Le rugby français ne voit pas d'un bon oeil le carton rouge de vingt minutes

"Le bunker existe, autant l’étendre au TOP14." Laurent Travers, président du Racing 92

Le dirigeant francilien nous le confirme: les clubs ont participé aux discussions sur le carton rouge de 20 minutes. Et s'il défend l'évolution des règles pour rendre le rugby plus attractif, Laurent Travers rappelle que la sécurité des joueurs prime. "Il est important d'avoir du spectacle, mais pas au détriment de la sécurité du joueur. Le carton rouge pousse les joueurs à être vigilants et à se maîtriser même si, par moments, c'est compliqué."

Cela fait deux ans que le carton rouge de 20 minutes est testé dans le Rugby Championship (compétition dans laquelle s'affrontent chaque année l'Afrique du Sud, la Nouvelle Zélande, l'Australie et l'Argentine) et dans le Super Rugby (rassemblant des franchises néo-zélandaises et australiennes). Les nations de l'hémisphère Sud, qui poussent pour généraliser cette règle, pointent l'impact trop lourd, selon elles, qu'a le carton rouge sur la physionomie d'un match.

Laurent Travers tempère. "Je suis bien placé pour le savoir puisqu'on a gagné une finale du championnat de France en jouant à 14 à partir de la 18e minute [Maxime Machenaud exclu lors de la finale du Top 14 face à Toulon en 2016]. Ca ne nous a pas empêché de gagner et c'est encore plus beau!" Et de poursuivre, "Quand une équipe s'est mise en danger, il est normal qu'elle soit pénalisée."

L'ex-entraîneur se demande plutôt s'il ne faudrait pas élargir le bunker* aux championnats. "Le bunker existe, autant l'étendre au Top 14 avec la possibilité de prendre le temps de regarder les gestes dangereux."

"On pourrait aussi envisager deux formes de cartons rouges, pose Laurent Travers. Si c'est vraiment un geste dangereux, il n'y a pas de retour. Si c'est un geste accidentel, peut-être permettre que l'équipe ne soit pas autant sanctionnée. Mais dans ce cas on en revient à la décision arbitrale avec le risque que ça crée la polémique. On a pas mal de règles dans le rugby qui sont liées à l'interprétation de l'arbitre et ça donne toujours sujet à discussion."

"Quand je jouais, il y avait quand-même des choses limites qui se passaient." David Skrela, ancien trois-quart du XV de France (23 sélections), de Colomiers, de Toulouse, du Stade Français et de Clermont

Du côté des anciens joueurs, David Skrela se dit lui aussi sceptique. "Le rugby a fait de gros efforts par rapport à mon époque. Quand je jouais, il y avait quand-même des choses limites qui se passaient. C’était des placages cathédrales, le rugby était un peu plus violent. Aujourd'hui, avec la vidéo et le carton rouge, on a réglé ça même s'il y a toujours des gestes dangereux." L’ex-demi d’ouverture convoque la responsabilité des joueurs. "Quand on est sportif de haut niveau, il faut connaître les règles. Et quand on prend un carton rouge, c'est que c'est mérité. Un carton rouge, on exclut et c'est fini."

"Cette règle de carton rouge autorise un bon nombre de gestes dangereux." Léo Barré, arrière du XV de France et du Stade Français

Même son de cloche parmi les joueurs en exercice. "Je suis de l'école qui veut que, quand on prend un carton rouge, on sorte du terrain, appuie Léo Barré. L'équipe n'a qu'à rester disciplinée. Je suis d'avis de ne pas changer la règle. Maintenant ce n'est pas moi qui décide, nous on est juste là pour jouer. Je pense que cette règle de carton rouge autorise un bon nombre de gestes dangereux. Il va falloir surveiller ça."

"Si une équipe prend un rouge, il faut qu'elle soit sanctionnée jusqu'au bout." Mathieu Hirigoyen, troisième ligne du Stade Français

Son coéquipier parisien Mathieu Hirigoyen, lui aussi, préfère se concentrer sur le terrain plutôt que sur les débats au sein de World Rugby. Mais lui non plus n’est pas favorable au carton rouge de 20 minutes. "Forcément, jouer en infériorité numérique ça désavantage l'équipe. C'est tellement dur de jouer à 15, alors à 14… C’est d'autant plus compliqué. Mais si des fautes méritent un rouge, je ne pense pas que ce soit nécessaire qu'un joueur puisse re-rentrer. Il faut que l'on soit disciplinés. Si une équipe prend un rouge, il faut qu'elle soit sanctionnée jusqu'au bout."

"Ce serait un vrai retour en arrière." Jean-Marc Lhermet, vice-président de la FFR en charge des équipes de France

À la Fédération française de rugby, on nuance le discours des nations du Sud qui pointent l’impact du carton rouge sur le cours d’une rencontre. "On s'est aperçus au travers de statistiques que l'on a sorties au niveau international et au niveau Top 14 que l'on est plus près de 60% de défaites suite à carton rouge que des 90%, nous explique Jean-Marc Lhermet. C'est donc équilibré puisqu'il faut effectivement que la sanction soit impactante, mais pas trop pour que ça ne soit pas systématique et que l'intérêt du match s'en trouve perturbé."

Le vice-président de la FFR insiste sur la dimension collective du carton rouge. "Le vrai impact du carton rouge, c'est la sanction collective, le fait que toute l'équipe soit impactée. C'est pour ça que tous les entraîneurs portent une attention particulière sur la discipline. Ils savent que ça peut avoir un impact sur le match. Ce carton rouge de 20 minutes serait un vrai retour en arrière par rapport à la lutte contre le jeu déloyal et contre la violence dans le rugby."

S’il se dit prêt à tester la règle comme lors de la tournée d’été des Bleus en Argentine (6-13 juillet) ou à la Coupe du monde des moins de 20 ans (29 juin-19 juillet), Jean-Marc Lhermet se veut vigilant, "On n'a aucune analyse précise sur la réussite de ce test dans les compétitions de l'hémisphère Sud et pourtant ils veulent le généraliser à tout le rugby. […] Nous, ce que l'on veut, c'est une réflexion approfondie. Si World Rugby décide de généraliser cette règle, alors la question de notre opposition se posera."

Jean-Marc Lhermet était aux côtés de Fabien Galthié lors de la réunion "Shape of the game" organisée à Londres en février. Ils ont fait part de leur opposition à cette nouvelle règle, soutenus par les nations du Nord.

* Le bunker permet à l'arbitre, dans le cas d'une faute litigieuse, de demander à son assistant vidéo de vérifier les images et de juger si le carton jaune doit être transformé en rouge. Utilisé lors de la Coupe du monde 2023 et lors du Tournoi des Six Nations 2024.

Article original publié sur RMC Sport