Retraites : le gouvernement sous pression après le succès de la mobilisation intersyndicale

Elisabeth Borne et Emmanuel Macron - AFP

L'exécutif, qui espérait des cortèges moins garnis, en est pour ses frais : entre 1,12 et 2 millions de personnes ont manifesté contre sa réforme des retraites ce jeudi.

À l'issue du Conseil des ministres, mercredi 11 janvier, Olivier Véran se livrait à une forme de pronostic. Les grèves et manifestations contre la réforme des retraites prévues la semaine suivante? "On ne se projette pas dans l'idée d'une mobilisation massive", disait le porte-parole du gouvernement. Raté.

Entre 1,12 et 2 millions de Français ont battu le pavé ce jeudi, selon les chiffres respectifs du ministère de l'Intérieur et de la CGT. "La mobilisation est importante, c'est indéniable, ça ne sert à rien de nier les choses", a reconnu le ministre du Travail Olivier Dussopt dans la soirée sur BFMTV.

"Soutien de l'opinion"

Pour l'exécutif, la situation semble de plus en plus délicate. Difficile, voire impossible, pour lui, en l'état, de jouer l'opinion. Emmanuel Macron réclamait des manifestations "sans débordements, ni violences, ni dégradations" : celles de jeudi se sont déroulées sans incidents notables.

"C'est essentiel pour les syndicats" afin de "continuer à avoir le soutien de l'opinion", commente Matthieu Croissandeau, éditorialiste politique de BFMTV.

Surtout, le rejet de la réforme par la majorité des Français est de plus en plus prégnant : 66% d'entre eux se disent opposés au projet du gouvernement selon un sondage Elabe pour BFMTV, publié ce mercredi - soit une augmentation de 7 points en une semaine. Présent dans les cortèges à Marseille, Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise (LFI), s'est engouffré dans la brèche, déclarant :

"Le gouvernement a perdu la première bataille, celle de convaincre."

Certains députés de la droite et de la majorité ne sont pas encore convaincus

Une autre bataille s'annonce tout aussi rude: celle qui se déroule au Palais Bourbon. Le camp présidentiel, en position de majorité relative à l'Assemblée nationale, drague la droite depuis des semaines. Éric Ciotti, Olivier Marleix, Bruno Retailleau, Gérard Larcher, entre autres, approuvent en grande partie le texte, non sans afficher leur gourmandise face à un exécutif qui reprend certaines de leurs propositions.

Pour autant, les jeux ne sont pas fait. Chez LR, plusieurs députés - au moins 13 selon un décompte du JDD, dont notamment Aurélien Pradié - sont opposés, pour l'instant, à la feuille de route présentée par le gouvernement. Dans leur viseur : les dispositifs de carrières longues qui pourraient conduire les personnes ayant commencé à travailler tôt à cotiser 44 annuités et non 43 comme cela est prévu initialement par la réforme Touraine.

Même en son sein, la majorité n'est pas encore tout à fait homogène. Lundi, Barbara Pompili, ex-ministre de la Transition écologique de Jean Castex et désormais députée de la Somme, a jeté un pavé dans la marre.

"À ce stade, si je devais voter maintenant, je ne pourrais pas voter pour" la réforme des retraites, a-t-elle confié à BFMTV.com.

L'ombre du 49.3

Elle n'est pas seule : trois autres députées d'En Commun - parti satellite de la majorité dont fait partie Barbara Pompili et qui a pris ses distances avec Renaissance l'été dernier - la suivent dans son sillage. On compte d'autres réticents ci et là, comme Patrick Vignal, député Renaissance de l'Hérault, ou Yannick Favennec, député Horizons de la Mayenne.

Une ombre au-dessus de l'exécutif : un 49.3 qui viendrait encore plus donner du grain à moudre aux oppositions et n'arrangerait rien à la colère sociale que suscite cette réforme. Afin de faire adopter son texte, la majorité relative a besoin d'au moins 39 voix. Nul doute que les calculettes risquent de chauffer.

Le gouvernement continue sur la même stratégie

Pour l'instant, l'exécutif reste sur sa ligne. Celle de la "pédagogie". Jeudi, en début de soirée, Élisabeth Borne a salué une manifestation qui s'est déroulée "dans de bonnes conditions". Puis, elle a conclu de cette manière : "Continuons à débattre et à convaincre".

En ce sens, Gabriel Attal, ministre déléguée aux Comptes publics, était à Orléans le soir même pour échanger avec des Français. La veille, Olivier Dussopt et Élisabeth Borne avaient fait de même, en se rendant à une réunion publique à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne).

"Emmanuel Macron estime qu'il est parfaitement légitime"

De son côté, Emmanuel Macron a défendu bec et ongles son projet de loi depuis l'Espagne où il s'est rendu jeudi avec 11 ministres pour signer un traité d'amitié avec le Premier ministre Pedro Sanchez. Le président a de nouveau qualifié cette réforme de "juste et responsable". Elle sera menée avec respect, esprit de dialogue, mais détermination et esprit de responsabilité" , a-t-il martelé.

"Emmanuel Macron estime qu'il est parfaitement légitime pour faire passer cette réforme, dans la mesure où il dit qu'il l'avait annoncé aux Français pendant sa campagne présidentielle", analyse Amandine Atalaya, éditorialiste politique à BFMTV.

La gauche lui répond que ce n'est pas sur cette promesse de campagne qu'il a été élu, mais plutôt grâce aux votes de ceux qui voulaient éviter que l'extrême droite prenne le pouvoir en France.

Attendre les débats à l'Assemblée nationale pour faire des concessions

Fragilisé, l'exécutif devrait faire des concessions. "Si on peut continuer à améliorer la réforme, comme on l'a fait après les concertations, sur les questions de pénibilité, de carrières longues, nous continuerons à l'améliorer", a expliqué Olivier Dussopt sur BFMTV, ouvrant ainsi la porte à des modifications de la mouture présentée par Élisabeth Borne aux Français le 10 janvier.

"Tout le débat dans l'exécutif, c'est: est-ce qu'il faut lâcher du lest à l'arrivée du texte à l'Assemblée (le 6 février, ndlr) ou un peu avant", analyse Matthieu Croissandeau.

En ligne de mire, le 31 janvier, date annoncée par les organisations syndicales jeudi soir, pour mobiliser de nouveau les Français opposés à la réforme des retraites.

"Visiblement", il s'agirait plutôt de "débattre au Parlement que de lâcher avant la manifestation", selon Mathieu Croissandeau. "Donner des gages à la rue, sur la pénibilité, l'emploi des seniors, les carrières longues, ce serait intelligent mais ça ne servirait à rien parce que dans la rue ils réclament le retrait de la retraite à 64 ans", poursuit-t-il. "En revanche donner des gages à la droite au Parlement [...] ça, ça peut servir au gouvernement".

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - Lycéens, actifs, futurs retraités... Ces manifestants expliquent pourquoi ils rejettent la réforme des retraites