Avec la sécheresse, une « guerre de l’eau exacerbée » en France ?

Alors que plusieurs vols d’eau ont été signalés en France, l’« or bleu » devient également la source de tensions entre habitants.

SÉCHERESSE - Des litres volés dans une réserve, des jacuzzis troués, des robinets d’eau coupés dans des cimetières car soupçonnés d’être utilisée par des habitants aux alentours… Les pillages et les tensions autour de l’eau se multiplient depuis la mi-juillet, alors que l’ensemble des départements de métropole sont touchés par une sécheresse « historique et exceptionnelle », conduisant à d’importantes restrictions d’eau et à une pénurie d’eau potable dans « une centaine de communes ».

Fin juillet, un premier vol de grande ampleur a relancé les inquiétudes sur une « guerre de l’eau » de plus en plus récurrente et marquée en France, en lien avec le réchauffement climatique, une consommation qui s’accroît et des usages et une gestion de la ressource qui font de plus en plus débat, comme l’ont montré les critiques politiques sur les dérogations accordées au golf.

Le 16 juillet, près de 400 mètres cubes d’eau destinés à la lutte contre les incendies ont été volés, à l’aide d’une pompe, dans un bassin de rétention situé sur la zone industrielle de Lavilledieu en Ardèche. Trois semaines plus tard, un club de moto-cross voisin a reconnu sa responsabilité, expliquant avoir voulu utiliser l’eau pour arroser sa piste et assurer la sécurité des spectateurs en vue d’un événement à venir « avec 2 000 personnes » . Présentant ses excuses, le club a ensuite restitué l’eau.

À ces vols s’ajoutent des actes de vandalisme. Dernier exemple en date, les bâches de deux réserves d’eau agricoles, destinées à l’irrigation, ont été déchirées dans la nuit du lundi 8 au mardi 9 août à Pouillé et à Nalliers (Vendée). Accusées de pomper l’eau des nappes phréatiques et de privatiser un bien commun, ces méga-bassines sont devenues, pour plusieurs collectifs et associations de défense de l’environnement, le symbole de la mauvaise gestion de l’eau en France et d’une consommation inadaptée de l’agriculture.

« L’eau, c’est fait pour boire »

Face à ces « actes de dégradation et de malveillance » qualifiés « d’anti-économique, anti-environnemental et anti-agricole », la collectivité propriétaire de ces réserves a décidé de porter plainte et demande « la fermeté de la justice » contre les auteurs. Elle évoque des dommages dont « l’unité de mesure sera le million d’euros ». « Cela pourrait imposer de trouver de nouvelles solutions militaires avec les partenaires dès la rentrée, mais la concertation est toutefois privilégiée pour trouver des solutions sécuritaires à court et moyen termes », a ajouté le président du syndicat dans un communiqué publié ce mercredi matin, alors que l’acte n’a pas été revendiqué.

Le député de la majorité présidentielle Pierre Henriet a, lui, réclamé que les auteurs « soient lourdement sanctionnés au vu des conséquences sur la biodiversité et des préjudices pour les agriculteurs et notre alimentation ». Une enquête a été confiée au parquet de La Roche-sur-Yon. 

Interrogé par France Bleu, le député assure que les études scientifiques ont montré l’utilité de ces bassines : « Je ne crois pas que c’est avec ce type de méthode en allant saccager ces investissements lourds financièrement que nous arriverons à parler de manière correcte et sereine de la gestion de l’eau », a-t-il précisé. « Ces réserves ont permis en Vendée de remonter l’étiage du marais de 2 à 3 mètres : c’est prouvé scientifiquement », affirme de son côté à France 3 un producteur de céréales de la région.

En Charente-Maritime, certains agriculteurs irriguent leurs cultures malgré les limitations imposées par la préfecture, s’insurge l’ONG France Nature Environnement (FNE). « Une minorité d’agriculteurs enfreint les arrêtés d’interdiction d’irrigation et met en danger une ressource précieuse, un bien commun, l’eau », dénonce-t-elle, s’appuyant sur un courrier de l’association des irrigants de Poitou-Charentes.

Dans la nuit du 28 au 29 juillet, les jacuzzis de cinq habitations dédiées à la location saisonnière qui ont été éventrés à Gérardmer (Vosges), relève Libération. Le message « l’eau, c’est fait pour boire » a été retrouvé sur place, alors que la ville est obligée de pomper l’eau du lac depuis le 3 août pour fournir de l’eau à ses habitants face à l’assèchement accéléré de la nappe phréatique de Ramberchamp.

« Le gâteau se réduisant, les conflits s’aiguisent »

« Cette année est vraiment exceptionnelle », explique à l’AFP un spécialiste du secteur de l’eau ayant requis l’anonymat. Dans le sud-est de la France où il est implanté, les conflits autour de l’eau ne datent pas d’hier mais « aujourd’hui, c’est exacerbé ». Le cumul moyen de précipitations s’est élevé à 9,7 millimètres en juillet, un déficit de précipitations d’environ 84 % par rapport aux normales de la période 1991-2020, selon Météo-France.

« On découvre que cette eau qu’on pensait inépuisable est rare, elle va devenir de plus en plus rare à certaines périodes de l’année et il va falloir la partager », a expliqué sur France Culture Thierry Burlot, président du Comité de bassin Loire-Bretagne lors d’une émission consacrée à la politique de l’eau. « On est à l’os en termes de ressources en eau : le gâteau se réduisant, les conflits s’aiguisent et donc ça pose la question de la légitimité des usages, (...) de l’équité de traitement entre les groupes sociaux », a ajouté sur la même radio Sylvain Barone, chargé de recherches à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).

Face à une eau devenue denrée plus rare, « ceci va nécessiter des compromis », ainsi qu’une gestion de l’eau « tout au long de l’année » et plus seulement l’été pendant les pénuries, fait valoir Thierry Burlot.

« Le conflit est toujours un révélateur des tensions existantes. Si guerre de l’eau il y a, le changement climatique n’en sera pas la cause unique. Il faut considérer les vulnérabilités aggravées par l’accumulation des crises, l’inaction et le statu quo », estime Magali Reghezza, géographe et membre du Haut conseil pour le climat dans une interview accordée à une filiale de la Caisse des dépôts. « On a aujourd’hui en France, des cadres efficaces de gestion et partage de l’eau, quand tous les acteurs des territoires sont accompagnés et soutenus. Cela ne veut pas dire que localement, il n’y a pas de conflits durs, mais nous ne sommes pas aujourd’hui dans une situation de tension sociale et politique qui ferait basculer le pays dans des affrontements armés. Les mots ont quand même un sens », nuance-t-elle.

VIDÉO - Sécheresse : La Loire si basse qu’elle se traverse à pied par endroits

Lire aussi :

Face à la canicule, voici LA boisson parfaitement écolo

Comment les sécheresses changent le contenu de nos assiettes

La sécheresse impacte la production de lait, crainte d’une pénurie dans les prochains mois

undefined