Retraites : comment le groupe Liot est devenu le cauchemar de la majorité à l'Assemblée
L'exécutif l'imaginait un temps comme une force d'appoint, mais les députés de ce groupe hétéroclite sont devenus un caillou dans la chaussure du gouvernement avec leur proposition de loi pour abroger la réforme des retraites.
Quatre petites lettres qui donnent des sueurs froides à la majorité présidentielle. Avec sa vingtaine de députés, le groupe Liot a relancé le débat autour de la réforme des retraites à l'Assemblée nationale, au grand dam de l'exécutif qui cherche désespérément à tourner la page.
Si les discussions sur leur proposition de loi pour abroger la réforme devraient tourner court dans l'hémicycle ce jeudi, ces députés font planer le dépôt d'une motion de censure dans les semaines qui viennent.
"D'accord avec nous à 90%"
En mars, ils avaient déjà failli renverser Élisabeth Borne après le recours au 49.3 pour faire adopter le recul de l'âge de départ à 64 ans sans vote. Un recours devant le Conseil constitutionnel est également dans les tuyaux, si le texte sur l'abrogation n'est effectivement pas soumis ce jeudi au vote de l'Assemblée.
Dans les rangs de la majorité, la plupart n'aurait jamais imaginé pareil scénario en début de mandature
"Si on m'avait dit qu'ils viendraient nous chercher des noises, je n'y aurais pas cru", reconnaît un député macroniste, qui résume à lui seul le sentiment sur les bancs de Renaissance.
Il faut dire que la vingtaine d'élus de ce groupe de députés brasse très large et semble sur le papier plutôt proche du "en même temps" présidentiel. Derrière l'acronyme qui signifie Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires, on compte d'abord d'anciens membres de l'UDI - des élus de centre-droit, donc - qui n'ont plus de groupe depuis 2017.
"Ceux-là, ce sont les pires", s'agace un conseiller ministériel, fin connaisseur du Parlement. "Ils avaient tous eu très envie de nous rejoindre quand on a gagné en 2017 et puis finalement, ils ne l'ont pas fait. Mais lors de la précédente mandature, ils étaient d'accord à 90% avec nous."
"Des personnes qui ont fait la campagne de Pécresse"
Parmi eux, la tête d'affiche Charles de Courson, un spécialiste des finances publiques très respecté de l'Assemblée nationale, rapporteur du texte sur l'abrogation de la réforme des retraites. Ce taulier du Palais Bourbon, élu pour la première fois en 1993, est devenu la bête noire de la majorité présidentielle.
"Que s'est-il passé pour que vous, l'inoxydable Don Quichotte de nos finances publiques, soyez heureux de recevoir le soutien inconditionnel de l'extrême gauche et de l'extrême droite réunis autour de vous?", s'est ainsi agacée la patronne des députés Renaissance Aurore Bergé en commission.
Autre cible: le président du groupe Bertrand Pancher qui s'est fendu de plusieurs courriers pour interpeller publiquement Emmanuel Macron sur la réforme des retraites.
"On parle quand même de deux personnes qui ont fait la campagne de Valérie Pécresse qui promettait la retraite à 65 ans et qui maintenant nous disent qu'il faut la rétablir à 62 ans", s'étrangle le député macroniste Hadrien Ghomi. "C'est vraiment irrespectueux de leurs électeurs."
"Pas l'amicale des fans de Macron"
Pour comprendre le positionnement du groupe sur la réforme des retraites, certains notent le poids des élus ultramarins, qui composent pas moins d'un quart des troupes.
"Les outre-mers sont des territoires qui vont être très impactés par la réforme des retraites parce qu'on y est plus souvent au chômage, souvent moins payés et régulièrement avec du travail informel", estime un cadre UDI. "Ils ont beaucoup fait monter la sauce sur les 64 ans."
Le groupe se compose également d'anciens élus Renaissance fâchés avec leur ex-mouvement comme le Breton Paul Molac ou le Guadeloupéen Olivier Serva, qui s'était fait remarquer en lançant "tu vas la fermer", à son ex-collègue Sylvain Maillard lors du débat sur les soignants non-vaccinés. S'y ajoutent d'ex-socialistes, comme Jean-Louis Bricout et Benjamin Saint-Huile, ainsi que des élus corses.
"C'est sûr qu'on n'est pas vraiment dans l'amicale des fans d'Emmanuel Macron" fait remarquer Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons à l'Assemblée.
"C'est dur de trouver un rapport idéologique entre des amis de Jean-Louis Borloo, des gens de gauche et des autonomistes", tance encore le seul élu insulaire de l'Assemblé qui n'est pas Liot.
Une "alliance" imaginée par Macron et vite enterrée
Au début de la mandature, la majorité croyait pourtant dur comme fer que ce groupe disparate pourrait jouer le rôle d'allié, en l'absence de majorité absolue. En octobre dernier, Emmanuel Macron avait même lancé une grande opération séduction en les citant pas moins de deux fois dans une longue interview sur France 2.
Les députés Liot "ont envoyé un message clair en ne votant pas les motions de censure déposées sur les budgets" à l'automne 2022, avait noté le président, y voyant une possibilité de "travailler" ensemble sur les réformes à venir, au point même, de vouloir bâtir "une alliance".
Le chef de l'État a-t-il péché par excès de confiance ? En regardant dans le détail, force est de constater que dans ce groupe où la liberté de vote est totale, ces députés n'ont jamais beaucoup soutenu les projets de loi de la majorité.
Sur la réforme de l'assurance chômage, 12 députés Liot ont ainsi voté contre, 8 se sont abstenus et seuls 2 ont voté pour. Même constat pour le projet de loi pouvoir d'achat, le premier texte de la mandature, pour lequel 15 d'entre eux n'avaient pas pris part au vote. Mais c'est bien avec la réforme des retraites que le groupe Liot a pris clairement ses distances avec la majorité présidentielle.
"Nous, on veut défendre la Constitution qui est foulée au pied allègrement par Emmanuel Macron depuis des mois", juge le député Liot Olivier Serva. "Quand on empêche les députés de voter, c'est une gifle à la démocratie."
"Ce gouvernement finira par être renversé à un moment ou à un autre", a lancé de son côté Charles de Courson sur BFMTV. Autant dire que le courant n'est pas prêt d'être rétabli entre la macronie et les Liot.
Article original publié sur BFMTV.com
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