Royaume-Uni : pourquoi la loi sur l'expulsion des migrants vers le Rwanda fait polémique

Après avoir longtemps repoussé l'échéance, la chambre des Lords a finalement validé le projet de loi controversé porté par le gouvernement de Rishi Sunak.

A l'appel d'Amnesty International, des opposants au projet de loi avaient manifesté en mars dernier à Londres. (Photo : Mark Kerrison/In Pictures via Getty Images)

Le Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) parle d'un "précédent mondial inquiétant" si la loi venait à être mise en application. Dans la nuit du lundi 22 au mardi 23 avril, le parlement britannique a adopté le projet de loi "sûreté du Rwanda (asile et immigration)", dont l'objectif est de faciliter l'expulsion des demandeurs d'asile entrés illégalement au Royaume-Uni.

Validée par la Chambre des communes en décembre dernier, cette réforme portée par le premier ministre conservateur Rishi Sunak a été retardée pendant plusieurs semaines par les nombreux amendements déposée par la Chambre des lords, l'autre composante du Parlement. Ce lundi, cette dernière a donc finalement cédé et accepté de laisser passer cette loi particulièrement controversée.

Les réfugiés clandestins expulsés vers le Rwanda, où leur demande d'asile sera étudiée

Comme l'explique l'AFP, la réforme vise en effet "à expulser des migrants arrivés illégalement, d'où qu'ils viennent, vers le Rwanda, qui examinera leur demande d'asile". Ces personnes ne seront ensuite plus en mesure de revenir au Royaume-Uni, précise l'agence de presse et le Rwanda recevra un dédommagement financier en contrepartie.

Définissant ce dernier comme un "pays tiers sûr", le texte donne également le droit aux autorités britanniques de contourner certaines obligations liées aux droits des réfugiés. "L'adoption par le Parlement britannique du projet de loi 'sûreté du Rwanda (asile et immigration)' soulève des questions majeures concernant les droits humains des demandeurs d'asile et l’État de droit en général", résume ainsi Michael O'Flaherty, commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe.

Une violation des droits de l'homme

"La gestion de l'asile et de la migration est sans aucun doute une tâche complexe pour les États, mais elle doit toujours être réalisée dans le plein respect des normes internationales, poursuit le représentant de l'UE. À cet égard, je suis préoccupé par le fait que le projet de loi sur le Rwanda permette la mise en œuvre d'une politique d'éloignement de personnes vers le Rwanda sans évaluation préalable de leurs demandes d'asile par les autorités britanniques dans la majorité des cas."

"Il est profondément préoccupant d’exclure un groupe de personnes, ou des personnes dans une situation particulière, de l’égale protection de la loi, renchérit Volker Türk, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. Cela va à l’encontre d’une justice équitable, disponible et accessible à tous, sans discrimination."

La justice britannique court-circuitée ?

Le représentant de l'ONU dénonce ainsi une réforme qui va permettre au gouvernement britannique d'outrepasser la procédure judiciaire devant normalement s'appliquer à l'examen d'une demande d'asile. Ainsi, la justice britannique pourrait complètement être dessaisie de ces cas et des migrants pourraient être expulsés du pays sans avoir pu faire valoir leurs droits.

"Régler des questions de faits contestés - des questions qui ont d’énormes conséquences sur les droits de l’homme - est le rôle des tribunaux, et les tribunaux britanniques ont prouvé qu’ils le faisaient de manière complète et exhaustive, rappelle Volker Türk. C’est aux tribunaux de décider si les mesures prises par le gouvernement depuis l’arrêt de la Cour suprême sur les risques au Rwanda sont suffisantes."

Inquiétudes autour du respect du principe du non-refoulement

Un autre gros sujet d'inquiétude autour de ce projet de loi concerne le principe du non-refoulement. "Garanti en droit européen et international", selon la chercheuse Charlotte Girard, ce principe "suppose qu’un État ne peut adopter une mesure d’éloignement à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers, même en situation irrégulière, dès lors qu’il existe un risque réel que celui-ci soit exposé à de mauvais traitements dans l’État de destination."

En l'occurrence, la loi adoptée dans la nuit de lundi à mardi semble donc aller à l'encontre de textes internationaux auxquels devraient en théorie se soumettre le gouvernement britannique. "Le Royaume-Uni n'a pas le droit de soumettre des personnes à des mesures de refoulement, pas même indirectement, assure ainsi Michael O'Flaherty. Cette interdiction découle de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, et d'une série d'autres instruments internationaux."

"Déplacer la responsabilité de la protection des réfugiés"

Les auteurs du projet de loi se sont ainsi attachés à contourner ces règles. En qualifiant le Rwanda de "pays tiers sûr", le Royaume-Uni se donne l'autorisation légale de fermer les yeux sur le sort des migrants, une fois qu'ils seront expulsés vers ce pays. "Cette loi prive les individus d’un recours véritable devant les juridictions britanniques en ce qui concerne la question clé du refoulement, notamment parce qu'il exclut l'examen de toute allégation selon laquelle le Rwanda n'agira pas conformément aux engagements lui incombant au titre du traité", confirme Michael O'Flaherty.

"La nouvelle législation marque un nouveau pas en arrière par rapport à la longue tradition du Royaume-Uni d'offrir un refuge à ceux qui en ont besoin, en violation de la Convention sur les réfugiés, regrette pour sa part Filippo Grandi, Haut Commissaire des Nations Unies aux réfugiés. La protection des réfugiés exige que tous les pays - et pas seulement ceux qui sont voisins de zones de crise - respectent leurs obligations. Cet arrangement vise à déplacer la responsabilité de la protection des réfugiés, en sapant la coopération internationale et en créant un précédent mondial inquiétant."

L'ONU demande au Royaume-Uni de faire machine arrière

"Le Royaume-Uni est fier de son histoire en matière de contrôle judiciaire efficace et indépendant, poursuit le diplomate à la tête du HCR. Il peut encore prendre les bonnes dispositions et mettre en place des mesures pour aider à traiter les facteurs qui poussent les gens à quitter leur pays, et partager la responsabilité de ceux qui ont besoin de protection avec les partenaires européens et d'autres partenaires internationaux."

Du coté du Haut Commissariat aux droits de l'homme, le son de cloche est le même : "J’invite instamment le gouvernement britannique à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le plein respect des obligations juridiques internationales du Royaume-Uni et pour préserver la fière histoire du pays en matière de contrôle judiciaire efficace et indépendant, préconise Volker Türk. Une telle position est aujourd’hui plus vitale que jamais."