Pour sauver l’article 3 du projet de loi immigration, le gouvernement cherche la bonne astuce

De gauche à droite : Gérald Darmanin, Olivier Dussopt, Élisabeth Borne et Franck Riester à l’Assemblée nationale le 31 octobre.
EMMANUEL DUNAND / AFP De gauche à droite : Gérald Darmanin, Olivier Dussopt, Élisabeth Borne et Franck Riester à l’Assemblée nationale le 31 octobre.

POLITIQUE - À la recherche de la bonne formule. Le Sénat s’empare ce mercredi 8 novembre du volet « régularisation » du projet de loi immigration et de son très discuté article 3 sur la régularisation des travailleurs sans papier dans les métiers en tension. Mardi soir, droite et centristes sont arrivés à un accord pour en limiter la portée, sans le retirer du projet de loi. De quoi venir en aide au gouvernement qui tâtonne depuis des mois sur un compromis ?

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Petit rappel des forces. D’un côté, la droite emmenée par Éric Ciotti, Bruno Retailleau et Olivier Marleix, qui refusent de voter le texte tant que l’article 3 s’y trouve. De l’autre, une partie de la majorité (et de l’opposition de gauche) qui s’émeut de le voir disparaître. Entre les deux, le gouvernement qui, sans majorité absolue à l’Assemblée, doit réussir à agréger le plus de voix possibles.

Pour résoudre le problème sans froisser un camp ni l’autre, le gouvernement a évoqué au fil des mois plusieurs options : une circulaire, un décret ou une réécriture de l’article. « On ne va pas rentrer dans des débats trop techniques, mais il se trouve qu’il y a besoin d’une disposition législative », a néanmoins avancé Élisabeth Borne sur France Inter le 6 novembre. Interrogé le lendemain par nos soins, son entourage se borne désormais à renvoyer à l’exercice parlementaire : « Nous laissons les débats se dérouler », répond-on invariablement.

Astuce 1 : la circulaire ou le décret ?

L’option de passer par une voie réglementaire via une circulaire a été un temps évoquée par les ministres de l’Intérieur et du Travail : « Est-ce que cela passe par la loi, le décret ou le règlement ? Je suis ouvert sur les modalités », disait dans Le Télégramme Olivier Dussopt le 21 octobre.

Aujourd’hui, la régularisation des travailleurs sans papiers est déjà régie par une circulaire dite « circulaire Valls » de 2012. Ses dispositions sont les suivantes : 5 ans de présence minimum en France ; une ancienneté de travail de 8 mois, consécutifs ou non, sur les 24 derniers mois ou de 30 mois; et enfin - et c’est la principale différence avec l’article 3 du gouvernement - que l’employeur valide la demande via un formulaire CERFA.

Dans un premier temps, l’article 3 du gouvernement vise donc à éviter que la demande repose entre les seules mains des patrons. Autre écueil de la circulaire en général : celui de laisser la décision à la discrétion du préfet. « Une circulaire, notamment sur les régularisations, n’a pas valeur contraignante. Dans le cas de la circulaire Valls, même si le demandeur remplit toutes les conditions y compris le formulaire Cerfa de l’employeur, à la fin c’est toujours le préfet qui décide. Sa marge d’appréciation est extrêmement importante », explique au HuffPost Camille Escuillié, avocate en droit d’asile et droits des étrangers. « En résumé, la loi est toujours plus sécurisante qu’une circulaire », souligne-t-elle, notamment en cas de contestation de la décision en justice.

Astuce 2 : la régularisation reste dans la loi mais réécrite

L’article 3 tel que rédigé dans la version du gouvernement prévoit la délivrance « de plein droit » d’une carte de séjour, si les conditions suivantes sont remplies : exercer un métier reconnu comme « en tension » sur une période d’au moins 8 mois, consécutifs ou pas, au cours des deux dernières années et habiter de façon ininterrompue en France depuis au moins 3 ans.

Mais mardi 7 novembre au soir, les sénateurs LR de Bruno Retailleau et les centristes d’Hervé Marseille sont parvenus à une proposition commune. Elle implique la suppression des articles 3 et 4 (ce dernier concerne l’accès plus rapide au travail du demandeur d’asile) et l’ajout d’un nouvel article sur le sujet dans une version durcie. « C’est magique : l’article 3 disparaît, puis réapparaît », sourit une ministre très satisfaite du compromis.

Exit la notion de « plein droit ». La nouvelle rédaction dont l’AFP a obtenu copie prévoit une régularisation « à titre exceptionnel », avec une « prise en compte » de la « réalité » du travail du demandeur. L’obligation de résidence en France depuis 3 ans a vocation à être maintenue et le demandeur devra aussi fournir 12 fiches de paie, rapporte Le Monde. Sans oublier l’obligation pour le préfet « de vérifier son insertion sociale et familiale, son respect de l’ordre public, son intégration à la société française, son adhésion au mode de vie et aux valeurs de la communauté nationale, et son absence de condamnation pénale », précise Bruno Retailleau au quotidien.

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est « félicité qu’un accord ait été trouvé ». « On peut se féliciter d’une forme d’avancée » car « on est passé d’une position totalement fermée de la droite sénatoriale à une position d’ouverture », a déclaré le porte-parole du gouvernement Olivier Véran à l’issue du Conseil des ministres ce 8 novembre.

Néanmoins, selon Camille Escuillié, la disparition de la notion « de plein droit » est lourde de conséquence. « À partir du moment où vous remettez dans la loi la notion ’à titre exceptionnel’, l’administration retrouve un pouvoir de décision très important », souligne-t-elle.

Ni Gérald Darmanin ni Olivier Véran ne se sont prononcés sur le fond de l’accord trouvé au Sénat, qui, sur le plan purement politique, répond à la nécessité d’une inscription dans la loi exprimée par la Première ministre tout en satisfaisant Les Républicains du Palais du Luxembourg. Une bonne nouvelle en vue du passage à l’Assemblée que le gouvernement espère sans 49-3 ?

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