Salim Edjnaïni, cavalier, pilote d’avion et aveugle : “J’ai des capacités. Je veux tout faire et je veux aller au bout de tout”

Non-voyant depuis son plus jeune âge, Salim Edjnaïni a plusieurs cordes à son arc. Cavalier, pilote d’avion, auteur, kinésithérapeute mais aussi journaliste, le jeune homme de 31 ans a un parcours hors du commun. Pour Yahoo, il s’est prêté au jeu de l’interview, revenant notamment sur son enfance, ses combats mais aussi ses projets.

Malgré son handicap, Salim Edjnaïni vit sa vie à 100 à l’heure. Cavalier, pilote d’avion, auteur, kinésithérapeute mais aussi conférencier, le jeune homme de 31 ans, devenu aveugle, a un parcours hors du commun, à en faire rougir certains. Intervenant pour Yahoo et fort d’une éloquence naturelle, il a pour habitude d’interviewer les personnes atteintes d’handicap dans notre format "Différent.e.s". Cette fois-ci, l’auteur du livre “L’impossible est un bon début” (ed. Fayard) s’est prêté au jeu des questions en s’interviewant lui-même. Un témoignage puissant et inspirant. (Retrouvez l’intégralité de l’interview en fin d’article).

La première année de sa vie, Salim est diagnostiqué d’une grave pathologie visuelle, un rétinoblastome bilatéral. Le jeune garçon est atteint d’un cancer de la rétine des deux yeux, une maladie qui lui fait perdre très tôt une grosse partie de la vision. C’est à l’âge de quatre mois que sa mère commence à se poser des questions sur ses perceptions visuelles. Un des symptômes qu’elle perçoit s’appelle la leucocorie, une brillance au niveau de la rétine. “On le voit surtout en photo. Vous avez l’impression de photographier un chat dont les yeux brillent très fort”, explique-t-il. En réalité, cette différence est le symptôme d’une désagrégation des yeux et de la rétine mais aussi de la présence de tumeurs au fond de l'œil.

Un phénomène assez grave puisque les cellules “malades” à l’origine des tumeurs finissent par grossir et peuvent contaminer les organes les uns après les autres, à commencer par le cerveau, situé juste derrière l'œil. Et dans le cas où cela se propage à la circulation sanguine, le cancer se généralise et le risque devient vital. “Il fallait donc prendre ça très au sérieux. J’avais un pronostic de survie à 10%”, se remémore-t-il.

VIDÉO - Salim Edjnaïni, cavalier, pilote d’avion et aveugle : “J’ai très vite compris que j’avais une avance extraordinaire sur les autres”

Salim se voit très vite privé d’un œil et du deuxième à l’âge de 16 ans. Mais cet handicap ne lui empêche pas de s’intégrer correctement au sein de sa classe, dès la maternelle. “L’institutrice s’est adaptée et m’a accepté. Elle avait un compagnon menuisier qui fabriquait plein d’objets en bois pour que je puisse les toucher pendant que les autres enfants les voyaient”.

Sa scolarité se poursuit en région parisienne où lui, et ses camarades “à besoins particuliers”, sont suivis par des enseignants spécialisés. Pour autant, il ne se coupe pas du “milieu normal” et partage du temps avec les autres élèves dits “ordinaires”, notamment lors des récréations. “On se retrouve à avoir des copains tout à fait classiques et pour qui, la différence devient la norme”. Mais ce décalage avec les autres, Salim le sent malgré tout. “J’ai très vite compris, sans me jeter des fleurs, que j’avais une avance extraordinaire ou en dehors de la norme sur des questions très fortes et très profondes comme la vie, la mort, le rapport au corps, la douleur, le sacrifice”, confie-t-il tout en expliquant avoir appris très tôt ces notions en en subissant certaines.

VIDÉO - Salim Edjnaïni, cavalier, pilote d’avion et aveugle : “J’ai été abusé à l’âge de 11 ans. Des adultes ont couvert cet abus”

Mais cette période, lors de laquelle il se construit, lui laisse un goût amer. “Il y a certaines choses que j’ai laissé passer que je n’aurais jamais dû”, déclare-t-il expliquant vouloir mettre fin à ce silence. Abusé à l’âge de 11 ans par un garçon un peu plus âgé, Salim tente d’en parler mais ne trouve aucun soutien. Certains finissent même par douter de son statut de victime. “Je n’ai jamais été secouru. Mon agresseur a raconté que c’était de ma faute et m’a fait passer pour un élève un peu gamin dans sa tête à qui on ne pouvait pas faire confiance”.

“On a même raconté à ma mère que c’était normal. Que ce type de cas était courant dans les instituts spécialisés. Que c’était de cette manière que les non-voyants et malvoyants découvraient leur corps”. Un discours qui finit par lui embrouiller l’esprit, ne savant plus à qui en vouloir. “J’ai compris tout de suite que ce n’était pas normal mais je n’ai jamais finalement compris que ce n’était pas ma faute. Je me suis autorisé à me le dire que très récemment”, avoue-t-il.

VIDÉO - Salim Edjnaïni, cavalier, pilote d’avion et aveugle : “Je vais loin mais je ne vais jamais assez loin. Je suis fort mais je ne suis jamais assez fort”

Et si cette histoire l’a fortement marqué, Salim tente d’y faire abstraction en vivant sa vie comme il l’entend. Son leitmotiv : ne jamais rien regretter et aller jusqu’au bout de ses idées. “Je vais loin mais je ne vais jamais assez loin. Je suis fort mais je ne suis jamais assez fort”, confie-t-il pour expliquer son état d’esprit. “Certains diront que je m’éparpille. Je pense seulement que j’ai des capacités. Je peux me concentrer sur énormément de choses”.

À titre d’exemple, Salim explique s’être lancé deux projets pendant le confinement. Avec sa compagne, il s’est tout d’abord remis au sport. Mais ils se sont également lancés dans un projet un peu plus fou : celui de construire de A à Z l’armure motorisée d’Iran Man grâce à l’impression 3D. “C’est très visuel donc elle a pris en charge cette partie-là et moi, je me suis concentré sur la partie calcul et maintenance des machines”. Au total, deux ans auront été nécessaires pour aboutir au résultat final.

“J'ai appris la programmation et aujourd’hui, elle s'allume, fait du bruit et bouge”, confie-t-il, très fier de leur réalisation. Désormais, il espère, vêtu de son armure, rendre visite très prochainement aux enfants soignés à l’institut Curie. “Je veux leur montrer qu’à l’intérieur de l’armure, c’est un ancien combattant comme eux qui s’y trouve. Si je peux leur donner un minimum de force, en brisant un peu cette différence entre la fiction et la réalité, ce serait super”, conclut-il.