Sarah Salmona, atteinte d'une myopathie congénitale : "La première solution a été de cacher tout ce qui avait attrait à la maladie"

Atteinte d’une affection neuromusculaire héréditaire, Sarah Salmona doit se déplacer en fauteuil roulant depuis son enfance. Devenue professeure et écrivaine, elle s’est construit une vie à la hauteur de ses attentes, mais c’est sans conteste un combat de longue haleine qu’elle a dû mener avec beaucoup de courage et de force. Pour Yahoo, elle a accepté de revenir sur son histoire.

Changer le regard sur le handicap et transmettre un message fort en faveur de l’inclusion, c’est l’ambition de "Différent.e.s". Pour l’incarner, qui mieux que Salim Ejnaïni : cavalier de Jumping, sportif, conférencier, entrepreneur… et non-voyant ? Comment vit-on avec une "différence", comment apprend-on à s'accepter soi et à accepter le regard de l'autre ? Parcours cabossés, destins contrariés et incroyables leçons de vie : Salim Ejnaïni recueille les témoignages de nos invités extra-ordinaires. Des histoires fortes et inspirantes autour de la résilience et du vivre-ensemble…

Sarah Salmona n’a toujours eu qu’un objectif : avoir la même vie et les mêmes chances que n’importe qui. Un but qu’elle a réussi à atteindre avec le temps malgré les obstacles posés par sa maladie. C’est à ses 18 mois que le diagnostic est posé, elle est atteinte d’une myopathie congénitale à central cores, une maladie héréditaire qui atteint la force musculaire. Un verdict qui la forcera à se déplacer en fauteuil roulant avant ses 10 ans.

Mais à la maison, Sarah grandit comme une enfant ordinaire. "On m’élève un peu comme si de rien n'était", raconte-t-elle. "Il y a une partie de mon identité, de cette maladie, avec laquelle on vit mais sans lui donner d’importance, sans en parler." Enfant, elle évolue en s’efforçant de cacher tout ce qui est en lien avec sa maladie. Son seul objectif est de ne pas se sentir différente, quitte à jouer sur les apparences.

"Il fallait que je fasse semblant de jouer à chat alors que j’étais incapable de courir"

Une stratégie pour se faire accepter qui, malheureusement, ne fonctionne pas à l’école. "C’est le premier regard que j’ai reçu à l’école, c’est-à-dire tu es différente, et on te montre du doigt." La lutte, pour Sarah, commence donc dès l’entrée en maternelle. Hors de question pour elle de rester sur le côté : "Il fallait que je fasse semblant de jouer à chat alors que j’étais incapable de courir (…) donc les autres rigolaient de mon incapacité à les attraper et moi, je prétendais pouvoir le faire". Un drame pour Sarah qui décrit l’école comme un milieu cruel. Sa fragilité l’empêche de s’intégrer pleinement. "Il suffisait d’un coup d’épaule pour que je tombe par terre, donc je restais contre un mur toute seule."

Mais heureusement, les choses changent au fur et à mesure que les années passent et Sarah réussit à se créer un noyau dur d’amies. Elle peut ainsi commencer à briser sa carapace, et à vivre au-delà des apparences. Ce qui l’a beaucoup aidé est de passer au fauteuil roulant. Contrairement aux idées reçues, c’est à ce moment-là que sa vie devient plus simple, autant physiquement que psychiquement. "C’était beaucoup moins d’effort de vouloir ressembler aux autres. Ça y est, je ne ressemblais pas aux autres, mais j’allais vivre pour ce que j’étais."

"J’avais peur de toutes les maladies sauf de la mienne"

C’est vers l’âge de 18 ans que Sarah se met à l’écriture d’une autobiographie. Sa maladie devient de plus en plus visible, et la jeune femme ressent le besoin d’exprimer ses inquiétudes enfouies. "Malgré le fait de vouloir vivre comme-ci de rien était, c’est faux, il y a des choses qui se passent et qu’on ressent, et on sait bien que la maladie est là. Depuis le début, je le savais", explique-t-elle. L’écriture devient alors un exutoire pour Sarah qui trouve enfin les mots pour exprimer ses angoisses. Des angoisses multiples et variées qui l’ont bercée durant toute son enfance, comme la peur des monstres, des flash des photomatons, des maladies… Elle se rend compte que toutes ses peurs infondées viennent d’une seule chose : "Je me suis dit l'angoisse est peut-être simplement liée au fait que tu t’es sentie très tôt fragile et que tu n’as pas parlé de tes difficultés". Le récit est intitulé "Partez devant, je vous rejoins". Un titre qui fait référence à la difficulté et au temps plus important nécessaire pour obtenir une vie comme celle des autres.

Grâce à l’écriture et à une thérapie, Sarah apprend à vaincre ses peurs pour avoir sa vie rêvée. Elle raconte, par exemple, sa difficulté à quitter le domicile de ses parents. Une étape source de doutes et d’anxiété mais inévitable. "J’ai toujours eu ce désir de vivre, de profiter de la vie (…) mais évidemment la dépendance physique faisait que s’est installée une dépendance psychique", se confie-t-elle. Beaucoup de courage a été nécessaire à la jeune femme pour prendre confiance en elle.

"Le handicap pose des difficultés, mais heureusement, il n’enlève pas le bonheur"

Apprendre à écouter son corps et à reconnaître ses limites est la clef pour Sarah. Petit à petit, elle gagne en confiance et en indépendance, et peut ainsi se lancer dans une nouvelle aventure tant attendue à ses yeux : faire des rencontres et trouver l’amour. Grâce à sa psychologue, elle se rend compte que c’est à sa portée. Elle fait des rencontres sur internet, puis vit sa première vraie histoire d’amour vers l’âge de 30 ans. "Ça a été un vrai parcours, une vraie initiation, un vrai entraînement, moi, je parle même de rééducation sentimentale", explique-t-elle.

Sarah partage également son expérience en tant que professeure. D’après elle, les enfants s’adaptent très vite au handicap. "Ils ne perçoivent plus le handicap, je deviens une prof comme une autre." Elle a aussi été étonnée de la réaction des plus petits, beaucoup plus terre-à-terre dans leurs questions : "Tu es heureuse ? Tu es mariée ? Tu es amoureuse ?". De beaux moments de partage qui permettent d’assimiler la différence dès le plus jeune âge. "Je leur explique que oui, le handicap pose des difficultés, mais heureusement, il n’enlève pas le bonheur (…) Plus on est confronté à l’adversité, plus on saisit ce qu’il y a d’essentiel." Sarah élève les consciences des futurs citoyens. Elle sème les pierres d’un meilleur avenir pour les personnes en situation de handicap, en montrant à la jeunesse que le handicap n’est pas un frein pour avoir une place dans la société.

"Le handicap, je le ressens parce que le monde autour moi n’est pas adapté à mon handicap"

La professeure a, aujourd’hui, une vie pleine et épanouie. Sa maladie n’est plus une entrave pour elle mais elle rappelle l’invisibilité du handicap. "Le handicap, je le ressens parce que le monde autour moi n’est pas adapté à mon handicap." Son nouveau projet est d’adapter son livre en pièce de théâtre dans laquelle elle incarne son propre rôle. Le défi a été de trouver une salle adaptée à un comédien en fauteuil. Un rappel au manque d’accessibilité qui exclut les personnes handicapées. "Psychologiquement, celui qui vit l’inclusion réelle se dit : "J’ai une place dans la société". Là où il voit que la société n’est pas adaptée (…), il se dit : "Ma place ne m’est pas donnée"", conclut-elle.

Retrouvez l'interview Différent.e.s de Sarah Salmona en intégralité :

Article : Coralie Fricher