.

Très différents l'un de l'autre, ces deux films ont pour point commun une scène mêlant onanisme et nourriture - une tarte aux pommes dans American Pie, un gant de cuisine rempli de spaghettis dans Sexy Boys. Cette séquence, qui a une réelle importance dramatique dans Sexy Boys, est à l'origine du malentendu. Stéphane Kazandjian assure pourtant avoir terminé l'écriture de son scénario en octobre 1999, deux mois avant la sortie d'American Pie en France.

L'idée s'appuie d'ailleurs sur une histoire populaire chez les adolescents, rappelle Stéphane Kazandjian: "Il y avait cette vieille légende des taulards qui se masturbaient dans des gants remplis de spaghettis". Matthias Van Khache, une des stars du film, en avait aussi entendu parler dans son internat catholique de Poitiers, mais avec des coquillettes. Et American Pie n'est pas la première œuvre à s'inspirer de cette légende urbaine. En 1969, l'auteur américain Philip Roth avait fait scandale en décrivant dans Portnoy et son complexe une scène similaire, mais avec une tranche de foie de veau.

Stéphane Kazandjian n'est pas dupe et il sait ce qu'il doit au succès d'American Pie: "J'ai présenté [le scénario] à un pote, Antoine Rein, qui avait un pote chez Pathé, Romain Legrand, qui venait de sortir American Pie. Il cherchait absolument à faire un teen movie français." Son scénario plaît tant, qu'il se voit aussi confier la réalisation du film. Mais un défi de taille l'attend: rendre crédible en France le "teen movie", genre particulièrement codifié et indissociable de l'"American Way of Life".

Trouver les "sexy boys"

Tout bon "teen movie" repose sur son casting. Par chance, le projet plaît et toute la nouvelle génération - dont Alexis Michalik et Alice Taglioni - défile au casting. Stéphane Kazandjian est à la recherche de physiques bien particuliers. Pour Seb, son héros, il souhaite "un jeune Ben Stiller": "quelqu'un de plutôt petit, brun et de complexé", mais aussi de naïf - soit exactement le personnage incarné par la star américaine dans Mary à tout prix des frères Farrelly.

Pour trouver cette perle rare (et les interprètes de ses deux meilleurs amis), Stéphane Kazandjian soumet les acteurs à un exercice particulier: il demande aux candidats de mimer un orgasme. "Selon les comédiens, un visage de jouissance peut donner quelque chose de crispé, d'un peu angoissant ou au contraire d'assez rigolo", note le réalisateur. "Comme on savait qu'il y avait ce moment-là dans le film, il ne fallait pas que ce soit gênant. Il fallait que ça reste rigolo."

Son choix se porte sur trois jeunes comédiens inconnus alors au début de leur carrière: Julien Baumgartner, Jérémie Elkaïm et Matthias Van Khache. Immense fan de "teen movies", ce dernier craint un coup marketing après le succès d’American Pie. Il se montre d'autant plus méfiant envers Sexy Boys qu'il n'a pas accès au scénario lors du casting. Mais en discutant avec Stéphane Kazandjian, ils se découvrent des atomes crochus.

"Un grand moment de tendresse" avec Sylvia Kristel

Dans ce film très masculin, Armelle Deutsch, dont c'est le troisième rôle au cinéma, se démarque avec un rôle d’effrontée entre Christina Ricci dans La Famille Addams et Katharine Hepburn dans L'Impossible Monsieur Bébé. "J’ai écrit son rôle de Lucie en pensant à Mercredi Addams", confirme Stéphane Kazandjian. Un personnage féminin fort, indépendant, plus consistant que celui de la bimbo, dévolu à Sarah Marshall, la petite-fille de Michèle Morgan, dont c’est la première apparition à l’écran.

Sylvia Kristel, la mythique interprète d'Emmanuelle, complète la distribution. Elle apparaît brièvement dans le rôle d'une sexologue, assise dans un fauteuil en osier. "C'était un grand moment de tendresse sur le plateau", se rappelle Stéphane Kazandjian. "Je n'ai pas joué avec elle, mais elle était très impressionnante", ajoute Matthias Van Khache. "Elle se demandait un peu ce qu’elle foutait là, je pense, mais elle était très consciente de l’aura qu’elle dégageait de par sa carrière."

"Personne n'a voulu rester pour voir ça"

Le tournage dure neuf semaines. La bonne humeur compense l'absence de moyens. Les comédiens doivent apprendre à se connaître pour former des amis crédibles. "On a eu une coach formidable, Patricia Sterlin de chez Pygmalion, qui nous a beaucoup aidés à devenir des amis d'enfance", se souvient Matthias Van Khache. Et chose rare en France: ils obtiennent trois mois de répétition avant le tournage. Un temps pour retravailler aussi le scénario en fonction des improvisations de chacun.

Étonnamment, lors de ce travail préparatoire, les producteurs ne poussent pas les comédiens et le réalisateur à se rapprocher d'American Pie. "Ils nous ont laissés plutôt tranquilles sur cet aspect-là. Ils aimaient bien le scénario tel qu’il était", insiste Matthias Van Khache. Ce dernier égaie le plateau en passant Build Me Up Buttercup des Foundations, la chanson du générique de Mary à tout prix. "On dansait comme des fous. Tout était très joyeux dans ce film." Même la venue sur le plateau de Jérôme Seydoux, le patron de Pathé, est source d'amusement, se souvient l'acteur:

"On l'avait suivi toute la journée pour avoir l’affiche de Sexy Boys sur la devanture Pathé Wepler. On était avec Jérémie nos pantalons sur les chevilles, en caleçon, en train de suivre Jérôme Seydoux et de dire, 'Jérôme, il nous faut l'affiche'. Ça l'avait fait beaucoup rire. C’est quand même quelqu'un qui a de l'humour, parce qu'il aurait pu très bien se vexer. On était vraiment des petits cons très irrévérencieux."

Julien Baumgartner se montre plus sérieux. Acteur à la formation classique, il donne de sa personne dans la scène phare du film, où son personnage se masturbe puis éjacule dans un gant de cuisine rempli de spaghettis. "Je ne vais pas dire que c'est le moment du film où il était le plus à l'aise, mais il a vraiment bien joué le jeu", salue Stéphane Kazandjian. Le tournage de la scène se déroule en petit comité. "Personne n'a voulu rester pour voir ça", précise Matthias Van Khache. "C'est quelque chose que tu as envie de faire seul."

"C'est la force du vomi"

Matthias Van Khache a aussi le droit à sa scène potache, où il se bat avec un godemiché dans une salle de bain exiguë. Jérémie Elkaïm, lui, souffre de violents vomissements lors d'un entretien d’embauche. Une référence au fameux "Quand je suis content, je vomis" de La Cité de la peur (1994).

"Tout cela était tellement bon enfant. Il n'y avait pas le but de choquer ni d'être graveleux", dit Stéphane Kazandjian, qui reconnaît s'être laissé emporté par son amour du gag: "C'est la force du vomi, ça efface tout. La volonté de faire du gag a fait passer 'le discours' un peu en arrière."

Car, derrière son côté potache, Sexy Boys est beaucoup plus profond qu'il n'y paraît: sincère, sans une once de cynisme et même un peu romantique, tout l'opposé de Quatre garçons pleins d'avenir, autre "teen movie" culte de l'époque. Au-delà du gag des pâtes au sperme, exploité à fond dans la campagne promotionnelle à l’époque, Sexy Boys raconte "quand même une vraie histoire avec des vrais personnages", "l'histoire de trois mecs qui se cherchent dans leur identité masculine":

"Il y a le soi-disant fêtard, qui n'a qu’une trouille: se caser et de ne pas avoir connu assez d'expérience. À l'inverse, celui qui rêve de se caser, de la femme, de la voiture, du pavillon, se fait larguer et se retrouve complètement paumé. Et puis le dernier est confronté à la femme-mère et il est atteint dans sa virilité. Ce n'est pas du tout un film pamphlet, mais je trouvais ça intéressant de les traiter par la comédie ado."

"On s'est fait déglinguer"

Personne, à la sortie, le 26 décembre 2001, ne percevra cette dimension. Sexy Boys décroche malgré tout le soutien de la presse internationale, dont le New York Times et Variety, qui encense la capacité de Stéphane Kazandjian à sortir des sentiers battus de la comédie française traditionnelle. La critique parisienne se montre en revanche sans pitié. Matthias Van Khache est encore blessé par un article paru dans la revue Ciné Live sous la plume de Sandra Benedetti.

"Je ne lis pas les critiques, mais l'article m'avait touché. C'était d'une injustice totale", se lamente encore le comédien. "C'était limite une attaque ad hominem. Ce n'était même pas une critique constructive. Elle n'avait pas compris la sincérité de notre démarche."

Amertume partagée par Stéphane Kazandjian, qui assiste impuissant au dézinguage en règle de son film dans les médias. Le souvenir du passage de Matthias Van Khache et Sarah Marshall dans l'émission de Laurent Ruquier On a tout essayé est encore douloureux. "On s'est fait déglinguer", reconnaît l'acteur, encore marqué par les propos de la chroniqueuse Valérie Mairesse, star de Banzaï avec Coluche. "Elle avait la dent plutôt dure pour quelqu'un qui n'a pas non plus que des chefs-d'œuvre dans sa filmographie!"

"On était un peu comme le coin porno"

Surprise par la virulence de la chroniqueuse, Sarah Marshall se liquéfie devant les caméras. Matthias Van Khache tente de sauver les meubles face à Laurent Ruquier et ses chroniqueurs, qui leur reprochent d'avoir plagié American Pie. Stéphane Kazandjian avait anticipé ce genre de situation. Il avait insisté pour que la promo évite soigneusement toute référence à American Pie et s'appuie sur ce qui faisait la singularité du projet, à savoir la masculinité fragile incarnée par ses trois héros.

"Je voulais reprendre Sexy Boys, la chanson du groupe Air, dans une pub en noir et blanc, façon pub pour parfum, avec nos trois acteurs en caleçon et faire un truc assez second degré. Sauf que forcément tout ça est passé à l’as. Pathé a plutôt mis en avant les pâtes et American Pie. C'est toujours le problème des sorties de film. On a besoin de vendre le produit, donc il faut un angle d'attaque. 'Une comédie drôle et tendre sur des jeunes adultes', ça vend moins de tickets que le 'American Pie à la française'!"

Le réalisateur choisit de se rallier aux arguments du studio. Il ne regrette pas: Sexy Boys dépasse les 500.000 entrées. Un joli succès pour un premier film sans star. Les séances complètes de Harry Potter à l'école des sorciers, sorti le 5 décembre 2001, lui profitent. "Si le gros blockbuster de Noël avait été un Pixar, on aurait vachement moins bénéficié du report", analyse Matthias Van Khache. "Les gamins de 14-15 ans qui ont grandi avec Harry Potter étaient en âge de pouvoir aller voir Sexy Boys et ça les faisait marrer. On était un peu comme le coin porno [des vidéos club]!"

"J’étais sur le cul"

Après le succès public vient la reconnaissance de la profession. Matthias Van Khache se remémore d'une rencontre impromptue avec Céline Tran six mois plus tard à la soirée de lancement de Trois Zéros de Fabien Onteniente. Celle qui est encore une star du X, sous le nom de Katsumi, lui confie au beau milieu du VIP Room son amour pour Sexy Boys. "J’étais sur le cul!", commente l'acteur.

Après le succès du film, Matthias Van Khache tourne Les Gaous, une autre comédie potache devenue culte. Il devient malgré lui le visage du teen movie made in France et croule sous les propositions. Il en a encore une à l'esprit: Samedi 14, le film qui fait plus peur que Vendredi 13, un mélange de "teen movie" et film d'horreur, écrit par Franck Dubosc. "J'ai refusé après avoir lu le scénario", élude-t-il.

L'idée de faire une suite de Sexy Boys est évoquée, mais rapidement abandonnée. "Le film aurait fait 800.000 ou un million d'entrées, on y serait allé", assure Stéphane Kazandjian. "C’était bien sans être un carton. On s’en parle aujourd'hui, mais ce n'est pas le film qui a marqué une génération. Ce n’est pas LOL." Quelques années plus tard, Pathé produira en 2006 Mes Copines, un pendant féminin de Sexy Boys, preuve que le film de Stéphane Kazandjian avait suffisamment marqué les esprits.

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Article original publié sur BFMTV.com