Le revirement de Ziad Takieddine signe-t-il la fin des ennuis pour Nicolas Sarkozy?

Nicolas Sarkozy. - Ian Langsdon - AFP
Nicolas Sarkozy. - Ian Langsdon - AFP

Il a été présenté comme "le principal accusateur" de Nicolas Sarkozy dans l'enquête sur les soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. Ziad Takieddine a opéré un revirement spectaculaire en retirant ses accusations à l'encontre de l'ancien chef de l'Etat. Ce dernier s'est félicité que "la vérité éclate enfin" alors qu'il a toujours nié les affirmations de l'homme d'affaires franco-libyen.

Des déclarations qui "ne changent rien pour la justice"

L'ancien président de la République a été mis en examen dans ce dossier d'abord le 21 mars 2018 pour "corruption passive", "recel de détournement de fonds publics" et "financement illégal de campagne". A ces chefs, se sont ajoutés ceux d'"association de malfaiteurs" pour lesquels il a été mis en examen il y a un mois, le 16 octobre 2020. Autrement dit pour la justice, il existe des "indices graves ou concordants" à l'encontre de Nicolas Sarkozy. Invité à réagir, Ziad Takieddine estimait il y a un mois que "la justice va dans le bon sens".

Les nouvelles affirmations de Ziad Takieddine, innocentant Nicolas Sarkozy, ont pour objectif de dénoncer "une cabale et une manipulation" dont il a été "la seule victime", dit-il. Si elles dédouanent Nicolas Sarkozy, ce n'est pas le cas pour les autres mis en cause dans ce dossier comme Claude Guéant, Eric Worth ou l'ex-collaborateur de Nicolas Sarkozy, Thierry Gaubert.

"A court terme, ces déclarations ne changent rien pour la justice", rappelle Sarah-Lou Cohen, cheffe du service police-justice de BFMTV. Pour qu'elles aient une valeur, il faudrait que l'homme d'affaires les réitère devant les juges français, qu'elles soient consignées sur procès-verbal puis intégrées à la procédure. Or, ce dernier est en fuite au Liban depuis juin dernier.

Un document des services secrets libyens

L'enquête préliminaire portant sur des soupçons de versements d'argent à l'équipe de Nicolas Sarkozy par le régime libyen de Mouammar Kadhafi a été ouverte en avril 2012. Cette enquête fait alors suite à la publication quelques mois plus tôt d'une enquête réalisée par le site d'information Mediapart dans laquelle sont mis à jour plusieurs documents faisant état d'un montage financier de 50 millions d'euros en faveur de la campagne du candidat. Le premier document était alors apparu dans le dossier d'instruction d'une autre affaire politico-judiciaire, l'affaire Karachi.

Cette note explicite "les modalités d'un montage financier" qui ont été "réglées lors de la visite en Libye de NS + BH" en octobre 2005. Un deuxième document est publié par Mediapart quelques semaines plus tard signé là du chef des services de renseignements extérieurs libyens évoquant ce financement à hauteur de 50 millions d'euros.

Le 22 juin 2012, Ziad Takieddine est entendu par les enquêteurs au sujet de cette première note, dans laquelle figurent ses initiales. Il évoque pour la première fois un financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy. En 2011, un fils de Mouammar Kadhafi accusait Nicolas Sarkozy d'avoir accepté l'argent du régime, sans apporter de preuves.

"Des déclarations réitérées" de Takieddine

Le 19 décembre 2012 puis le 5 février 2013, dans le bureau du magistrat, l'intermédiaire franco-libanais réitère ses accusations. Il dit notamment avoir transporté trois valises de billets pour un montant total de cinq millions d'euros remises à Nicolas Sarkozy et à son directeur de cabinet de l'époque Claude Guéant. Le 5 janvier 2013, invité sur le plateau de l'émission On n'est pas couché, il affirme publiquement qu'un financement libyen a servi à la campagne de Nicolas Sarkozy.

L'ouverture de l'information judiciaire en 2013 est alors justifiée par "les déclarations réitérées et circonstanciées de Ziad Takieddine" mais aussi par "les résultats de vérifications entreprises sur la situation de Claude Guéant" qui a révélé "une situation financière et fiscale anormale et des versements de fonds non causés provenant de l'étranger et qui se sont répétés jusqu'en 2011".

On parle alors de l'affaire de la vente de tableaux flamands avancée par l'ancien secrétaire général de l'Elysée pour justifier ces versements.

Une demande de démise en examen déposée

Au fil de cette enquête sur laquelle des juges travaillent depuis huit ans, les magistrats ont recueilli une dizaine de témoignages de dignitaires libyens, autres que celui de Ziad Takieddine qualifié de "menteur" et de "manipulateur" par le journaliste Fabrice Lhomme. Mediapart a également révélé que Thierry Gaubert, un proche de Nicolas Sarkozy, a reçu 440.000 euros en 2006 via le compte d'une société ayant appartenu à Ziad Takieddine et alimenté par le régime libyen.

En septembre dernier, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a par ailleurs validé les investigations sur ces soupçons de financement libyen alors que Nicolas Sarkozy, entre autres, contestait l'enquête invoquant notamment l'immunité présidentielle.

"Vous avez des juges d'instruction qui ont décidé d'une mise en examen et vous avez la chambre de l'instruction qui a décidé de confirmer cette mise en examen, fait valoir Me Vincent Brengarth, l'avocat de l'association anti-corruption Sherpa. (...) Les éléments qui tiennent au témoignage de Ziad Takieddine sont parmi le faisceau d'indices qui a été relevé par les magistrats pour pouvoir confirmer la mise en examen de Nicolas Sarkozy. On ne peut pas imaginer un seul instant que des magistrats indépendants aient simplement validé l'intégralité de la procédure sur exclusivement le témoignage de Ziad Takieddine." L'avocat dénonce alors un "écran de fumée qui ne résiste pas à l'ensemble des preuves présentes dans le dossier".

A long terme, toutefois, les déclarations de Ziad Takieddine, souvent présentées comme la pièce maîtresse dans cette affaire, si elles sont confirmées par le principal intéressé et recueillies par les juges, pourraient fragiliser le dossier. Nicolas Sarkozy a d'ores et déjà demandé à son avocat de déposer une requête de démise en examen.

Article original publié sur BFMTV.com