"Le sentiment d’être tombés dans un guet-apens": le récit de trois supporteurs lyonnais présents dans les bus lors des incidents OL-PSG

Avant le départ

"Tout part du retard, dans la nuit, de trois bus qui doivent compléter le cortège des sept autocars affrétés par le KVN (Kop Virage Nord, qui abrite les Bad Gones). Ces trois bus partent, eux, de Paris. A la sortie du dépôt, l’un d’eux endommage une porte. Le temps de faire la réparation, ils démarrent en direction de Lyon. A Bron, au lieu de rendez-vous, on s’impatiente car on nous a dit de venir à 5h30 pour un départ à 6h et l’information du retard n'est pas parvenue aux organisateurs. Finalement, les bus arrivent et tous les sept partent en convoi vers Lille pour un trajet censé durer huit heures. Le convoi essaie de rattraper ce retard en raccourcissant les pauses. Mais c’est difficile dans la circulation d’autant que sur une aire, quelques membres des BG collent des stickers et sont repérés par les gendarmes qui veulent dresser un PV. Cela ralentit le convoi mais finalement, tout le monde se retrouve au bon endroit, à la bonne aire d’autoroute, celle de Rumaucourt. Mais avec une bonne paire d’heures de retard sur la feuille de route initiale. Les organisateurs lyonnais préviennent les autorités de ce retard, puis de l’avancée du cortège".

Une erreur d'aiguillage

"Depuis cette aire d’autoroute, les sept bus du KVN démarrent en convoi, à la demande express des cadres du groupe de supporteurs, alors que les autorités veulent dans un premier temps n'en faire partir que quelques-uns. Ils ont bien fait finalement, quand on voit ce qu’il s’est passé avec cet affrontement où nous étions très peu nombreux face aux 18 bus parisiens. Jamais il n’y a eu de bus rebelle. Tout le monde était ensemble. Ce qui nous a paru bizarre, c’est la petitesse de l’escorte: à peine 6 motos et 2 Kangoo dans le guidage du convoi.

Il faut bien comprendre qu’une fois sous escorte, c’est elle qui guide, et personne d’autre. Les chauffeurs suivent donc les instructions qui sont des ordres. Dans l’approche du péage, ce que nous ne comprenons pas, c’est que nous voyons sur une aire que nous dépassons, des bus parisiens. On trouve ça bizarre… Là, les cadres se disent qu’il y a quelque chose qui ne va pas bien se passer. Et tout à coup, quand nous arrivons au péage, nous découvrons les bus parisiens sur le côté. Normal, ils sont au bon endroit puisque leur point de ralliement, c’était justement ce péage.

Sauf que si nous avons tout compris, l’escorte s’est trompée de péage pour nous. Jamais, nous n'aurions dû être à cet endroit à cette heure. Nous aurions dû être à un autre péage. On voit les patrons des Bad Gones qui s’inquiètent pour les familles, les anciens et les mamans dans le bus car ils savent que, d’expérience, cela peut mal se passer. L’atmosphère se détériore d’un coup avec des insultes dans des cars des Bad Gones car, visiblement, un drapeau 'Free Palestine' sur une vitre d’un bus parisien attire leur attention et leur fait faire des conneries comme des doigts d’honneur, des chants... Certains alcoolisés dérapent. On a entendu des cris de singes et des cris racistes, il ne faut pas le nier."

Une rencontre qui n'aurait pas dû avoir lieu

"Ce que l’on se dit, c’est que depuis le début, les clubs avaient identifié un truc et avaient bien prévenu les autorités: il ne faut pas que les ultras se rencontrent. Or, le retard a fait que cela s’est passé. Puis à cause de l’erreur d’aiguillage de la police, car les autorités n’ont pas adapté le dispositif à partir des données logistiques remontées. On nous dit que d’un côté, il y avait une escorte police et de l’autre une escorte gendarmerie. La communication n’a pas été assez bonne. C’est là que nous ne savons pas trop comment cela se déclenche. Dans un bus, un responsable explique qu’il va se mettre devant la porte en cas d’attaque pour éviter l’intrusion. Ils se mettent là en 'protection', nous disent-ils.

Je vous avoue que la confusion règne assez rapidement, et ce durant 45 bonnes minutes. Nous n’avons pas trop le temps de réfléchir que cela part de partout. Notre ressenti, c’est d'être tombés dans un guet-apens. Nous comptons plutôt 35 membres des forces de l’ordre que les 80 qu'avancent les autorités. Nous sentons que les forces de l’ordre ont la peur dans leurs yeux, tellement il y a de la violence soudaine. Et les policiers et gendarmes ne font que reculer. Qui a vraiment commencé? C'est difficile de le dire, tant ça a été soudain et fort. Dire qu’il y avait des personnes alcoolisées, évidement, malheureusement."

Un déferlement de violence

"Un supporter parisien veut alors jeter un fumigène dans le bus. Une dame lui dit: 'Vous êtes malade, ce sont des enfants'. Cela ne l’arrête pas. Le fumigène ripe et va sous le bus. En voyant que son bus va brûler, le chauffeur panique, cale et la barrière le stoppe. Il ne peut plus faire de manœuvre. Comment il a pris feu, on ne peut pas l'expliquer même si on pense que c’est une fois des vitres cassées que des fumigènes sont lancés. A ce moment-là, des cadres des Bad Gones vont au secours des familles. Ils cassent les vitres et sortent les personnes par les fenêtres. Une trentaine, dont une femme enceinte. Sans cela, y aurait eu des morts. Il doit y avoir encore trente personnes dans le bus. L'un d'eux va même prendre un extincteur pour aider à éteindre. Mais cela ne sert à rien.

Tout autour du péage, le face-à-face avec des supporteurs parisiens se déroule. Eux sont équipés de clubs de golf, de perches télescopiques, de barres de fer, de battes de baseball, de chaines de vélo... Avec des mortiers d’artifice, ils visent un groupe pendant 40 secondes. C’est long! Certains utilisent même des barres de chantier qui trainent. Celadure bien 45 minutes. De notre côté, nous sommes à mains nues. Nous n’avons aucune arme par destination. Nous pensons que la vidéo surveillance du péage le confirmera.

Quand certains se battent en mode 'défense', d’autres cadres aident à diriger les femmes et les enfants derrière les voitures de police. Puis dans une barraque de chantier. Et plusieurs vont se réfugier dans un bureau-guichet à côté de l’autoroute qui était ouvert. Ils s’y barricadent. Enfin, des forces de l’ordre arrivent en renfort. Quant à nos bus 'abandonnés', ils sont pillés et les affaires personnelles sont volées comme des papiers, des clés de maison, des effets personnels... Quant aux mamans, elles soignent des blessés et réconfortent les jeunes enfants dont certains pleurent et paniquent. J’ai entendu une jeune ado dire: 'Mais Maman, c’est cela la guerre civile?'"

Après le retour au calme

"Une fois le calme revenu, les bus des familles de joueurs, qui sont déjà à Lille, font office de taxi pour ramener les supporteurs, dont les bus sont endommagés, au péage pour les conduire. Ils roulent au mieux à 25km/h avec une escorte conséquente cette fois-ci, ils mettent dont du temps pour arriver au stade. Certains arrivent à la mi-temps, d’autres à la 55e et certains arrivent dans le temps additionnel. Après le match, sur les sept bus initiaux partis de Lyon le matin, seuls deux sont utilisables. Il faut donc en remplacer cinq. Sur réquisition de la préfecture des Hauts-de-France, quatre nous ramèneront à Lyon. Il n’y a pas de place pour tout le monde. Certains restent sur Lille pour prendre le premier train le lendemain. Tous les autres bus de supporteurs lyonnais (Virage sud, Rouge et Bleus…) devront attendre que les autocars 'remplaçants' arrivent. Soit près de trois heures après la fin du match. Le cortège des bus démarrent enfin à 2h du matin. Certains arrivent à 10h30 à Lyon-Bron quand d’autres arrivent à destination peu avant midi. Ce lundi matin encore, ceux qui ont fait ce déplacement sont traumatisés. D’ailleurs, l’information a rapidement circulé qu’une cellule psychologique allait être mise en place par les Bad Gones, dont les cadres ont passé la soirée du dimanche à prendre des nouvelles d’un maximum de personnes. Mais nous avons vraiment le sentiment d’être tombés dans un guet-apens. C’est ce qu’il me restera de cette soirée et de ce déplacement. Nous n’avons pas apprécié de voir les supporteurs parisiens se pavaner avec les affaires personnelles et autres sur les réseaux sociaux. Cela ajoute beaucoup de colère et d’amertume après coup."

Article original publié sur RMC Sport