Dans la Russie d'aujourd'hui, le "dieu de la guerre" Poutine est plus populaire que jamais
Alors que la Russie se prépare à l'élection présidentielle prévue en mars de l'année prochaine, Vladimir Poutine joue au jeu du "je veux, je ne veux pas" et n'a pas encore annoncé sa candidature.
Pourtant, l'hésitation apparente du président sortant n'est rien d'autre qu'une mascarade et, à moins d'un bouleversement inattendu, il est prêt à diriger la Russie pour un nouveau mandat de six ans. Et, aussi illogique que cela puisse paraître aux yeux d'observateurs extérieurs, l'invasion à grande échelle de l'Ukraine n'a fait que renforcer son emprise sur le pouvoir.
En réalité, l'ensemble de l'image politique soigneusement élaborée par Vladimir Poutine en Russie repose sur l'idée qu'il est un dieu de la guerre masculin, inébranlable et capable de résister à des assauts qu'aucun autre que lui ne peut endurer.
C'est le cœur de son personnage politique. Ses autres apparences sociales sont réservées aux différents échelons du pouvoir en Russie, au cercle intérieur et extérieur, ainsi qu'aux chefs d'État étrangers, qu'ils soient adversaires ou partenaires (dans le crime).
Ce visage, cependant, est celui que Vladimir Poutine présente spécifiquement au public russe, qui semble prêt à le soutenir sans limite une fois de plus, sans poser de questions.
Le résultat de périodes de chaos
Le seul fait que Vladimir Poutine n'ait pas choisi de fonder sa personnalité politique sur son charisme personnel, sa sagacité administrative ou ses prouesses intellectuelles a été en partie déterminé par l'époque de Boris Eltsine, au cours de laquelle il a réussi à gravir les échelons d'une politique corrompue en usant de coups de poignard dans le dos.
Ce fut une ère de chaos, non pas à cause des réformes libérales et de marché, mais parce que les réformateurs eux-mêmes ont arrêté à mi-chemin les changements, une fois qu'ils ont été convaincus que le pouvoir politique et économique était fermement à leur portée.
Les changements intervenus en Russie à l'époque ont été décidés par décret au plus haut niveau et il n'existait pas à la base, de grand mouvement politique d'opposition favorable à la démocratie qui aurait pu imposer des réformes.
Ainsi, une fois le pouvoir politique distribué et la richesse économique acquise, ce ne sont pas les opposants, mais les promoteurs initiaux des réformes qui les ont stoppées net.
D'autre part, cette période n'a pas été celle d'une démocratie idéaliste en Russie, mais celle de la faiblesse du centre du pouvoir fédéral. La liberté, sous-produit de cet état de fait, n'a jamais été véritablement souhaitée, elle a simplement dû être tolérée.
La cause tchétchène devient une menace existentielle
Les deux guerres de Tchétchénie ont donné un but à Boris Eltsine et à Vladimir Poutine. De leur point de vue, la Russie était en danger et ils allaient se battre pour la protéger.
En réalité, pendant l'ère soviétique, le peuple tchétchène a été victime de l'un des crimes d'État les plus horribles : il a été déplacé de force et en masse vers l'Asie centrale.
Les personnes âgées et les nouveau-nés ont été entassés dans des trains à bestiaux et expédiés loin à l'Est. De nombreuses personnes des catégories les plus fragiles ont perdu la vie au cours du voyage.
Ce n'est qu'avec la chute du pouvoir central à Moscou que les Tchétchènes ont pu retourner sur la terre de leurs ancêtres. La lutte pour l'indépendance de la Tchétchénie était une conséquence logique de la domination russe sur le territoire après la disparition définitive de l'Union soviétique.
Mais les seigneurs moscovites des spécimens Eltsine et Poutine ont choisi de transformer la cause tchétchène en une menace existentielle pour la Russie elle-même, un peu comme cela a été fait avec l'Ukraine près de deux décennies plus tard.
C'est ainsi que, par la nature même du chemin de guerre déjà tracé, le personnage politique de Vladimir Poutine a été rationalisé pour devenir le dictateur de guerre que nous connaissons et détestons aujourd'hui.
Le personnage d'homme fort de celui qui devait être une simple marionnette
Les attentats à la bombe contre des appartements en septembre 1999, imputés au gouvernement de Grozny, qui ont justifié la seconde guerre de Tchétchénie aux yeux de l'opinion publique russe, font l'objet de nombreuses spéculations, qui perdureront longtemps après que Vladimir Poutine aura quitté ce monde.
Le fait est que le gouvernement central russe avait déjà choisi la guerre comme instrument politique favorisant la cohésion dans le but de parvenir à un contrôle total et étouffer le fédéralisme russe naissant avant même que Vladimir Poutine ne soit sous les feux de la rampe.
Et que les attaques terroristes aient été ou non un coup monté, Vladimir Poutine avait déjà été choisi par le clan Eltsine et les quelques oligarques qui détenaient suffisamment de pouvoir pour choisir le prochain président de la Russie, parmi lesquels Boris Berezovsky (qui a été assassiné plus tard en Grande-Bretagne) et le gendre de Boris Eltsine, Valentin Yumashev (qui est resté loyal).
La stratégie de guerre de Boris Eltsine a revigoré une fois de plus l'appareil de sécurité lourdement endommagé qui terrorisait le pays à l'époque soviétique.
Vladimir Poutine a été choisi pour jouer le rôle de future marionnette parce qu'il faisait l'affaire - le personnage de l'homme fort était exactement ce qu'il fallait.
Et il n'était pas le seul à avoir besoin d'une guerre, l'autocratie russe renaissante en avait également besoin. C'est peut-être le FSB lui-même qui a monté le coup, ou bien ce sont les extrémistes islamiques tchétchènes, qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement de Grozny, qui ont fourni le casus belli nécessaire. De toutes façons, la différence ne serait pas très importante aux yeux de l'opinion publique russe, déjà acquise à la cause.
La nécessité de la guerre en tant qu'instrument de domination était déjà en place. La seconde guerre de Tchétchénie a façonné l'image politique de Vladimir Poutine à un point tel qu'il ne pourrait jamais s'en affranchir, même s'il le voulait.
De la Tchétchénie à la Transnistrie, puis à la Syrie
En fin de compte, le récit a été très efficace et a redonné aux masses russes appauvries, le sentiment d'un pouvoir collectif.
Avec les attentats terroristes perpétrés dans les villes russes pendant des années, dans le contexte des guerres de Tchétchénie, le discours du Kremlin a également contribué à rallier la population autour de la figure paternaliste et dure qu'était devenu Vladimir Poutine.
Entre-temps, l'homme a fini par se détacher de ses protecteurs, gardant pour lui seul, ce personnage et le pouvoir qu'il avait accumulé.
Puis, en 2008, survient la guerre de Géorgie. Elle se solde par une petite et rapide victoire des forces russes qui éclipsent plusieurs fois l'armée géorgienne. Ce fut un tournant car il s'agissait d'une guerre étrangère, bien plus directe et plus importante que l'ingérence de Boris Eltsine en Transnistrie, en Moldavie, quelques années auparavant.
La Russie est redevenue officiellement un empire. Encouragé par la stabilité des prix du pétrole, qui remplissait régulièrement les coffres de l'État russe, Vladimir Poutine était au sommet de sa popularité réelle - et non de celle, creuse, qu'il a aujourd'hui, alors que toute alternative est pratiquement proscrite -.
C'est l'aventure syrienne, à l'instar des interventions coloniales des puissances européennes dans la région au XIXe siècle, qui a remis la Russie sur le devant de la scène mondiale. Avec l'annexion de la Crimée en 2014 et l'agression militaire dans la région du Donbass, elle a revitalisé l'image de la Russie en tant que superpuissance militaire.
Le masque s'est peut-être fissuré, mais l'image du dictateur de guerre résistera
Durant la période la plus récente, l'image de Vladimir Poutine a commencé à se fissurer, et pas seulement parce qu'il n'a pas été en mesure de remporter une victoire décisive contre l'Ukraine en 2014.
Il était au pouvoir depuis trop longtemps, la croissance économique rapide était terminée et le semblant de libertés politiques fondamentales commençait à disparaître. Entre-temps, Kiev est devenue un double danger pour Vladimir Poutine : elle était perçue comme une menace pour la stabilité du régime à Moscou si elle n'était pas contrôlée, mais elle offrait également une excellente occasion de renforcer le pouvoir de Vladimir Poutine si elle était rapidement maîtrisée.
Une nouvelle guerre, une "grande guerre", qui entrerait dans l'histoire de la Russie, marquerait l'héritage de Vladimir Poutine et consoliderait son pouvoir de son vivant.
Après dix-neuf mois de guerre, la victoire n'est jamais venue. Malgré cela, le régime a trouvé un nouveau moyen de se maintenir au pouvoir : une guerre éternelle de moindre intensité. D'une certaine manière, il s'agit désormais d'une guerre menée avec juste assez de ressources pour la poursuivre, mais pas suffisamment pour provoquer des troubles civils.
De leur point de vue, les dirigeants occidentaux considèrent qu'il s'agit d'une stratégie d'endiguement : il s'agit de refuser la victoire à la Russie, de la vider de ses ressources, mais de ne pas tenter de fournir à l'Ukraine, une aide suffisante pour la vaincre, de peur de ce qui pourrait s'ensuivre : un éclatement chaotique de la Russie, une guerre totale, voire un holocauste nucléaire, sont autant de possibilités réalistes.
Dans le même temps, Vladimir Poutine et son cercle rapproché voient dans tout cela, l'occasion de rétablir un régime totalitaire en Russie même, assurant ainsi leur position pour les années à venir, tout en espérant que l'Ukraine finira par s'effondrer sous la pression. Et Vladimir Poutine, le dictateur de guerre, bien que battu, l'emportera.
Aleksandar Đokić est un politologue et analyste serbe qui a publié des articles dans "Novaya Gazeta". Il était auparavant chargé de cours à l'université RUDN de Moscou.
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