Roland-Garros 2024: diamant brut, personnage clivant... qui est Corentin Moutet, le dernier Français en lice

Dimanche, Corentin Moutet (25 ans, 1,80m), qui se rêvait, plus jeune, successeur de Yannick Noah à Roland-Garros, a rendez-vous avec son destin. Face à Jannik Sinner, il est probable que toute sa panoplie pourtant riche et variée ne sera pas suffisante pour déstabiliser le n°2 mondial, mais l’enfant terrible du TCP ne manque pas de culot. Des armes, il en possède suffisamment pour faire vriller n'importe quel adversaire. Vendredi, il a encore usé de tout son arsenal de changement de rythme pour rendre fou Sebastian Ofner. Et connaissant son tempérament, pour peu qu’il soit une nouvelle fois porté par un public incandescent qu’il prend un malin plaisir à utiliser depuis le début de la quinzaine, le Français aura forcément hâte d’en découdre.

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"C'est une manière de respecter son adversaire que d'y aller pour le battre", expliquait-il avant de croiser la route de Novak Djokovic au 2e tour du Masters 1000 de Rome, il y a trois semaines. Le Français n’est pas parvenu à créer la surprise face au n°1 mondial, qui l’a même sèchement battu, mais à la différence du Serbe, Jannik Sinner ne sait pas forcément ce qui l’attend face à celui que nos confrères du Monde présentaient en juillet 2013 comme "le petit prince de la terre battue". L’imprévisible Corentin Moutet venait de remporter la BNP Paribas Cup, un tournoi de jeunes considéré comme le plus relevé sur terre battue chez les 13-14 ans, et apparaissait alors comme ce que le tennis français avait de plus prometteur, et de plus intriguant aussi, à offrir.

Un talent pur

Très vite identifié comme un diamant brut du tennis français, grand admirateur de Rafael Nadal "pour sa combativité", le Parisien n’a pas tardé à confirmer les espoirs placés en lui très jeune. Sacré champion de France dans chacune des catégories jeunes depuis ses 12 ans et d'Europe dans plusieurs catégories d’âge (U14 en 2013 et U16 en 2014), Corentin Moutet n’a pas raté la transition tant redoutée entre le monde des juniors, où il a atteint les demi-finales à wimbledon et à Melbourne, et le circuit professionnel.

Le Français a très tôt embrassé la vie d’un joueur professionnel avec tout ce que cela comporte d’engagement et d’investissement, d’exigence également. Un état d’esprit qui a sans doute favorisé son éclosion précoce. A 15 ans et 7 mois, le natif de Neuilly devenait en avril 2015 le deuxième plus jeune Français à intégrer le classement ATP, après un certain Richard Gasquet. S’il a fait ses débuts en Grand Chelem à l’Open d’Australie en 2018, le grand public en France l’a découvert à Roland-Garros en 2019, se hissant jusqu'au 3e tour de l'édition 2019 des Internationaux de France.

Un mois plus tard, après avoir traversé l’épreuve des qualifications à Roehampton, Moutet s’était offert le scalp de Grigor Dimitrov à Wimbledon. Un exploit sans lendemain puisque son aventure s’était arrêtée net au tour suivant. Mais le Français avait pris date avec le grand monde. Et il ne lui fallait pas attendre beaucoup plus longtemps pour atteindre sa première finale sur un tournoi ATP, à Doha en 2020, alors qu’il sortait là encore des qualifications. Freiné dans sa progression par des blessures ces trois dernières années, Corentin Moutet n'a pas encore soulevé de trophées sur le circuit ATP, uniquement sur le circuit Challenger.

Une personnalité très clivante

Il y a quelque chose de savoureux à voir le Français Corentin Moutet en porte-étendard du tennis français dans ce tournoi, sachant que la Fédération française de tennis l’avait un temps banni en raison de son comportement sur les courts qui "ne correspond pas aux valeurs que la FFT veut transmettre".

La raison de cette mise à l’écart? Des incartades qui ont écorné l’image de ce joueur au caractère affirmé, notamment une empoignade sur le court avec le Bulgare Andreev après une défaite au Challenger d'Orléans. Évincé des structures fédérales en 2022, Corentin Moutet a perdu son coach historique, Laurent Raymond, remplacé par Petar Popovic, son coach actuel. Une décision qui sera douloureusement vécue à l'époque par cet écorché vif, un talent à part, unique, mais difficile à contrôler.

Très intelligent, le garçon ne supporte pas l’injustice et ne se laisse pas dicter sa conduite. Il entretient un rapport conflictuel avec l’autorité. Pas plus facile à entraîner qu’à arbitrer, Corentin Moutet est un joueur rongé de l’intérieur par sa propre exigence, en recherche constante de la perfection. Une vulnérabilité qui l’a souvent pénalisée mais sur laquelle il continue de travailler.

Une personnalité qui sort de l’ordinaire

Personnalité atypique à bien des égards, artiste dans l’âme et poète mélancolique, Corentin Moutet n’est pas seulement doué raquette en mains sur un court de tennis, le tennisman français se réfugie aussi dans l’art (il cite souvent Baudelaire, Victor Hugo, Barbara ou Brassens…) et sa passion pour la musique, le rap en particulier.

Le confinement a été l’occasion pour lui d’écrire et de travailler la sortie d’un premier EP de huit titres intitulé Ecorché. Corentin Moutet a créé un studio chez lui. Quand il est sur le circuit, il manque rarement l’occasion d’embarquer avec lui un mini kit de montage pour ces morceaux de musique. Moutet joue aussi quelques fois du piano mais ne lit pas aussi souvent qu’on a pu le penser.

"J’adore acheter des livres, c’est un kif. Mais le nombre de livres que je ne lis pas… et j’en achète d’autres avant d’avoir lu ceux que je viens d’acheter", nuançait-il en 2018, dans une interview accordée au Monde. Très actif sur les réseaux sociaux, X (anciennement Twitter) en particulier, Moutet s'y exprime sans retenue et règle parfois ses comptes avec la profession.

Un magicien du tennis

Parce que son morphotype détonne dans le paysage du tennis moderne, Corentin Moutet a développé d’autres facultés tennistiques et physiques - il a toujours eu des qualités naturelles de vitesse - pour contrer les joueurs plus puissants. Des qualités de compréhension du jeu, de vitesse, et d'anticipation au service d’une très belle main.

"La qualité sur laquelle il faut insister, c'est son anticipation", explique Paul Quétin, préparateur physique à la FFT. "C’est quelqu'un qui sent le jeu, qui respire le tennis, et qui anticipe beaucoup. Il lit très vite la trajectoire. Il arrive à gagner du temps sur l'adversaire. C'est ce qui lui permet d'être très difficile à déborder."

Il n'est pas le seul sur le circuit, loin de là, mais le Français use et abuse des services à la cuillère et des amorties depuis le début de la quinzaine, pour casser le rythme, surprendre et déstabiliser. "Il est doué pour ça, il est capable de faire beaucoup de choses", analyse Paul Quétin. "Il est capable de faire un service à la cuillère, d'aller faire un smash à l'envers, un coup entre les jambes. C'est un tennis qui est différent, c'est aussi sa force d'être sur un registre différent".

Article original publié sur RMC Sport