Rugby : ces anciens joueurs expliquent « l’enfer » des séquelles de leurs commotions cérébrales

Racing 92's New Zealand lock Dominic Bird receives medical treatment after an injury during the European Rugby Champions Cup round of 16 rugby union match between Racing 92 and Edinburgh at the U Arena in Nanterre, near Paris on April 4, 2021. (Photo by FRANCK FIFE / AFP)
FRANCK FIFE / AFP Racing 92's New Zealand lock Dominic Bird receives medical treatment after an injury during the European Rugby Champions Cup round of 16 rugby union match between Racing 92 and Edinburgh at the U Arena in Nanterre, near Paris on April 4, 2021. (Photo by FRANCK FIFE / AFP)

SPORT - Dépression, anxiété, perte de mémoire, crises de névralgie et d’angoisse… Certains anciens joueurs professionnels de rugby vivent un cauchemar au quotidien depuis la fin de leur carrière. Ces symptômes sont en fait les séquelles des nombreux chocs à la tête - certains ayant entraîné des commotions cérébrales - qu’ils ont subis pendant des années.

Face à ce fléau, certains se sont unis contre les instances du rugby. Ils sont plus de 200 anciens joueurs à avoir collectivement porté plainte en 2020 contre la Fédération internationale (World Rugby) et les fédérations anglaise et galloise qu’ils accusent de ne pas les avoir suffisamment protégés face aux risques liés aux commotions.

Le mouvement s’est ensuite propagé de l’autre côté de la Manche. Une vingtaine d’anciens joueurs ayant évolué en France vont déposer dans le courant de l’année une série de recours administratifs contre la Fédération française et la Ligue nationale de rugby pour manquement à leurs obligations de sécurité et d’information.

Justin Wring fait partie du premier groupe. Sarah Chlagou du deuxième. Et Alix Popham va lancer des démarches en France après la plainte déposée en Angletter. Pour Le HuffPost, ils témoignent des nombreux dommages neurologiques qui les touchent depuis la fin de leur carrière. Ils dénoncent également l’indifférence des instances et du corps médical, et proposent une salve de solutions pour prévenir les commotions et protéger les joueurs.

Une carrière faite de coups

« Dans les années 1990, on ne savait pas vraiment ce qu’étaient les commotions cérébrales. Le jeu était plus violent et les règles n’étaient pas au point », se souvient Justin Wring, un ancien joueur anglais passé par Bristol, Leeds et le Stade Français. Il a commencé sa carrière quand le rugby n’était pas encore professionnel, avant 1995 : « On était touché à la tête mais on restait sur le terrain. Beaucoup de joueurs ont été forcés à jouer alors qu’ils étaient blessés. Il m’est arrivé de nombreuses fois de rentrer chez moi sans me souvenir du match. »

Alix Popham ne se rappelle pas non plus de toute sa carrière qu’il a terminé en 2011. Cet ancien international Gallois des années 2000 est l’un des meneurs du groupe de joueur qui a porté plainte en Angleterre. Il dit avoir subi deux commotions cérébrales. « Ma famille et mes amis m’ont dit que j’en avais subi d’autres dont je ne me souviens pas », ajoute celui qui a enduré des chocs à la tête « tous les jours depuis que le rugby est passé professionnel ».

Ces chocs à la tête ont mis fin prématurément à la carrière de Sarah Chlagou, alors qu’elle évoluait à Rennes, en première division féminine, au poste de seconde ligne. À l’automne 2019, elle encaisse deux commotions coup sur coup, qui déclenchent ce qu’elle décrit comme « la descente aux enfers ». Souhaitant rejouer au plus vite, elle ne dit rien au sujet de ses souffrances. « À chaque premier contact à l’entraînement, je m’arrêtais car j’avais une décharge électrique », se souvient-elle.

Les médecins et neurologues qu’elle consulte lui disent qu’elle n’a rien, qu’elle invente et qu’elle est dépressive. « Je me suis isolée et les coachs ne l’ont pas vu. J’ai pété un plomb fin décembre 2020. Je suis allé voir le médecin et il m’a dit qu’il fallait que j’arrête ma carrière », raconte-t-elle. Mais le pire est alors à venir.

« Personne ne le reliait aux commotions »

Lancée dans un parcours de combattante afin de savoir quel est le mal qui la ronge, Sarah Chlagout dit s’être heurtée à un mur. « Il y a toujours quelqu’un qui pointe du doigt quelque chose qui ne va pas. Mais personne ne le reliait aux commotions. Pour eux, c’était dans ma tête. La neurologue niait totalement les douleurs et les pertes de sensibilité. » Ses séquelles sont de plus en plus virulentes : « J’avais l’impression de devenir folle. J’avais des décharges dans le crâne. Je faisais des malaises, des crises de névralgie et des crises d’angoisse. »

Alors qu’elle menace de se suicider, son médecin l’envoi vers un autre neurologue qui constate tous ses symptômes. « Il m’a dit que c’était bizarre car je suis très souriante pour une jeune femme qui souffre tant. Il a établi que mes troubles venaient de mon enfance car mes parents m’avaient stressée. C’était incroyable », peste Sarah Chlagou.

Presque deux après ses deux commotions cérébrales, c’est finalement un troisième neurologue, spécialisé sur le sujet, qui lui diagnostique un syndrome post-commotionnel (SPC). Bien que les chercheurs ne s’accordent pas tous sur sa définition - en raison de la durée des symptômes, notamment, un SPC se caractérise par la persistance sur le long terme des symptômes consécutifs à un traumatisme crânien.

Pour Justin Wring, il lui a fallu plus de 10 ans pour savoir qu’il souffrait de démence précoce. Il se souvient de l’apparition des symptômes : « C’est arrivé de nulle part. J’étais marié et j’avais une vie heureuse. J’ai fait une dépression nerveuse, des crises de convulsions et je suis devenu suicidaire. J’ai essayé de mettre fin à mes jours deux fois. Ma femme m’a sauvé. Sans elle, je ne serais plus là. » S’ajoutent à cela des difficultés financières, lui et sa femme perdant leur maison et leur argent.

Alix Popham a eu la chance de sonner directement à la porte d’un spécialiste qui fait rapidement le lien entre les commotions subies au rugby et son anxiété, ses troubles de la mémoire et de la concentration. Souffrant lui aussi de démence précoce, il est également atteint d’une encéphalopathie traumatique chronique - une maladie neurodégénérative déclenchée par les commotions, mais aussi par tous les petits chocs à la tête qu’il subissait quotidiennement à l’entraînement.

Le rugby doit s’adapter

Si ces trois anciens joueurs s’en prennent aujourd’hui aux instances, c’est pour empêcher les autres de subir le même sort. Certains plaident pour que les joueurs passent des tests afin de prévenir ces troubles post-commotionnels. Tous admettent ne pas avoir été suffisamment informés à ce sujet et souhaitent qu’il y ait une plus forte sensibilisation. « Si je savais les symptômes qui m’attendaient, je n’aurais pas forcé pour réessayer de jouer », regrette Sarah Chlagou.

Alix Popham considère que le rugby est plus dangereux depuis sa professionnalisation : « Les joueurs sont plus costauds, plus rapides, plus forts. Il y a de plus en plus de matchs et d’entraînements et la saison dure 11 mois. » Pourtant, l’ancien joueur de Brive estime que les règles du jeu ne doivent pas être changées. Au contraire de ce qu’il se passe en dehors des matchs.

Il souhaite imposer un nombre de contacts maximum durant une semaine ou toute une saison. Selon lui, le temps minimum de récupération après une commotion doit être allongé jusqu’à 28 jours : « Un boxer a trois mois avant d’être autorisé à remonter sur le ring en cas de commotion. Un mois sans entraînement. Au rugby, tu peux revenir après 7 jours. »

Il glisse alors un tacle aux instances du rugby : « Les fédérations veulent que les superstars jouent chaque semaine. Ils se fichent de la santé des joueurs. Elles les traitent comme de la viande. »

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