Comment "Sakamoto Days" est devenu l'un des mangas les plus populaires du moment

C'est l'un des titres phares du Weekly Shōnen Jump, le magazine de prépublication le plus prestigieux et le plus populaire du Japon, qui a révélé des mangas cultes comme Dragon Ball et Ken le survivant. Sakamoto Days, qui mêle comédie burlesque et scènes d'action façon John Wick, revient avec un 14e tome. Pile à temps pour la Japan Expo, le 11 juillet prochain.

Un patron de supérette, Sakamoto, coule des jours heureux lorsque son quotidien est interrompu par de dangereux assassins: ce paisible père de famille, qui est en réalité un tueur à gages de légende, est alors contraint de reprendre du service. Une adaptation animée, prévue pour janvier 2025, devrait décupler les ventes de ce manga déjà vendu à 5 millions d'exemplaires dans le monde.

Son auteur, Yuto Suzuki, avait seulement 26 ans quand il a commencé Sakomoto Days. Malgré son expérience limitée, il a pu rapidement trouver sa place dans le Weekly Shōnen Jump, se félicite son éditeur (ou "tantô" en japonais) Sosuke Ishikawa, rencontré à Tokyo en novembre dernier, dans les locaux de la Shueisha qui édite le manga:

"L'ambition (de la revue) est de publier et de mettre en avant de nombreux jeunes auteurs. Chaque année, une dizaine d’auteurs ont leur chance dans le magazine."

Sosuke Ishikawa a tout de suite repéré le potentiel de Yuto Suzuki. "Au Jump, il y a deux fois par an le concours des jeunes auteurs, le prix Tezuka. Yuto Suzuki avait postulé à une édition du prix mais il n’avait pas été retenu. Mais j'avais eu l’occasion de voir son travail et je m'étais dit que c'était un auteur intéressant. Je l'ai tout de suite appelé pour prendre rendez-vous avec lui."

Fluidité des scènes d'action

Tout s'est enchaîné très vite. Après une première histoire publiée sur l'application Jump+, qui a peu convaincu, l'auteur a trouvé le concept de son manga à succès. "Pour le Weekly Shōnen Jump, il fallait proposer des personnages pour lesquels les lecteurs aient de l'empathie - ce qui n'était pas le cas dans son histoire. On a retravaillé ensemble ses personnages et ça a donné Sakamoto Days."

Le quotidien de Yuto Suzuki ressemble à celui de tous les mangakas à succès, plongés dans le travail - il n'a d'ailleurs pas pu nous rencontrer. "Il passe son temps à dessiner des mangas. Sa semaine se divise ainsi: un jour avec des meetings où on discute, trois jours consacrés à faire ses brouillons et dessins préparatoires et trois jours où il s'occupe de l'encrage et des finitions des planches", énumère son éditeur, qui lui reconnaît comme passe-temps "le basket" et "regarder des films".

Un sacerdoce qui porte ses fruits. Près de quatre ans après le début de sa prépublication, Sakamoto Days témoigne de "l'évolution extrêmement rapide et extrêmement brillante" de son auteur pour "l'expression des personnages", les "scènes d’action" et "les scènes dramatiques". "Il a vraiment progressé. En tant qu’éditeur, je suis à chaque fois impressionné par la qualité de ce qu'il est capable de produire."

La fluidité des scènes d'action a impressionné les lecteurs des derniers chapitres. "Les scènes d'action sont différentes de ce qu'on peut voir au cinéma et elles sont propres à ce qu'on peut faire en manga", vante Sosuke Ishikawa, qui discute avec son poulain "avant chaque chapitre" de ces séquences. Il cite comme influence les mangas Baki ou Ganz ainsi que John Wick, Equalizer et les films de Takeshi Kitano.

Pas de violence

Mais contrairement à ses modèles, Sakamoto Days essaye de limiter les effusions de sang. "Le concept d'un tueur en tant que personnage principal, vous pouvez vous en douter, n’est pas adapté à un magazine comme le Jump qui s’adresse aux adolescents. Donc pour qu'on arrive à toucher notre lectorat, c’est plus adapté d’avoir un tueur à la retraite."

A rebours de la tradition des shōnen, dont les héros sont souvent des héros adolescents, Sakamoto Days propose un personnage plus âgé - et ainsi un nouveau modèle masculin: "Ça intéressait Yuto Suzuki d'avoir un personnage volumineux, plutôt gros, et de le faire évoluer dans ce contexte d'une histoire de tueur. De fil en aiguille, on s'est retrouvé dans un schéma opposé à celui que l’on trouvait dans les shonen."

Bien qu'il soit un tueur, le héros est un père et mari aimant et un voisin serviable pour sa communauté. Il n'est jamais "violent" à l'égard "de personnes qui ne le méritent pas". Même les méchants ne doivent pas être trop effrayants. "Quand le méchant, Gaku, entre en scène, il faut montrer à quel point il est fort. Il ne faut pas qu’il suscite de la peur chez le lecteur - il faut qu'il soit impressionné par sa classe", détaille le tantô.

Sosuke Ishikawa supervise aussi les scénarios de Yuto Suzuki. "On discute beaucoup de la manière dont l’histoire va être développée." Les deux hommes s'appuient également sur les sondages de popularité du Jump où les lecteurs indiquent l'histoire qu'ils ont préféré. "On est informé sur leurs avis en temps réel", se réjouit l'éditeur. "Ça intéresse Yuto Suzuki de savoir comment le chapitre a été perçu par les lecteurs."

Un mangaka sous influence

"Si le dernier chapitre de Sakamoto Days a été mal perçu, c’est peut-être un signe que le thème développé n’était pas forcément ce que les lecteurs avaient envie de voir. Et inversement, lorsque Sakamoto Days est bien classé, ça veut dire qu’ils ont bien aimé cette histoire et qu’il faut continuer de creuser dans ce sens", détaille encore Sosuke Ishikawa, qui se défend de se laisser dicter le manga par le public:

"Cela permet d’avoir un contact plus direct et plus simultané avec le lectorat. C’est une très bonne chose pour nous. Ça ne veut pas dire que l’auteur tient systématiquement compte des remarques qui sont faites (...) mais ça constitue pour lui un soutien, un réconfort de savoir que les lecteurs le suivent et l’encouragent."

Le tantô se défend aussi d'influencer le contenu des chapitres imaginés par l'auteur: "Tout ce qui relève de la mise en case et du découpage, c’est Yuto Suzuki qui s’en occupe tout seul. Je ne vois ça que lorsque c’est couché sur le papier."

Avec déjà 18 tomes au Japon, et 14 disponibles en France, difficile de savoir quand Sakamoto Days entrera dans son arc final. Mais Yuto Suzuki "a déjà une idée de la manière dont l'histoire pourrait se terminer", précise son éditeur, qui assure ne pas connaître ses intentions: "Je veux rester comme un lecteur lambda de manière à avoir toujours de l'intérêt pour l'histoire."

Sakamoto Days, Yuto Suzuki (dessin et scénario), Pierre Fernande et Akiko Indei (traduction), Glénat, 192 pages, 7,20 euros.

Article original publié sur BFMTV.com