Pour « sauver la santé à l’école », les infirmières scolaires réclament de meilleures conditions de travail

« Les missions ont changé, mais nous ne sommes pas plus nombreuses pour y répondre  » explique Marie-Christine, infirmière scolaire dans un lycée professionnel
« Les missions ont changé, mais nous ne sommes pas plus nombreuses pour y répondre » explique Marie-Christine, infirmière scolaire dans un lycée professionnel

Ce 23 mai, des infirmières scolaires de toute la France étaient réunies à Paris pour réclamer de meilleures conditions de travail et une reconnaissance de leur métier. Témoignages de ces professionnelles qui veulent « sauver la santé à l’école ».

SANTÉ - « On est la clef de voûte de la santé à l’école, et pourtant, à l’heure actuelle, on ne nous laisse que des miettes », soupire Gwenaëlle Durand, infirmière scolaire et secrétaire générale du syndicat national des infirmiers et infirmières éducateurs en santé (SNIES-UNSA). Devant le Sénat, la rue de Tournon est pleine de professionnels en blouses blanches, tous et toutes réunis pour défendre leur métier d’infirmières et d’infirmiers de l’éducation nationale et supérieure.

Alors qu’il y a quelques jours, Le Parisien décrivait l’école comme le « premier désert médical de France », l’enjeu annoncé de cette marche blanche est de taille : « sauver la santé à l’école ». Une revendication qui fait suite à un rapport d’information déposé à l’Assemblée nationale le 11 mai 2023, et qui met en lumière des besoins des élèves grandissants, mais aussi des dégradations des conditions de travail pour les professionnels de santé à l’école, et un manque de personnel flagrant. Le HuffPost est allé à la rencontre de sept de ces soignantes indispensables à l’école.

« Aucun ministère ne nous considère, ni celui de la Santé, ni celui de l’Éducation nationale »

Revendication forte des personnes présentes, la revalorisation salariale des infirmiers et infirmières de l’éducation, notamment l’éligibilité au complément de traitement indiciaire, une prime mise en place après la crise Covid.

« Nous sommes les seules infirmières à ne pas avoir droit au CTI qui a été attribué aux professions hospitalières, puis à d’autres professions, après la crise covid. C’est injuste : nous étions là aussi, en première ligne. Les élèves étaient confinés, ils allaient mal, nous devions les tester, appliquer des protocoles qui pouvaient changer du jour au lendemain… », explique Gwenaëlle Durand. En net mensuel, cette prime représente plus de 180 € par mois supplémentaires. « Pour nous, c’est trois échelons de plus, soit entre 7 et 9 ans d’ancienneté, et 10 % de salaire en plus. C’est énorme, et ce n’est pas acceptable que nous en soyons exclues sans aucun motif ! »

Une injustice que les personnes interrogées sont nombreuses à soulever. « Nous n’avons pas droit aux primes de l’éducation nationale, réservées aux enseignants, et pas droit aux primes du personnel hospitalier. En gros, aucun ministère ne nous considère. Ni celui de la Santé, ni celui de l’Éducation nationale », souligne Valérie, infirmière dans un lycée professionnel.

Un manque de reconnaissance du métier

Pour les infirmières qui témoignent, ce manque de reconnaissance financier s’accompagne aussi d’un manque de reconnaissance global du métier. « Les gens pensent qu’on est là pour mettre un pansement sur des bobos, mais on fait beaucoup plus que ça, raconte Éline, infirmière dans un collège. On est seules dans nos établissements avec, en plus, la responsabilité des écoles primaires du secteur. On fait de l’accueil, on oriente, on fait de l’éducation à la santé, à la sexualité, de la prévention, des interventions dans les classes… Mais on entend souvent “l’infirmière n’est jamais là”. »

Marie-Claude, infirmière dans un collège et un lycée de petite ville, abonde en son sens. « On est là parce qu’on n’est pas reconnues, on est les laissées-pour-compte. Dans l’imaginaire collectif - c’était mon cas aussi, avant de faire ce métier - l’infirmerie scolaire, c’est la planque si on a envie de sécher. Mais en fait, les jeunes ont des vrais problématiques, ils ont besoin d’écoute. »

« La précarité s’est aggravée et installée dans nos établissements »

Pour observer la santé mentale des jeunes, dont on sait qu’elle s’est largement dégradée depuis le début de la pandémie, les infirmiers et infirmiers scolaires sont en effet en première ligne. « Depuis la covid, on a vu le mal-être chez les jeunes augmenter. Le contexte politique, l’inflation, pour les jeunes qui sont confrontés à des choix pour leur avenir, c’est stressant, explique Valérie, infirmière en lycée professionnel. On essaie de les orienter vers un suivi extérieur mais il y a de moins en moins de spécialistes, et ils sont saturés. Alors, on finit par faire du suivi parce qu’ils n’ont personne d’autre. On fait de notre mieux avec les moyens qu’on a, on se forme et on s’entraide, mais on n’a pas la casquette de psychologue. »

Aux difficultés psychologiques s’ajoutent les difficultés financières, comme le souligne Florence, infirmière en collège. « La précarité s’est installée et aggravée dans nos établissements. La santé des élèves, c’est aussi bien dormir, bien manger, être chauffé… On voit bien que certains élèves manquent de beaucoup de choses et sont fragilisés. On essaie de prendre ça en charge au mieux avec les chefs d’établissement, les assistantes sociales et les psychologues scolaires, mais on sent que le maillage est fragile… On colmate les brèches comme on peut. »

« Le métier a changé, mais nous ne sommes pas plus nombreuses »

Marie-Christine est infirmière scolaire depuis 42 ans. Aujourd’hui en poste dans un lycée professionnel, elle a vu son métier et ses conditions de travail évoluer au fil du temps.

« Aujourd’hui, le problème c’est qu’il n’y a plus de médecins et on gère tout toutes seules. Il n’y a plus de médecins scolaires, et de moins en moins de médecins généralistes : les parents sont de plus en plus en difficulté. Tous les matins, on voit des gamins qui n’ont pas été soignés en médecine de ville et viennent à l’infirmerie pour avoir un diagnostic et des médicaments. C’est aussi ça, notre quotidien : gérer les questions de précarité et d’accès au soin. »

L’infirmière explique qu’à cette précarité se sont ajoutées de nouvelles responsabilités : « Les missions ont changé. On fait de l’éducation à la santé, à l’alimentation, à la sexualité, des bilans de santé, de la prévention du harcèlement scolaire, de la prévention des accidents du travail dans les lycées pros, de la prévention des écrans, de la prévention pour l’absentéisme, le décrochage… En plus des soins du quotidien. C’est très bien que le métier se soit adapté, mais on n’est pas plus nombreuses pour le faire : la charge de travail a énormément augmenté ! »

Face à ces enjeux de taille, la profession peine à recruter. « Non seulement les postes ouverts actuellement ne suffisent pas à répondre à la demande, mais en plus, les conditions de recrutement ne sont pas assez attractives : quitte à galérer, autant aller galérer à l’hôpital avec un meilleur salaire, explique Gwenaëlle Durand. Mais on croit à notre métier, qu’on a choisi par vocation et qu’on aime, et on veut lutter pour des conditions de travail acceptables. Parce que la santé des élèves est essentielle pour leur réussite scolaire, parce que les élèves et les familles ont besoin de nous. On réclame une reconnaissance de toute la spécificité de notre exercice, et de faire évoluer la profession. »

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