Salon de l’Agriculture : pourquoi il faut moins de viande pour sauver les fruits et légumes du réchauffement

Pourquoi il va falloir lâcher un peu la viande pour sauver les fruits et légumes
Caspar Benson / Getty Images/fStop Pourquoi il va falloir lâcher un peu la viande pour sauver les fruits et légumes

AGRICULTURE - Non, vous ne mangerez probablement pas de sorgho en remplacement du maïs en 2023. Il est même possible que cette plante longtemps oubliée, et que vous pouvez admirer au Salon de l’agriculture 2023, le reste encore longtemps pour vous, en dépit des secousses qui agitent l’agriculture mondiale et française. Malgré le réchauffement climatique et la sécheresse qui se généralise dans l’hexagone, la plante miracle ne remplacera pas les cultures en danger.

« On ne va pas se passer de cultures » rassure Sylvain Doublet, agronome et responsable de l’activité bioressource et prospective de l’association Solagro - qui fait du conseil en agroécologie - ajoutant qu’« on a la chance d’avoir les meilleures terres agricoles au monde ». Bien sûr, avec le réchauffement, certaines cultures sont en train de se déplacer dans l’hexagone, et d’autres « vont connaître de grosses difficultés » en raison d’un climat qui change rapidement.

Alors, qui sont les malchanceuses ? « Il n’y a pas grand monde pour sauver le soldat maïs irrigué » juge de son côté Pierre-Marie Aubert, agronome à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). Ce maïs très productif, mais très gourmand en eau, représente 50 % de la production en France, et ces dernières années ne lui ont guère été favorables. En 2022, la production de maïs destinée à l’alimentation a ainsi atteint son niveau le plus faible depuis 1990.

La raison de cet effondrement ? Un climat chaud et des cycles raccourcis, c’est-à-dire que la plante fleurit vite avec un hiver doux, la laissant vulnérable aux gelées nocturnes. Cette formule fatale aux rendements, de nombreux cultivateurs la connaissent : colza, fruits à noyaux, blé d’hiver… Ces espèces sont les plus touchées, mais c’est toute l’agriculture française qui souffre désormais à des degrés divers du réchauffement de l’air et de la sécheresse des sols.

Des progrès possibles, mais pas de solution miracle

Le monde agricole ne reste pas les bras ballants face à une situation qui évolue vite, très vite. D’autant que le besoin de conserver des rendements élevés se conjugue à la volonté du gouvernement d’assurer une meilleure souveraineté alimentaire : autrement dit, réduire les importations alimentaires (beurre, produits transformés, volaille… ) qui sont 20 % de la consommation de denrées française.

Obtenir des plantes plus résistantes, faire appel pour cela aux biotechnologies, voilà une méthode que pratiquent déjà les professionnels depuis longtemps. On s’adapte ainsi aux températures plus élevées comme on le fait depuis toujours contre les nuisibles. Mais la recherche ne peut pas tout. « Il y a des limites à la biologie », résume ainsi Pierre-Marie Aubert. Face à des températures de plus en plus élevées, « il n’y a pas de variété miracle », appuie l’interprofession des semences et plants (SEMAE) dans un communiqué récent.

Gare également au mirage de plantes qui, sur le papier, sont une solution toute trouvée à ces nouvelles contraintes. Les légumineuses (lentilles, pois, lupin…), en particulier, sont mises en avant depuis 2019 par les pouvoirs publics. Très peu gourmandes en eau, nutritives, utilisables dans des poké bowl comme en farine, elles ont tout pour plaire dans une France en surchauffe.

Mais elles ont les défauts de leurs qualités : avec un cycle très court, elles sont extrêmement sensibles aux variations de températures printanières. Ce qui, au regard des saisons chaotiques de ces dernières années, est loin d’être un avantage. Résultat, des rendements en dents de scie, comme peut en témoigner la lentille verte du Puy, aujourd’hui aux portes de l’extinction après une saison 2022 catastrophique.

Pour autant, la culture des légumineuses est en nette croissance après avoir quasiment disparu des campagnes françaises, et la filière s’organise avec l’appui (financier) du gouvernement. Malgré les aléas météo, voici un produit que vous pourriez retrouver plus souvent dans votre assiette… Si la production n’est pas dévolue à l’alimentation animale, comme les deux tiers de la surface agricole utile française.

Libérer des terres pour donner de l’oxygène à notre agriculture

« Une grande partie de la production de grains et de céréales va aux animaux », appuie ainsi Sylvain Doublet. Or libérer des hectares pour les mettre en culture à destination des humains constitue une priorité pour beaucoup d’analystes agronomes, tant pour des raisons environnementales que de survie à long terme du secteur. Pour le Centre International pour la Recherche sur l’environnement et de développement (CIRED), c’est la clef de la diversification, d’une agriculture plus extensive, de la rotation des sols, donc d’une flexibilité nécessaire face au changement climatique.

« Manger moins de viande, c’est se donner de la souplesse », résume Sylvain Doublet. Potentiellement, cela permet de faire face à des baisses de rendement à l’hectare, et en définitive à monter en gamme (en proposant par exemple des produits bio) tout en gardant des niveaux de production importants. Pascal Canfin, le commissaire européen à la sécurité alimentaire, estime ainsi dans une note rendue le 23 février que « libérer une partie de cet espace est décisif pour atteindre les objectifs de la transition tels que la réduction des produits chimiques, le développement d’une agriculture bio plus extensive, etc. »

C’est donc dans notre consommation de viande que se trouve l’avenir de nos fruits et légumes ? En tout cas, c’est l’avis de l’ADEME, qui voit dans la baisse de notre alimentation carnée la clef pour aller vers plus de bio, toujours pour la même raison : la surface libérée permettrait d’absorber les baisses de rendement à l’hectare du passage au bio, et ce « même les années dures », confie Sylvain Doublet.

Moins de viande, plus de bio, ce serait aussi la clef pour que le consommateur garde un pouvoir d’achat équivalent dans les années qui viennent : « Si on baisse la part des produits animaux dans les paniers, on arrive à garder le prix de l’alimentation relativement stable, même si tout augmente », explique l’agronome. Dans la viande se trouve une part de l’avenir de la diversité et de la qualité des fruits et légumes français, ceux de nos assiettes.

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