Les scientifiques peuvent pister votre ADN dans l’eau, le sable, et même dans l’air
SCIENCES - Nous laissons des traces de notre ADN partout, et en quantité assez suffisante pour nous identifier. C’est la découverte faite par des chercheurs de l’Université de Floride, dévoilée dans une étude parue le 15 mai dans Nature Ecology & Evolution. David Duffy, l’un des auteurs a expliqué dans un communiqué qu’ils ont été « surpris de la quantité et de la qualité de l’ADN humain récolté. Dans la plupart des cas, c’était d’une qualité quasiment équivalente à celle d’un échantillon directement prélevé sur une personne ».
Alors bonne ou mauvaise nouvelle ? Difficile de trancher. L’étude souligne en effet que si cela peut être prometteur dans plusieurs domaines, dont celui de la santé, cette découverte pose aussi d’importantes questions éthiques.
D’autant plus que les scientifiques ne s’attendaient pas à une telle trouvaille, qui n’est que le fruit du hasard. À l’origine, les chercheurs floridiens menaient une étude sur les tortues marines en danger d’extinction à l’aide de la méthode de l’ADN environnemental. Il s’agit d’une méthode qui consiste à analyser l’ADN laissé par les êtres vivants dans leurs milieux de vie. Et en poussant leurs recherches, les experts ont trouvé de l’ADN humain dans l’eau, en ville, dans l’air d’une clinique vétérinaire, et même dans le sable. Bref, partout.
Entre enthousiasme et inquiétudes
Ici, les spécialistes étudiaient donc du sable, lorsqu’ils ont constaté qu’il y avait de l’ADN humain et pas seulement des traces mais une qualité suffisante pour pouvoir le séquencer. C’est un procédé qui consiste à analyser l’ADN et à déterminer la succession de molécules qui le compose. Cela permet notamment de détecter si des mutations génétiques, c’est-à-dire des modifications de cette succession, ont eu lieu.
C’est dans ce sens que cette découverte peut être considérée comme bénéfique, souligne l’étude. En effet, cela permettrait de distinguer les mutations responsables de maladies très répandues comme le diabète, le cancer ou encore l’Alzheimer de manière « non invasive ». C’est-à-dire en analysant de l’ADN récolté là où l’Homme laisse des traces, dans les eaux usées par exemple, sans avoir besoin de prélever des échantillons.
Le rapport souligne que l’utilité de cette méthode dépasse le secteur médical. Elle pourrait être utilisée en archéologie, pour découvrir de nouveaux sites et en savoir plus sur la composition génétique des anciennes civilisations, mais aussi dans le domaine judiciaire. Cela pourrait aider « à résoudre des affaires criminelles », en retrouvant l’ADN de malfaiteurs encore plus subtilement qu’avec des traces de doigts ou de cheveux, ou bien en « identifiant des dépouilles ».
Mais tous les auteurs de l’étude s’accordent aussi pour dire que cette nouvelle technique pourrait être source de dangers. Une partie du rapport est d’ailleurs dédiée à souligner ses « potentielles répercussions problématiques », et c’est principalement la question de l’éthique qui se pose. Car pouvoir séquencer ainsi de l’ADN trouvé dans la nature, c’est aussi pouvoir identifier quelqu’un à son insu, et se procurer de nombreuses informations sur son patrimoine génétique et sur sa santé.
Un secteur à réglementer
À partir des informations génétiques récoltées, les chercheurs de l’Université de Floride sont d’ailleurs parvenus à retrouver des mutations génétiques associées à des origines ainsi qu’à des maladies spécifiques. Mais ils ne sont pas allés plus loin, justement pour respecter leur déontologie.
En effet, Matthias Wienroth, professeur à l’Université de Northumbria en sciences sociales et éthiques de la génétique, n’a pas participé à l’étude mais a confié à CNN que « les scientifiques impliqués ont pris au sérieux les aspects éthiques de leur travail ». Ces derniers précisent en effet les dérives qui pourraient découler de leur découverte : « une violation de la vie privée, […] une accumulation illégale d’informations génétiques » ou encore « une traque de certaines minorités ethniques ». Ils invitent également à de « nouvelles réglementations » pour éviter ce genre de problèmes.
Yves Moreau, professeur à l’Université de Louvain en Belgique et expert en intelligence artificielle et en génétique, modère quant à lui ces inquiétudes. Il explique à CNN que d’après lui, un scénario dans lequel la population serait traquée à l’aide du séquençage d’ADN trouvé dans les eaux usées serait « imaginable […] mais un peu tiré par les cheveux ». « Nous avons besoin d’un débat politique sur le respect de la vie privée [...], en particulier en ce qui concerne l’ADN. Mais il n’y a pas de raison de paniquer », conclut-il finalement.
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