Avec Sciences Po, la cause palestinienne étouffée par un festival de surenchères et de raccourcis

Avec Sciences Po, la cause palestinienne étouffée par la surenchère et les raccourcis (photo de manifestants devant Sciences Po Paris, le 26 avril 2024)
JULIEN DE ROSA / AFP Avec Sciences Po, la cause palestinienne étouffée par la surenchère et les raccourcis (photo de manifestants devant Sciences Po Paris, le 26 avril 2024)

POLITIQUE - Terrain glissant. Depuis plusieurs jours, les mouvements de mobilisation en soutien à Gaza et au peuple palestinien se multiplient dans les facultés et écoles françaises, électrisant le débat politique à moins de 40 jours des élections européennes.

Après la convocation de Mathilde Panot et Rima Hassan, l’inquiétude des militants pro-palestiniens

Jeudi, une poignée d’étudiants a brièvement perturbé les accès à un site universitaire à Saint-Etienne, quand d’autres ont bloqué l’école supérieure de journalisme (ESJ) de Lille. Autant de nouvelles mobilisations qui font écho, avec celles à Sciences Po ou La Sorbonne, au mouvement en cours sur plusieurs campus aux États-Unis.

En France, l’objectif affiché par ces militants de la cause palestinienne est d’alerter sur la situation dramatique à Gaza et dénoncer les liens de la France, comme de leurs universités, avec Israël. Leur message est cependant étouffé par le festival de caricatures, de raccourcis et de surenchères alimenté par la classe politique, gourmande de s’emparer du phénomène.

Les caricatures de la droite

À droite et à l’extrême droite notamment, on rivalise de propos critiques à l’égard de ces étudiants. Valérie Pécresse, a par exemple choisi de supprimer les subventions de la région Île-de-France à Sciences Po Paris (un million d’euros). Une décision rare. Elle accuse « une minorité de radicalisés appelant à la haine antisémite, et instrumentalisés par la LFI et ses alliés islamo-gauchistes. » Rien de moins.

Les mots sont similaires du côté du Rassemblement national. Sur CNews, mardi, où le porte-parole Sébastien Chenu a dénoncé la « direction paillasson de Sciences Po », « 200 militants d’extrême gauche wokiste » et « le braquage de LFI sur nos établissements d’enseignement supérieur. » Ou à l’Assemblée, quelques heures après, quand le député du Loir-et-Cher Roger Chudeau a fustigé lors des questions au gouvernement « l’islamo-gauchisme » voire « islamo-fachisme », qui « montre son vrai visage, celui hideux, abjecte, de l’antisémitisme. »

Au-delà de ces quolibets dont la teneur infamante vise à décrédibiliser les concernés, certains élus vont même jusqu’à tenir des affirmations douteuses. Même au sein de la droite dite modérée. Mercredi 1er mai, le président LR de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand s’est ainsi lancé dans une diatribe reprochant, entre autres, aux manifestants de « remettre en cause des partenariats avec certaines universités en Israël » - ce qui est vrai - et d’empêcher à certains étudiants juifs d’accéder à des cours.

« Depuis quand il n’y a pas eu la possibilité pour une association juive de tenir une conférence ? Le pluralisme n’est plus respecté. Vous relatez l’actualité tous les jours, vous savez les étudiants juifs qui sont empêchés de rester en cours ou d’intégrer les cours, vous savez exactement comment ça se passe », a-t-il lancé, sans préciser ses propos avec des cas précis, malgré plusieurs relances des journalistes présents en plateau.

En réalité, ce que Xavier Bertrand présente comme une généralité semble reposer sur les témoignages d’étudiants inquiets face au climat ambiant autour du conflit au Proche-Orient et sur une affaire précise, avant les blocages dans les facs. Fin mars, une étudiante juive a affirmé avoir été empêchée d’accéder à une conférence pro-palestinienne à Sciences Po Paris. Après des témoignages contradictoires livrés par caméras interposées, le gouvernement a saisi la justice.

La surenchère des insoumis

Car dans ce contexte, la majorité ne souhaite pas être en reste. Soucieux de couper court aux critiques en laxisme, et ne pas se laisser ainsi déborder par la droite, plusieurs ministres ont tapé du poing sur la table, quitte à verser eux aussi dans la caricature. Ceci, dans le sillage d’un Gabriel Attal prompt à dénoncer « une minorité agissante et dangereuse » et à exiger leur expulsion par les forces de l’ordre.

« Quand on part du fleuve pour aller jusqu’à la mer et jeter l’État d’Israël, ce sont à l’évidence des propos antisémites », a par exemple dénoncé le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti dimanche dernier sur BFMTV, en référence au slogan « de la rivière à la mer », repris par les militants. Et qu’importe si les étudiants concernés, comme les voix qui soutiennent la mobilisation, dénoncent toute forme d’antisémitisme et prônent, pour l’écrasante majorité, la création d’un État palestinien en paix avec Israël.

Il faut dire que dans ce contexte inflammable, les militants sont également victimes de leurs meilleurs émetteurs. La France insoumise, qui a fait de Gaza et de la cause palestinienne son premier axe de campagne pour les européennes, ne loupe pas une occasion de monter au créneau pour défendre cette jeunesse qui se mobilise et pour brocarder ceux qui n’en font pas assez à leurs yeux. Le tout, avec le risque de tenir des propos qui prêtent le flanc aux critiques et déchaînent encore davantage les passions.

« Il y a une part d’utilisation par les politiques » estime auprès du HuffPost Robi Morder, président du GERME (Groupe d’études et de recherche sur les mouvements étudiants), et chercheur associé au Laboratoire Printemps. « Côté gouvernemental, on tend à grossir l’affaire, ce qui permet de dénoncer ceux d’en face », précise-t-il. Et en face justement, rien n’est fait pour apaiser la situation, dans une sorte de réparition des rôles bien définie.

Rima Hassan, la juriste franco palestinienne et visage principal de la campagne de Manon Aubry, s’est par exemple attirée les foudres de nombreux responsables politiques en appelant au « soulèvement » dans les facultés, après le blocage de Sciences Po. Dans un autre registre, la tentation des insoumis de faire passer quiconque critique le mouvement étudiant pour un « soutien inconditionnel » du gouvernement israélien, n’est sans doute pas le meilleur moyen de faire redescendre la pression. Ni de faire entendre le discours de fond.

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