"Les Segpa au ski", la comédie qui veut faire rayonner l'esprit marseillais

Des comédies tendres aux gags délirants: c'est la recette gagnante des Segpa (710.222 entrées en avril 2022), dont la suite, intitulée Les Segpa au ski, sort ce mercredi en salles. Une recette qui après le succès des Déguns (presque un million d'entrées au cinéma pour les deux volets) semble faire ses preuves et faire de Marseille le nouvel Eldorado de la comédie française.

"Il y a une sorte de 'Movida' marseillaise en ce moment", acquiesce Ali Bougheraba, coréalisateur et coscénariste des Segpa avec son frère Hakim, faisant référence à ce mouvement culturel espagnol du début des années 1980. "Il y a une renaissance du rap avec les nouvelles générations, mais aussi avec le cinéma issu de la web série qui transforme l'essai" dans les salles obscures.

Pour Hakim Bougheraba, Marseille "fait rêver". "C'est l'une des villes les plus ensoleillées d'Europe. Il y a un brassage ethnique et culturel. C'est Los Angeles en France! On ne comprend pas pourquoi les studios ne sont pas ici." "C'est là que l'un des premiers films parlants, Marius, a été tourné", rappelle Ali Bougheraba. "Il y a toujours eu une industrie de l'entertainment à Marseille même si ça a été éclipsé par Paris."

"Toujours bienveillants"

Ali et Hakim Bougheraba, qui dirigent dans Les Segpa leur frère Ichem (Nouveaux riches sur Netflix), tiennent à préserver cette identité marseillaise dans leurs films. "Le seul point commun avec les Déguns, c'est ce que ce sont des personnages marseillais qui n'ont pas gommé leur accent ni leur caractère. Il y a cette empreinte marseillaise assumée pour la faire rayonner sur la France", insiste Ali Bougheraba.

La fratrie - qui compte en tout cinq frères, dont l'humoriste à succès Redouane Bougheraba, et une sœur - définit son ton avec "deux mots diamétralement opposés: caricatural et sincère". "C'est tout ce qui ressemble à Marseille", précise encore Ali Bougheraba. "C'est caricatural. Ça fait beaucoup de bruits. Il y a de grands gestes, des personnages hauts en couleur. Mais ça reste mignon."

"Nos films sont toujours bienveillants", confirme Ichem Bougheraba. "On vanne très, très fort, mais c'est fait avec amour."

"On était sûr de notre coup"

Une manière de répondre à leurs détracteurs qui les accusent de stigmatiser les élèves de Segpa, une "section d'enseignement général et professionnel adapté" qui accueille des jeunes de la 6e à la 3e présentant des difficultés scolaires importantes. "On a pris très sereinement (ces critiques)", réagit Hakim Bougheraba. Et Ichem Bougheraba d'enchaîner:

"Quand tu vois en France le taux de harcèlement et de suicide (dans les écoles), (l'absence) de chauffage dans les classes... Va mettre le chauffage et après viens nous dire qu'on fait un film qui stigmatise un groupe d'élèves. On n'a rien inventé. Ils ont créé cette section, ils ont décidé de mettre ces élèves-là dans ces classes-là. On a juste récupéré un nom pour faire une série."

"À la base, c'était noble: faire des classes pour faire des métiers professionnels", rappelle Ali Bougheraba, récompensé aux Molières en 2017 pour son spectacle Ivo Livi ou le Destin d'Yves Montand. "Mais ce n'est pas ce qui se passait sur le terrain. On prenait les élèves les plus problématiques et on les réunissait dans ces classes. C'était des classes fourre-tout. Ça a fait l'objet de moqueries. On était sûr de notre coup parce que le film, on l'a fait on l'a écrit. On savait qu'il était bien."

Se moquer des clichés

Cousins marseillais des Sous-Doués, Les Segpa au ski ont été aussi bien inspirés par leurs souvenirs en classe de neige que par le dessin animé des années 1990 La Cour de récré, qui suit un groupe d'élèves d'école primaire. "Je voulais un délire avec des potes dans une salle de classe", se souvient Ichem Bougheraba. "Si tu regardes La Cour de récré et que tu mets Les Segpa à côté, tu verras que ça se ressemble un peu."

Les frères Bougheraba entendent avant tout casser les clichés sur les jeunes issus de la diversité. "On veut se moquer des clichés", confirme Hakim Bougheraba. "Ces jeunes de quartier qui grandissent en disant détester la France, quand tu les ramènes vraiment en Algérie, ils pètent un plomb et ils ne tiennent pas une semaine là-bas." Une expérience que va vivre dans Les Segpa au ski un de leurs héros.

"Charly (Nyobe, un des interprètes des Segpa) joue un jeune noir qui se retrouve du jour au lendemain, après un accident de ski, avec des migrants. Quand il revient de son périple, il adore la France. Il a découvert la misère du monde et il se dit que finalement il a de la chance en France", explique Hakim Bougheraba. "Il fait son coming out à la France", précise Ichem Bougheraba.

"La comédie a perdu ses lettres de noblesse"

Dans Les Segpa au ski, Ichem Bougheraba voit aussi son personnage évoluer et devenir professeur. "Dans le 2, Ichem a pris conscience que dans l'école où il était, il avait une chance d'évoluer", note encore Hakim Bougheraba. "Une fois qu'il a eu conscience de ça, il décide d'embarquer ses potes avec lui." Et d'ajouter "Chaque personnage a son message."

Si le public est séduit par cette proposition, la presse l'est beaucoup moins. Le Parisien a qualifié de "solaire" la prestation de Ichem Bougheraba, Le Dauphiné Libéré avait taxé le premier film de "cinéma pour les nuls" et Télérama avait estimé que le résultat était "consternant de bêtise". "Ce qui est malheureux, c'est que la majorité des journalistes ne sont pas de notre génération", note Ali Bougheraba.

"Ce n'est pas du tout leur tasse de thé, ce qu'on fait. Du coup, on se retrouve à être jugé par des gars qui ne nous comprennent pas", complète le réalisateur. "Mais ce n'est pas un film qui va révolutionner l'histoire du cinéma. C'est un prétexte pour s'amuser, pour délirer entre potes, entre frères, entre Marseillais. Si on peut glisser un tout petit message, c'est bien. Dans le premier film, c'était (qu'il faut) avoir un peu d'amour et d'attention."

"Aujourd'hui, la comédie a perdu ses lettres de noblesse en France. À une époque, c'était quelque chose de respectable", déplore-t-il. "On n'est pas financé par le CNC et on lui fait gagner de l'argent. Le CNC prend 10% de ce qu'on gagne. Tout ça est reversé aux films d'auteur qui snobent les comédies." "Il ne faut pas qu'il y ait de guerre entre cinéma d'auteur et comédie", nuance Hakim Bougheraba. "Il y a qu'un seul cinéma."

"On a écrit beaucoup de projets"

La fratrie fourmille de projets. Ichem Bougheraba a écrit avec ses frères une adaptation de Sous écrous, une autre de leurs web-séries à succès. Pendant ce temps, Ali Bougheraba tourne en février en Inde avec leur autre frère Redouane Bougheraba la comédie Délocalisé. "On s'est un peu dispersé comme les boules de cristal (de Dragon Ball). On a écrit beaucoup de projets, plein de scénarios", prévient Hichem Bougheraba.

Si leurs films semblent pour le moment plus appréciés en régions qu'à Paris, leur public semble assez varié. La semaine dernière, lors d'une avant-première au festival des Arcs, les frères Bougheraba ont été surpris de voir leur comédie plaire aux seniors réunis ce soir-là. "Bizarrement ils ont aimé", raconte Ali Bougheraba. "Ils nous ont dit c'est comme Les Bronzés! C'est le meilleur compliment", sourit Ichem Bougheraba.

Article original publié sur BFMTV.com