Sainte-Soline: comment fonctionne la chaîne de commandement lors des manifestations?

Il est 14h57 samedi quand le SMUR, le service mobile d'urgence et de réanimation, arrive auprès de Serge D., un manifestant touché à la tête lors des violents affrontements qui se sont produits lors de la manifestation, interdite, contre le projet des méga-bassines à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres. Les secours avaient été alertés 1h08 plus tôt quand, à 13h49, une femme signale "un homme blessé à la tête inconscient".

L'intervention aurait-elle pu être plus rapide? L'enregistrement audio d'une conversation tenue samedi entre un opérateur du Samu des Deux-Sèvres et un médecin de la Ligue des droits de l'Homme pose question alors que des accusations graves sont portées sur les conditions d'intervention des secours lors de la manifestation contre le projet de méga-bassines à Sainte-Soline. Plusieurs associations estiment que les forces de l'ordre ont interdit aux secours d'intervenir pour aller porter assistance aux victimes.

"On n’a pas l’autorisation de toutes les institutions sur place, pour l’instant, on est sous leur commandement", dit l'opérateur au médecin en lien avec des observateurs sur place affirmant que la situation s'était calmée.

Poste de commandement unique

La manifestation de samedi avait été interdite par la préfecture. Des remontées du renseignement territorial faisaient craindre malgré tout la présence de manifestants, dont des éléments radicaux. Le dispositif policier mis en place par la préfecture des Deux-Sèvres était fortement renforcé. Comme pour chaque manifestation, des réunions préparatoires ont également permis d'établir les besoins en termes de secours. Des médecins et des ambulances du département sont ainsi redéployés.

Sur place, comme c'est le cas lors de chaque événement sur la voie publique, un poste de commandement a été mis en place: une sorte de tour de contrôle associant les services de l'État, les forces de l'ordre, les pompiers et les secours, où la surveillance se fait et où les décisions sont prises.

"L’ensemble du dispositif se fait sous mon autorité, rappelle sur BFMTV la préfète des Deux-Sèvres Emmanuelle Dubée. L’ensemble des décisions prises le sont par moi ou sous mon autorité."

"Nous attendons pour intervenir"

"On est dans une surface très vaste, au milieu des champs, avec des milliers de personnes, le tout dans un contexte où les violences n’ont pas vraiment cessé ou qui reprennent, où les groupes de blacks blocs très nombreux se déplacent très vite, et où donc les conditions d’intervention pour les secours ne sont pas sûres", poursuit la représentante de l'État. "Il n’y avait pas l’autorisation d’intervenir parce qu’il n’y avait pas de garanties que les secours puissent se faire de façon efficace et sûre", appuie-t-elle.

"Il y a des zones où on discute de savoir si on y va ou pas", abonde le chef du Samu des Deux-Sèvres interrogés par BFMTV.

"Nous attendons l'ordre du préfet et de la police pour intervenir", confirme à BFMTV.com Patrick Pelloux, président des médecins urgentistes de France. Pour lui, le déroulement de l'intervention des secours auprès de ce manifestant à Sainte-Soline est "complètement banal".

Lors de violences ou de danger imminent, une zone d'exclusion est mise en place pour éviter que les équipes de secours se mettent en danger. "Nous attendons que les choses soient calmes pour intervenir", explique l'urgentiste assurant que pour certains manifestants violents "les secours, c'est l'État". "Donc ils s'en prennent aussi à nous", poursuit-il. À Rennes, par exemple, lors de la manifestation du 28 mars, les pompiers ont été empêchés d'intervenir par des manifestants hostiles, comme le relate Ouest-France.

Deux enquêtes en cours

Cette prudence dans les interventions tient à garantir la sécurité des équipes de secours. Elle tient aussi à prévenir tout drame supplémentaire. "Imaginez si un cocktail Molotov venait à atteindre une ambulance avec, à l'intérieur, des bouteilles d'oxygène, ça exploserait, détaille le Dr Pelloux. On ne doit pas exposer à ce risque les personnels et les victimes."

Le débat existe toutefois au sein de la profession entre ceux qui appellent à la prudence et "ceux qui disent qu'il faut intervenir coûte que coûte", explique l'urgentiste. La question s'était déjà posée lors des attentats du 13-Novembre au sujet de l'intervention des secours au Bataclan. Ce soir-là, les secours avaient pu entrer dans la salle de concert 2h40 après le début de l'attaque.

Les familles de deux manifestants gravement blessés ont porté plainte ce mercredi pour "tentative de meurtre" et "entrave aux secours", visant ainsi l'action de l'État. La veille déjà, deux enquêtes ont été ouvertes par le parquet de Rennes pour "violences par personne dépositaire de l'autorité publique" et pour "non-assistance à personne en péril".

Les investigations ont été confiées à l'Inspection générale de la gendarmerie nationale. Elles doivent notamment, à travers les témoignages, les vidéos et les enregistrements, établir les conditions d'évacuation et la prise en charge médicale des blessés pour établir ou non d'éventuelles responsabilités pénales.

Article original publié sur BFMTV.com