Services publics dégradés : « On a créé un boulevard pour le privé », alerte ce collectif

« Nos services publics » s’alarme dans un rapport du fait que le service public devienne « un service minimum et dégradé ».
LOIC VENANCE / AFP

ÉTAT - La hausse des moyens ne fait pas tout. Le collectif de fonctionnaires « Nos services publics » s’alarme du fait que le service public devienne « un service minimum et dégradé », miné par la concurrence d’offres privées. C’est l’objet d’un rapport, auquel ont collaboré plus de 100 experts et agents de terrain, publié jeudi 14 septembre.

Lucie Castets, professeure associée à Paris Dauphine, est l’une des porte-parole du collectif, qui a vu le jour il y a deux ans. Elle a répondu aux questions du HuffPost.

Le HuffPost. Dans votre rapport, vous constatez que malgré une augmentation des moyens financiers et humains dans les services publics, ces derniers semblent au bord de l’effondrement. Comment expliquer ce paradoxe ?

Lucie Castets. C’est parce que les besoins ont augmenté beaucoup plus vite que les moyens. Si l’on regarde par exemple le domaine de la santé, l’augmentation des besoins est liée au vieillissement de la population, à l’explosion des affections longue durée (ALD) et à l’augmentation de la démographie. C’est un peu pareil pour l’éducation. Globalement, les évolutions démographiques des dernières décennies conduisent à augmenter la demande de service public. Et ce que l’on constate, c’est que les moyens n’ont pas suivi.

Par exemple, le nombre de fonctionnaires : c’est vrai que leur nombre a globalement augmenté sur les dernières décennies. Mais il a augmenté moins vite que le nombre de salariés du privé, donc la part des fonctionnaires diminue. Et cet écart a créé un boulevard pour les acteurs privés.

Vous parlez de l’augmentation des besoins, mais aussi de l’évolution ou de l’apparition de certains besoins de services publics. Pouvez-vous nous donner des exemples ?

LC. Il y a des exemples exogènes, comme la transition écologique. Il y a encore quelques années, on ne réfléchissait pas tellement en termes d’isolation thermique des logements, à part si vous habitiez au fin fond des Alpes ou à l’extrême Sud de la France. Donc le réchauffement climatique a mis sur la table d’autres questions d’infrastructures et d’investissement, y compris dans les transports.

Et puis il y a des exemples endogènes, qui sont liés aux évolutions sociétales, qui font qu’ont émergé des besoins qui auparavant n’étaient pas révélés. Par exemple, nous estimons qu’il y a toujours eu un besoin moral de lutter contre les discriminations raciales ou la violence contre les femmes. Mais la tolérance de la société à ce type de violences a décru - ce qui est une bonne chose ! -, ce qui a des répercussions sur les besoins de service public.

Vous soulignez aussi dans votre rapport les inégalités géographiques des Français face aux services publics.

LC. Oui. Quand on regarde par exemple la densité médicale, sur les dix dernières années, les dix départements qui étaient déjà en surdensité médicale ont vu leur densité encore augmenter, alors que les 48 en dessous de la moyenne nationale ont encore vu leur nombre de médecins par habitant diminuer.

C’est vrai aussi pour la police et la justice, les répartitions sont parfois assez étonnantes, au gré de classifications du ministère de l’Intérieur pas toujours compréhensibles. Il y a beaucoup plus de magistrats par exemple dans l’Est de la France, alors que dans l’Ouest, où la demande augmente, c’est plus bas.

Que ce soit dans le secteur de l’éducation ou dans celui de la santé, vous mettez l’accent sur les inégalités sociales qui s’accroissent, entre ceux qui choisissent le privé et ceux qui n’en ont pas les moyens.

LC. Oui. À l’école publique, par exemple, les effectifs d’élèves n’évoluent pas beaucoup. En revanche, leur composition oui : il y a une forme de polarisation public versus privé. Avec le public, qui accueille tout le monde et se vide de ses populations les plus favorisées, et le privé qui accueille de plus en plus une population homogène et favorisée.

Au niveau des transports, vous rappelez que 90 % des trajets hors Île-de-France sont faits en voiture. Qu’est-ce que ce chiffre révèle, selon vous ?

LC. Il montre que la France a un maillage ferroviaire qui n’est pas bon, avec une tendance à la métropolisation, qui a fait que les zones rurales sont de plus en plus désertées. Dans ces endroits, pour aller d’un point A à un point B, il n’y a pas d’autre solution que la voiture. Il y a un double besoin ici : celui de se déplacer, qui croît, et celui de réduire les gaz à effets de serre. Un double besoin qui devrait doublement pousser à des financements publics majeurs.

Alors que les inégalités sociales et territoriales sont flagrantes dans tous les secteurs, peut-on encore parler de service public ?

LC. Oui, on peut continuer à parler de service public, ne serait-ce que dans une perspective optimiste. Il y a la coquille à sauver ! Il y a une vraie brèche dans l’universalité que représentaient les services publics il y a encore quelques dizaines d’années, avant le développement de l’offre privée. Mais le service public, les infrastructures publiques, restent utilisées par une immense majorité des Français. Et une étude de 2021 de l’OCDE montre qu’une grande partie de la redistribution en France reste encore opérée par les services publics. Notre objectif, c’est de les sauver.

Que faut-il faire, selon vous ?

LC. Il faut arrêter de se poser la question en termes de moyens mais plutôt partir des besoins. Et ensuite, se dire qu’il faut restaurer la vocation universelle des services publics en les finançant de la manière la plus adaptée possible. Par exemple, en arrêtant de déléguer des missions intellectuelles et stratégiques à des cabinets de conseil. Il faut juste avoir une vision du service public qui soit réellement au service de la population et de la réponse à ses besoins.

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