Saint-Etienne de retour en Ligue 1: récit d'une saison riche en rebondissements et émotions

Deux ans presque jour pour jour après la chute en Ligue 2 – le dimanche 29 mai à 21h48 après une série de tirs au but perdues face à Auxerre, 1-1, 4-5) – les Verts touchent au but et retrouvent l’élite du football français grâce à leur victoire en barrage contre Metz. Tour d’horizon des dates et hommes clefs qui ont rythmé une saison de toutes les sensations qui offre aussi, avec cet éclairage sportif positif, une bouffée de bonheur à une ville qui subit la crise de Casino, même si cette chute d’un fer de lance n’a pas la même conséquence que celles de Manufrance ou des mines dans les années 70-80.

Une saison à émotions

"Pour les adeptes de manèges à sensations fortes, pas besoin d’aller à Disneyland ou au Parc Astérix, il y a tout ce qu’il faut à St Etienne", lance récemment dans une chronique sur le média digital, "envertetcontretous.fr", Paul Rivolier, suiveur attentif du club. Car l’ASSE, régulièrement équipe à réactions, a tout aussi méthodiquement trouvé le moyen de procurer des émotions à répétitions à ses supporters, avec au bout l’inespéré et l’inattendue montée, impensable le 3 février au soir quand les Verts pointent à la 11e place à 14 points d’Angers.

Car les Verts débutent par deux échecs qui font d’entrée tâche face à Grenoble (0-1) puis à Rodez (2-1) mais se reprennent vite pour enclencher une remontée, qui pour tous, dessine une saison en pente ascendante douce: du 19 août au 30 octobre, en 83 jours et 10 matches, l’ASSE pointe au 1/3 du championnat à la 2ème place. Laurent Batlles trouve la formule mais en connaisseur du milieu ne s’enthousiasme pas à la sortie d’un ASSE/Angers (2-0), victorieux: "Je suis fier du groupe, c’est intéressant car cela montre un bon état d’esprit, explique-t-il après le match. Le classement est-il anecdotique? Oui et non. L’important, c’est d’y être vers la 30ème journée. Mais cela reste à ce jour, le meilleur match." Il n’oublie pas de rajouter: "Il faut que cela dure le plus longtemps possible…"

Sent-il que cette série a tout du chant du signe? Peut-être car ce match "de référence", celui presque de la révérence, car tout s’effrite et se délite avec un enchaînement de cinq matchs pour autant de défaites en cinq semaines chrono qui font jaser dans le Forez. La statue de l’ancien joueur chancèle même auprès de ses premiers fans en interne.

Ce mardi 5 décembre soir-là, l’échec face à Guingamp (1-3) sera celui de trop. Peu après minuit, Jean François Soucasse, le président exécutif vient en zone mixte : « Il y a une situation qui est difficile pour notre club, dit-il. Malheureusement nous avons fait un constat qu’en l’état, on allait avoir beaucoup de mal à atteindre nos objectifs indépendamment de l’investissement sans faille de Laurent, de son amour du club, de sa volonté viscérale de réussir cette mission. Il y a des électrochocs, appelez-ça comme vous voulez, à mettre en œuvre. Ce ne sont jamais des moments agréables. La responsabilité qui est la mienne est de redonner un élan à cette équipe." Arrivé sur le banc des Verts le 1er juillet 2022, l'ancien milieu de terrain n'aura pas survécu à cette série noire, et est convoqué mercredi à un entretien préalable à licenciement.

Une semaine plus tard, Olivier Dall’Oglio lui succède, prend ses marques, conduit le mercato de janvier avec l’arrivée d’Irvin Cardona, Nathanael Mbuku et Yvann Maçon et façonne la résilience stéphanoise, en transformant "l’humiliation" de la défaite du 4 février chez le promu Dunkerque (1-0) en levier de motivation.

Le lundi qui suit, il avance la séance d’entraînement à 9h en convoquant ses joueurs dans la salle vidéo pour le débriefing. Il fait lancer le match à distance, sans que personne du staff ne soit dans la pièce. Aucun joueur ne bouge, "subit" de revoir le (non) match dans le nord: "se regarder jouer leur a fait du mal, puis du bien", résume un membre du staff. Le groupe "se parle", évacue les non-dits, pointe du doigt les erreurs manifestes. Douze épisodes plus tard, fort de 10 succès pour deux défaites seulement, l’ASSE fond sur Angers qui s’effondre, notamment à la maison devant… l’ASSE (0-3), le 17 février. Ainsi, au coup d’envoi de la J37, les Verts reçoivent Rodez dans une enceinte de nouveau pleine jusqu’aux cintres – cinquième guichets fermés de suite – et offrent un nouvel ascenseur émotionnel à leurs fans: incapables de battre Rodez (1-1), St Etienne redonne la main à Angers, vainqueur à Annecy (1-2) à la dernière minute sur un but d’un ancien de la maison, Loïs Diony…

Ultime émotion, le barrage. Une manche aller remportée de justesse, et les frissons du match retour. Et un retard à remonter, avec deux buts encaissés alors que Metz était à 10 contre 11. Avec une prolongation en prime pour couronner cette saison décidément si particulière.

Dall'Oglio, le manager franc mais juste

Quand il pose ses valises à l’Etrat puis son regard sur son effectif, Olivier Dall’Oglio, ex-coach de Dijon (2016-2019) avant Brest (2019 – 21) et Montpellier (2021-22) dirige pour la première fois une équipe en difficulté en cours de saison. Celle de Saint-Etienne dévisse complètement à l’époque: elle vient de passer de la deuxième place fin octobre (après une série de 10 matchs sans défaites dont six clean sheet de suite) à la huitième place après cinq défaites de suite! "ODO" reprend les Verts, à la huitième place à neuf points de la deuxième place... Mais il s’avance avec calme, méthode et confiance après un break de plus de 13 mois, depuis son licenciement de Montpellier, le 17 octobre 2022: "C'est un nouveau défi dans un club mythique. Il va falloir aller vite, mais je suis vraiment confiant. Je vais transmettre ma détermination à tout le groupe. Il va falloir être rigoureux, vigilant, avoir la concentration nécessaire. C'est sur ces aspects que je vais appuyer dans un premier temps." Son néo-directeur sportif complète: "Olivier est le premier entraîneur que nous avons rencontré, dit Loïc Perrin. Le contact avec lui a tout de suite été bon. Je suis très content qu’il nous rejoigne avec l’ambition de redonner de la confiance au groupe. Il a l’expérience, le recul nécessaire pour mener à bien cette mission."

Il fixe sa priorité: "Remettre de la rigueur et de l’intensité dans les courses et le mental. J’ai parfois vu un manque d’attention." Et se dit optimiste pour la montée: "J’apporte ma nouveauté et peut être du liant… je veux aller chercher la marge de leurs efforts, ce petit plus, ce détail, pour plus de solidarité. C’est un travail, de la communication, je ne leur ferai pas de cadeaux car la vie à Saint-Etienne est exigeante."

La montée en six mois – la durée de son contrat – est-ce possible? "Certaines équipes ont pris les devants… moi, je vais d’abord me concentrer sur mon équipe. Nous verrons mais oui, c’est possible. Mais il faut faire une série. Ce sont les victoires qui feront avancer."

L’unanimité autour de son nom lui apporte une légitimité qui lui permet de tancer régulièrement ses hommes, de les mettre devant leurs responsabilités. "Il sait les piquer sans les vexer, résume un proche du groupe. Sa "ficelle" de management lors de l’après match face à Dunkerque (voir plus haut), finalement gagnante dans une forme de "quitte ou double", lui a ouvert un boulevard dans la conduite de son groupe qui n’a pas voulu rester sur une saison "molle". Tout le monde a pris le taureau par les cornes. »

Olivier Dall’Oglio, le bienveillant n’oublie jamais la carte franchise, sans états d’âme, ni de service: ainsi, les joueurs "Batlles" (Dylan Chambost, Michael Nadé …) ne sont pas écartés tout comme ceux en difficulté (T. Monconduit …). Il bascule en mode "reset". Tout le monde repart d’une feuille blanche. Les mentalités évoluent: "Même quand on est en difficulté, on est présent", répète-t-il dans la dernière ligne droite. "Tout le monde travaille énormément, des attaquants, aux gardiens de but. Donc je pense que c'est notre qualité première."

ODO s’offre avec un jour de décalage - il a eu 60 ans le 16 mai – un joli cadeau d’anniversaire avec cette montée en laquelle il croit toujours, même la veille de ce match nanti d’un mince espoir. Il sait depuis quelques semaines qu’une force intime dans le groupe anime ses joueurs: "Quand ça ne va pas c'est là où on voit la vraie force de chacun, c'est là où chacun aussi se découvre. C'est de dire je peux faire plus: je pense que certains se sont découverts en se disant: "Oui j'ai d'autres ressources que ce que je pensais."

Une belle éclaircie économique

Dans cette ville qui vibre et vit au rythme de "son stade mythique", le parcours de l’ASSE réveille tout le monde. Réveille et égaie aussi tout le tissu économique qui tousse avec les déboires de l’emblème de la ville, Casino dont le fondateur en 1898 n’est autre qu’un certain… Geoffroy Guichard: "Dans cette ville qui souffre, le club a un rôle social important, explique le président de la CGPME Daniel Villareale. Les gens, cette saison sont heureux le lundi matin. Ils évoquent le but, la victoire, la bonne passe." La semaine se passe beaucoup mieux du coup! "Tout tourne autour du foot ici, rappelle le chef d’entreprise qui entend laisser le ballon rond là où il est: "On ne va pas multiplier par deux le chiffre d’affaires avec cette montée, mais l’ambiance plus festive donne du "peps" à tout le monde. C’est une vraie locomotive de motivation." Et les succès des Verts ne vont pas empêcher les suppressions de poste au siège historique de Casino près de la gare: "Et puis, le tissu économique est épais dans le textile, le militaire, l’enseignements ; et nous avons toujours su trouver les ressources de la résilience pour les 200 000 emplois au cœur de l’agglomération de 430.000 habitants."

Reste que quand l’adage "l’ASSE va, tout va" prend tout son sens pour la jeune entreprise, Kelyps Interim. Partenaire depuis juillet 2022, quelques semaines après la descente, la petite centaine d’employés de cette entreprise se voient offrir une visibilité inattendue avec la défaillance de la marque centrale sur le maillot. En échange de ce coup de main donné au plus bas sportif, les dirigeants stéphanois offrent en mars dernier, l’emplacement pour les huit derniers matchs de la saison à cette jeune société: "avec cette face avant du maillot, nous avons des demandes de places incroyables, nous avons l’impression de disputer des derbies face à Lyon toutes les semaines, constate l’un de ses fondateurs, Barthelemy Antoine. Notre loge est remplie. On se fait connaitre plus rapidement. Je suis un enfant du KopNord, et inscrire le nom de mon entreprise sur le maillot de la montée, c’est incroyable." Difficile de mesurer déjà l’impact de cette belle issue sur l’avenir économique de la société, mais l’élan au moins sur ses réseaux sociaux reste palpable et notable.

Les trois hommes clés: un gardien, un buteur et un revenant

L’un est le "mur qui ne fissure jamais": un ballon détourné face à Bastia le 20 écembre qui évite le 3-3, une claquette face à Concarneau qui préserve le 1-0 et un arrêt réflexe face au meilleur buteur de la Ligue 2, Alexandre Mendy le 27 avril… Gauthier Larsonneur, auteur de 18 des 19 clean sheet des Verts en 38 rencontres, a sauvé ses coéquipiers à de nombreuses reprises en évitant, notamment que Bastia, Caen, Concarneau ou Annecy ne repartent de Geoffroy Guichard avec le point du match nul…

A l’opposée du terrain, Irvin Cardona va lui va devenir le serial buteur pour un retour en France gagnant et un pari gagné pour "son" coach, Olivier Dall’Oglio, connu à Brest: "Je vais retrouver des coéquipiers, un staff et notamment un coach qui m’a lancé en Ligue 1, c’est bon pour la confiance mais j’ai encore plus à prouver, à montrer. Je suis déterminé à le faire", annonce le 4 janvier le joueur, prêté par le FC Augsbourg. Il amènera sa polyvalence et son efficacité en 18 matchs, il marque huit fois et offre trois passes décisives notamment dans cet enchaînement de la dernière ligne droite de février à mai, où les Verts marquent autant de points en 13 matchs (32) que lors des 23 premiers épisodes jusqu’au 3 février.

Quant au troisième homme, il résume à lui seul, les 24 derniers mois des Verts: de la douleur de la descente au devoir de la remontée. Seul joueur ayant connu la douloureuse saison de la descente en mai 2022, passé par deux prêts au PFC puis au Maccabi Tel Aviv revient en janvier, sur une intuition de Loic Perrin, le directeur sportif. Les évènements au proche orient du 7 octobre ayant gelé les compétitions, St Etienne casse son contrat de prêt et lui offre une seconde chance. Et donne peut-être un peu plus que les autres dans les matches de 2024. Il savoure: "Quand je me balade en ville, c’est plus agréable d’être félicité ou encouragé que de recevoir des petites piques", avoue-t-il dans un point presse début mai. "Je sens que je dois aux supporters de remonter. Je me le dois également à moi-même. Quand on a fait descendre le club, on devient les joueurs les plus détestés par la ville et par tout le monde. C’est normal, c’est humain. Ramener le club en Ligue 1 permettrait de remettre le club à sa place et de se racheter aux yeux de tout le monde."

Ils réussisent la mission en attendant de connaître leur avenir

D’abord bénévole au club dans les années 70 avec les équipes de jeunes, puis "sauveur" du dépôt de bilan en 2004 avec sa société "Sacma Agencement", Roland Romeyer boucle la boucle avec "son" club. Actionnaire depuis 2004 dans un duo détonant et improbable avec le très parisien Bernard Caiazzo, le chef d’entreprise stéphanois pur sucre ramène le club là où il l’a trouvé. Avec un bilan honorable car l’histoire retiendra que sous sa présidence active à la tête du directoire, il dépoussière le musée des Verts qu’il a tenu à créer. Avec Christophe Galtier, qu’il a imposé contre son acolyte en décembre 2009 qui souhaite placer Luis Fernandez pour succéder à Alain Perrin, il ramène un Trophée, la Coupe de la Ligue en 2013, 32 ans après le dernier des dix titres de champion de France… Au moment de la vente annoncée du club, il réussit sa sortie.

Eux aussi ont réussi à ramener le navire ASSE sur le quai Ligue 1: Jean François Soucasse, président execuitif depuis juillet 2021 n’aura donc pas été que l’homme de la descente. Loic Perrin dont les débuts ont fait jaser dans le recrutement partiellement raté à l’été 22 mais aussi 23, montre qu’il a su apprendre pour redresser la barre en janvier 24. Avec le "troisième homme" à la tête de la reconstruction, Samuel Rustem, ils peuvent donc avancer une belle réussite. Mais cela suffira-t-il à convaincre le nouveau futur probable propriétaire, le milliardaire canadien Larry Tanenbaum? L’homme d’affaires Ivan Gazidis, appelé à mener le club devra rapidement trancher mais a assuré qu’il ne voulait pas, pour le moment, procéder à une révolution de palais…

La paix avec les supporters?

"Jamais un club de deuxième division française n’avait joué à cinq reprises devant plus de 35.000 personnes" tonne un communiqué de presse à la veille de la réception de Rodez, le vendredi 10 mai qui se fera devant 35.701 spectateurs. Au total, les Verts auront été supportés par près de 480 000 personnes à Geoffroy-Guichard cette saison, affichant la meilleure affluence moyenne de la division (plus de 25.000 personnes). Le tout donc grâce à une fin de championnat échevelé et enthousiasmante.

Car avant, il y a… l’après! L’après série d’incidents qui émaillent la chute de Ligue 1 à Ligue 2, qui fait débuter la saison 22-23 à huis clos avec des points en moins, un handicap comptable et de soutien qui handicap ce premier acte à l’étage du dessous. La saison 23-24 en subit quelques scories encore, suite notamment à des sanctions en sursis qui tombent après des craquages de fumigènes et/ou une bagarre entre supporters de… St Etienne à Rodez.

Au final, il y a aura (seulement) six huis clos partiels en août, octobre, janvier puis le dernier face à Annecy à la fin février qui touchent principalement les kops au sud et au nord: "Cela fait plaisir, cette année, j’ai pu aller à tous les matchs", se réjouit Joss Randall, un abonné historique dans une autre partie du stade qui a pu apprécier les 6 matches à guichets fermés, le 5 novembre pour les 90 ans "officiels" du club face à Bastia (35.337 personnes) avant cet enchaînement historique du 9 mars au 10 mai ( 36 277 spectateurs face à Auxerre, 37.337 spectateurs face à Concarneau le samedi 6 avril, 35.317 spectateurs face à Bordeaux le samedi 20 avril, 35 445 face à Caen, le samedi 27 avril et les 35.701 face à Rodez la semaine dernière.

Certes, il rode toujours un sursis concernant un point de pénalité potentiel mais l’avocat du club, Olivier Martin a eu beaucoup moins de travail, cette saison, en milieu de semaine à la commission de discipline. Les bons résultats, la montée et surtout, la vente du club devrait définitivement éteindre la fronde, qui connut son paroxysme le 29 mai 2022 à 21h48 à la suite du barrage perdu face à Auxerre dans le barrage Ligue 1-Ligue 2 avec ce KO à Geoffroy-Guichard qui hante encore des têtes. Les Verts avaient du partir avec trois points de pénalité et disputer leur quatre premiers matchs à la maison à huis clos. Cela avait plombé la relance de l’acte I du plan remontée, terminé à la huitième place…

Article original publié sur RMC Sport