Salué par Judith Godrèche, le juge Durand est devenu le symbole de la lutte contre les violences faites aux enfants

Durant son audition au Sénat, l’actrice Judith Godrèche a rendu tout au long de son allocution un hommage appuyé à Édouard Durand, juge des enfants médiatique qui dénonce inlassablement les dysfonctionnements de la justice.
JULIEN DE ROSA / AFP Durant son audition au Sénat, l’actrice Judith Godrèche a rendu tout au long de son allocution un hommage appuyé à Édouard Durand, juge des enfants médiatique qui dénonce inlassablement les dysfonctionnements de la justice.

VIOLENCES SEXUELLES - « Serait-il possible que les sénateurs, les lois, le gouvernement, donnent à notre société la possibilité, la chance, à Édouard Durand d’accomplir son destin héroïque de son vivant ? » Lors de son audition au Sénat, les premiers mots de Judith Godrèche ont été pour le juge Durand, ancien dirigeant de la Ciivise, la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.

Le témoignage de Judith Godrèche au sujet de Benoît Jacquot en dit beaucoup sur les ressorts de l’emprise

L’actrice, qui a porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon, a rendu tout au long de son allocution devant la délégation aux droits des femmes au Sénat, ce 29 février, un hommage appuyé à Édouard Durand, juge des enfants médiatique, qui dénonce inlassablement les dysfonctionnements de la justice.

Connu pour son indépendance et son franc-parler, le magistrat (qui a un temps pensé entrer dans les ordres) a été l’un des premiers juges à présenter les enfants de conjoints violents comme des co-victimes des violences conjugales. Et à imposer l’idée que protéger une mère, c’est protéger son enfant. Mais c’est à la tête de la Civiise que son aura a pris davantage d’ampleur.

Un credo : « Je te crois, je te protège »

En 2021, l’onde de choc #Metooinceste provoquée par le livre « la Familia Grande » de Camille Kouchner traverse la société française. Le gouvernement met alors en place la Ciivise, dont l’objectif est de formuler des recommandations pour mieux prévenir les violences sexuelles, mieux protéger les enfants victimes et lutter contre l’impunité des agresseurs.

Le juge Durand est nommé à la tête de la commission, aux côtés de la responsable associative Nathalie Mathieu. En trois ans, la Ciivise recueille près de 30 000 témoignages. Le positionnement du juge en soutien aux victimes, qu’il martèle dans les médias, est systématique – le credo de la Ciivise est alors « Je te crois, je te protège ». « Il y a trois types de réponses quand un enfant parle : “je te crois et je te protège”, “je te crois mais je ne fais rien” et enfin “tu mens”. Seulement 8 % des enfants reçoivent le premier type de réponse », alerte-t-il sans relâche.

Le travail de la commission, et du juge Durand en particulier, est salué aussi bien par les victimes que les associations. Le gouvernement louera quant à lui « l’engagement sans faille et le travail remarquable d’Édouard Durand et de Nathalie Mathieu ».

« En 2024, nous décidons encore d’invisibiliser la souffrance des enfants »

Mais après trois ans de travail, coup de tonnerre. La mission de la Ciivise doit prendre fin le 31 décembre dernier, au grand dam de tous les acteurs de terrain. Après des hésitations, le gouvernement choisit finalement de la faire perdurer, mais avec une nouvelle feuille de route et en changeant sa direction. Le juge Durand est remercié. C’est l’incompréhension générale.

À la tête de la commission sont nommés Sébastien Boueilh, ancienne victime d’inceste et responsable d’une association réputée dans le milieu sportif, et Caroline Rey-Salmon, pédiatre et médecin légiste. La moitié des membres de la Ciivise démissionnent.

Édouard Durand voit dans son éviction un signe que l’on ne veut pas entendre la parole qui a été libérée. « Ma conviction est celle-ci : nous parlons de violences sexuelles faites aux enfants. L’interdit universel n’est pas de violer les enfants. Il est d’en parler. C’est toujours le messager qui est rejeté. Pour la Ciivise, sa ligne, c’est que c’est le messager qui paie. C’est toujours comme ça. On en parle et on referme », s’alarme le juge, « en colère » contre sa mise à l’écart.

Mais ce n’est que le commencement de la crise. Début février, au lendemain de la reprise des travaux de la Ciivise nouvelle formule, une plainte est déposée à Marseille pour « agression sexuelle » contre Caroline Rey-Salmon, qui se met en retrait. Le lendemain, Sébastien Boueilh annonce lui aussi sa démission, s’estimant « la cible de calomnies et d’attaques personnelles ». La Ciivise est depuis au point mort.

« Ne laissons pas le cinéma s’emparer un jour de l’histoire inachevée du juge Durand »

Lors de son audition au Sénat, Judith Godrèche, qui a demandé l’ouverture d’une commission d’enquête sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du cinéma, a interpellé le gouvernement sur le sujet. « En 2024, nous décidons encore d’invisibiliser la souffrance des enfants. À travers ce geste, par exemple, cette décision, celle de retirer Édouard Durand de la tête de la Ciivise. Pour la laisser, cette Ciivise, s’échoir sur le sable, morte née », résume l’actrice.

Elle souligne avoir reçu des milliers de témoignages de personnes qui « avaient placé leur espoir en lui » et va jusqu’à comparer le juge à un héros de film. « Ne laissons pas le cinéma s’emparer un jour de l’histoire inachevée du juge Durand. Il sera trop tard pour dire : “tout le monde savait”. Si nous réalisons un jour un film inspiré par sa vie, que ce film soit à propos de son ascension », implore-t-elle.

« Quel aurait été mon destin si la Ciivise avait existé à l’époque ? »

De son côté, Édouard Durand poursuit son combat pour la protection des victimes. Le 8 février dernier, il a publié l’ouvrage 160 000 enfants. Violences sexuelles et déni social (Gallimard). Il y martèle que libérer la parole ne suffit pas, si l’on ne croit pas les victimes ensuite. « 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année. Pourtant, plutôt que de protéger les enfants qui révèlent ces violences, on les soupçonne de mentir, d’exagérer, ou on accuse leur mère, et tout autre adulte protecteur, de mentir, de manipuler », écrit-il.

Et il rappelle que lorsqu’un enfant révèle les violences sexuelles qu’il subit à un professionnel, celui-ci ne fait rien dans 60 % des cas. Que plus de 70 % des plaintes déposées pour violences sexuelles sur mineur font l’objet d’un classement sans suite. Que seulement 3 % des pédocriminels sont déclarés coupables par un tribunal ou une cour d’assises.

Durant son audition au Sénat, Judith Godrèche a insisté sur le fait que « tout le monde savait » pour les viols et violences qu’elle dit avoir subis à partir de ses 14 ans de la part de réalisateurs.

« Quel aurait été mon destin si la Ciivise avait existé à l’époque, avec lui à sa tête ? J’aurais pu ancrer mon histoire dans les yeux d’un adulte qui ne s’en fiche pas. Non, mieux encore, un adulte dont la première et unique préoccupation est de chercher à savoir, à protéger, à imposer qu’une fois par an, au moins, on s’assoie et on fasse face à un enfant, qu’on lui demande : es-tu victime de violences ? » a-t-elle conclu. Encore faut-il pour cela que la Ciivise survive.

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