San Marina, Camaïeu, Go Sport... Pourquoi ces marques françaises tombent-elles toutes ?
ÉCONOMIE - Une véritable bérézina. Ces derniers mois, les enseignes de prêt-à-porter françaises tombent les unes après les autres, victimes d’une grande déprime du secteur de l’habillement. Dernière en date : l’enseigne de chaussures San Marina, qui a été placée en liquidation judiciaire ce lundi 20 février laissant sur le carreau quelque 650 salariés dans 163 magasins.
Rien qu’en février, deux marques emblématiques des années 90, Kookaï et le chausseur André, ont annoncé leur placement en redressement judiciaire. D’autres ont connu le même sort, à l’instar de l’équipementier sportif Go Sport au mois de janvier, ou de Camaïeu en septembre. Dans la même veine, les salariés de la marque Pimkie, en cours de rachat par un consortium, risquent un plan social d’ampleur.
Comment expliquer une telle berne chez ses marques qui faisaient le succès des rues commerçantes françaises ? Employée chez André en 1992 et licenciée en 2021, Tania Rome, ancienne déléguée centrale FO, jugeait auprès de l’AFP que le redressement judiciaire de son enseigne était dû à « un mauvais fonctionnement, de mauvaises décisions et un peu le Covid ». Quelques mots seulement pour résumer le mal qui ronge tout un secteur.
Un changement de notre rapport à la mode
Si le marché du prêt-à-porter connaît des difficultés depuis de nombreuses années, la pandémie de Covid-19 et les confinements successifs ont pesé sur les enseignes de modes, qui ont dû garder portes closes car jugées « non-essentielles ». Seules celles qui avaient investi dans la vente en ligne ont continué à faire rentrer de l’argent. Les prêts garantis par l’État (PGE) leur ont permis de se maintenir à flot durant un temps, mais au moment de rembourser, les charges (notamment la hausse des loyers) ont conduit à des cessations de paiements.
En 2022, les ventes de vêtements restent en effet près de 10 % inférieures à leur niveau de 2019, juste avant la pandémie, selon l’Observatoire économique de l’Institut Français de la Mode (IFM). Par rapport à cette même année, la fréquentation des enseignes, qui baissait déjà de l’ordre de 2 à 3 % chaque année depuis une bonne décennie, a diminué de 15 %, d’après Procos, la fédération du commerce spécialisé.
Pour Élisabeth Tissier-Desbordes, professeure émérite à l’ESCP et spécialiste des comportements du consommateur, cette perte d’intérêt s’explique par un changement global du rapport des Français à la mode. « La population a moins d’argent à mettre dans les vêtements et plus conscience de l’impact écologique négatif de la “fast fashion”. Son intérêt se tourne vers des marques plus vertueuses, ou la seconde main, avec des plateformes comme Vinted, qui explosent ces dernières années », indique-t-elle.
Des marques « ringardes »
En outre, « les enseignes qui ne se portent pas bien aujourd’hui sont plutôt d’entrée de gamme, avec un argument de vente : le prix. Or, elles sont concurrencées par des marques “d’ultra fast fashion” moins chères qu’elles, telles que Shein ou Primark ».
Face à ces leaders du e-commerce, nés et développés en ligne, impossible pour des enseignes de centre-ville comme Camaïeu, Pimkie ou Kookaï, « de suivre la cadence » quand elles ne paraissent tout simplement pas « ringardes », observe Philippe Moati, codirecteur de l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo).
Si elles ont fait fureur à la fin du siècle dernier et au début des années 2000, ces marques n’ont pas su renouveler leur clientèle, or « plus la population vieillit, moins elle achète de vêtements », explique Pascale Hébel, économiste spécialisée dans le comportement des consommateurs et directrice associée du cabinet de conseil en marketing C-Ways.
« Dans l’habillement, vous êtes morts au bout de 10 ans si jamais vous ne vous renouvelez pas », ajoute-t-elle, en estimant que des marques comme Camaïeu ou Pimkie n’ont jamais réussi à séduire les plus jeunes.
« Il faut vendre une solution »
Un constat partagé par Pierre-Louis Desprez, directeur général associé de Kaos consulting, un cabinet de conseil spécialisé en innovation et en marques. « Ces marques sont rentrées par le prix. C’est bien, mais il n’y a pas de création. Elles n’ont pas de marketing propre et ne se positionnent pas assez pour travailleur leur singularité, or c’est indispensable. » Des marques comme Zara, qui copie la haute couture à petit prix, ou H&M qui mise régulièrement sur des partenariats avec des marques de luxe comme Balmain, l’ont bien compris et subsistent, malgré des hauts et des bas financiers.
Après la pandémie, Pimkie a bien tenté de se réinventer en se concentrant vers les 18-25 ans. Mais « la nouvelle collection n’a pas plu. Elle n’était pas adaptée à de jeunes étudiantes qui vont en cours, ou à quelqu’un qui démarre dans la vie professionnelle » raconte au Figaro Marie-Annick Merceur, déléguée syndicale CFDT au sein du groupe. Une tentative louable, mais sans doute trop tardive. Faute de ressources, le groupe n’avait pas le droit à l’erreur.
Pour le co-directeur de l’ObSoCo, « il faut espérer que cette hécatombe va suggérer à ceux qui restent d’expérimenter, de ne plus vendre un produit, mais une solution ». Dans ce domaine, Kiabi, acteur de la mode « à tout petit prix » pour toute la famille, fait figure de bon élève.
En plus d’avoir été l’une des premières marques à investir massivement pour son site Internet, elle a lancé en octobre dernier une formule de location qui permet aux clients de louer chaque mois entre 5 et 20 articles pour une somme allant de 19 à 49 euros. Avec son positionnement de base, elle avait pourtant « tout pour tomber comme les autres », conclut Philippe Moati.
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