Rouler à l'huile de friture? Les Verts ressortent cette vieille idée qui pourrait séduire la majorité

Rouler à l'huile de friture? Les Verts ressortent cette vieille idée qui pourrait séduire la majorité

De la friteuse au moteur, sans casser le porte-monnaie ni la planète. C'est le sens d'un amendement déposé par les écologistes sur le projet de loi portant sur les mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. Après le dernier article, le numéro 20, relatif au carburant, les Verts veulent insérer une vingt et unième mesure: "L’utilisation, comme carburant, d’huile alimentaire usagée valorisée".

"Correctement décantés et filtrés, 10 litres d’huiles usagées peuvent donner 8 litres de carburant, utilisables en mélange jusqu’à 30% dans les moteurs diesel de conception ancienne et jusqu’à 100% moyennant certaines adaptations" vante la proposition des EELV.

"Ce carburant rejette jusqu’à 90% de gaz à effet de serre en moins qu’un diesel classique, émet beaucoup moins de particules fines et coûte beaucoup moins cher qu’un carburant fossile", ajoutent les Verts.

Surprise: alors que la majorité a rejeté une part conséquente des amendements déposés par les oppositions lors des différents examens en commission, celui-ci est passé sous les fourches Caudines de Renaissance (ex-LaREM).

Fin du monde et fin du mois

Rouler à l'huile de friture pourrait avoir la vertu de réconcilier le portefeuille avec l'urgence écologique selon ses défenseurs, et ainsi rentrer en adéquation avec la formule "fin du monde et fin du mois". Celle-ci est apparue au cours de l'année 2018, quelques mois avant la crise des gilets jaunes, dans la bouche des politiques (à commencer par l'écologiste David Cormand dès septembre 2018).

Ne nécessitant pas d'extraction de pétrole, le bilan carbone de ce biocarburant à base d'huile usagée -de déchets donc- est faible à l'utilisation. Encore plus s'il est récolté et consommé localement. Et ses émissions sont moins polluantes que le gazole. De plus, sa production ne nécessite pas directement l’utilisation de terres agricoles, à l’inverse du biodiesel produit à partir de plantations de colza ou de palmiers à huile par exemple.

Réutiliser ces huiles usagées, habituellement rejetées dans les égouts et très difficiles à extraire de l'eau qu'elles souillent, permettraient également de faciliter considérablement le travail des stations d'épuration et le retraitement des eaux usées.

"Climat, (...) justice sociale, (...) cela coche toutes les cases", plaide au Parisien le co-président des Verts à l'Assemblée, Julien Bayou dépositaire de cette proposition.

Une mesure demandée de longue date en France

Ce n'est pas "il était temps", mais "c'est un peu tard" que soupirent les militants pour l'autorisation de l'huile usagée comme carburant quand ils prennent connaissance de cet amendement.

En 2013, le quotidien régional L'Indépendant racontait dans un reportage le fonctionnement des amoureux de l'huile de friture dans le moteur. Bidons dans le coffre, gants de jardinage enfilés, ils visitaient ainsi une fois par semaine la quarantaine de restaurants entre Canet-en-Roussillon et Argelès-sur-Mer, en Vallespir et à Millan.

Alain Vernet est bénévole du collectif "Roule ma frite". Sur ses heures de repos, il collecte les huiles de fritures des restaurateurs depuis plusieurs années et connaît parfaitement son sujet. Dans les Pyrénées-Orientales, l'antenne qu'il lance seul au départ voit le jour en 2013. Mais l'idée existait déjà ailleurs sur le territoire. Au sein du même réseau, chaque association est indépendante.

"C'est un peu tard" estime aujourd'hui pour Alain Vernet parce que "le parc automobile des véhicules diesel capable d'avaler cette huile se réduit à force de prime à la casse". Tandis que les moteurs des vieux véhicules peuvent absorber le nectar filtré, les moteurs récents doivent nécessiter un peu de "bidouillage" technique pour y avoir droit.

"Freiné par les lobbyistes"

Certaines PME se sont bien spécialisées dans la fabrication de ces kits de biocarburation pour les moteurs fabriqués depuis les années 2000, mais pour Alain Vernet, l'expension de la pratique est freinée par "le lobbying intense pratiqué par les motoristes et les pétroliers".

"Ils empêchent son utilisation en France pour ne pas ralentir leur recherches technologiques sur les moteurs et l'extraction d'énergie fossile", fulmine-t-il.

Actuellement interdite dans l'Hexagone, l'utilisation de l'huile de friteuse dans son réservoir est considérée comme une infraction douanière en France. Les seuls carburants homologués par la liste de l’arrêté du 19 janvier 2016 sont autorisés.

2010, la glorieuse année de l'huile usagée

En 2010, les collecteurs de l'antenne oléronaise de "Roule ma frite" ont récupéré 17.000 litres d’huile auprès de 71 restaurateurs différents. "Les élus locaux constatent le travail, et débloquent une subvention pour l’association", relate en 2018 un reportage réalisé sur place par le périodique mensuel engagé pour l'écologie L'âge de faire.

L’activité de RMF17 devient officiellement d’utilité publique, pleinement intégrée à l’Agenda21 de la Communauté des communes de l’île d’Oléron et l'expérience se répand ailleurs, en Charente-Maritime notamment. Le but de l'association: destiner ce carburant non raffiné aux plus précaires.

Parmi les effets secondaires positifs inattendus de l'opération, l'île d'Oléron constate une division par deux du nombre d'interventions pour déboucher les canalisations bloquées par les graisses sur son sol.

Filières locales et exonération de taxes

Pour une généralisation de ce modèle local à échelle régionale, voire nationale, les politiques doivent veiller à deux choses prévient Alain Vernet. La première, c'est "développer les filières locales à l'échelle artisanale en veillant à éviter la mainmise des industriels qui rachètent très cher à la source des milliers de tonnes d'huile usagée". Comme c'est actuellement le cas avec des entreprises espagnoles et belges telles que Quatra Service; par exemple, et ses grands fûts bleus de collecte.

Deuxièmement explique "Roule ma frite66" à BFMTV.com il faudra "instaurer un cadre fiscal et douanier qui permet le rachat, la transformation et la commercialisation des huiles" par les collectivités ou les structures associatives sans faire exploser le prix de ce carburant recyclé.

"Sinon on trouvera jamais moins cher à la pompe!", alerte Alain Vernet.

L'association considère qu'il y a environ 600 tonnes d'huiles usagées à récupérer sur le territoire auprès des entreprises et des commerçants et environ 500 tonnes en plus si on compte la consommation des particuliers, à raison d'un litre et demi par personne par an.

"L'idéal, ce serait que chaque ville mette des points de dépose pour les familles", rêvent les bénévoles, comme ça se fait déjà avec le compost pour les déchets verts de cuisine dans certaines communes.

L'amendement, qui passera parmi les derniers, devrait arriver dans l'hémicycle en fin de semaine, après des jours de débats intenses, si l'on en croit les premières discussions de lundi. Julien Bayou, qui explique à BFMTV.com n'avoir encore eu aucun échange avec la majorité sur le sujet et appris la recevabilité de sa proposition lundi soir seulement, semble montrer peu d'espoir.

"On a très peu d'amendements recevables", déplore-t-il. Mais si le parti présidentiel souhaite "du concret pour le pouvoir d'achat, c'est une mesure immédiate qui permet aussi de lutter contre les pollutions des eaux", plaide-t-il une dernière fois avant de rejoindre le ring du Palais-Bourbon sur ce texte explosif.

Article original publié sur BFMTV.com