Restos du coeur : face à la situation, bientôt une Sécurité sociale de l'alimentation ?

Une proposition de loi devrait être déposée "d'ici la fin de l'année", nous assure le député Modem Richard Ramos.

Des expérimentations de Sécurité sociale de l'alimentation se préparent partout en France (Photo d'illustration NICOLAS TUCAT/AFP via Getty Images)
Des expérimentations de Sécurité sociale de l'alimentation se préparent partout en France (Photo d'illustration NICOLAS TUCAT/AFP via Getty Images)

Augmentation de la pauvreté en France, inflation... Les Restos du Coeur tirent la sonnette d'alarme. Faute d'aide supplémentaire, 150 000 personnes pourraient être éconduites cette année et l'association pourrait "mettre la clé sous la porte d'ici à trois ans", alerte son président Patrice Douret.

En réaction au cri d'alarme de son président, le gouvernement a annoncé débloquer 5 millions en plus des 10 millions initialement prévus, la famille de Bernard Arnault annonce verser une aide de 10 millions d'euros, Total Énergies 5 millions d'euros. Le Crédit Mutuel a de son côté annoncé un don de 5 millions aux Banques alimentaires, après avoir déjà versé 5 millions aux Restos du cœur en mars. Les principales enseignes de grande distribution ont également promis de se mobiliser.

"Il faut sortir de ce système"

"On remplit un puits sans fond. Ces dons, c'est une circulation d'argent qui nourrit toujours les mêmes acteurs. Les associations utilisent cet argent pour acheter de l'alimentation pas cher, car il faut en acheter beaucoup, et malgré tout cet argent injecté on n'a pas de quoi faire un repas équilibré issu de l'agriculture paysanne. Donc on se tourne vers l'agro-industrie, qui au final récupère l'argent qui a été donné. Ce n'est pas souhaitable, il faut sortir de ce système", analyse l'anthropologue Bénédicte Bonzi, autrice de La France qui a faim (Seuil, 2023).

En un an, les Restos du Cœur ont distribué 170 millions de repas, soit 30 millions de plus que l’année précédente, preuve de la difficulté croissante des Français à se nourrir. 38 ans après leur création, les Restos du Coeur sont devenus indispensables à des millions de personnes, alors qu'il n'étaient pas censés durer, de l'aveu de leur créateur, Coluche.

Un système financé par des cotisations selon ses revenus

"L'aide alimentaire, qui a été créée pour alerter les pouvoirs publics, est devenue un maillon du système marchand autour de l'alimentation, cela permet de faire exister le système en compensant ses drames. On milite pour une Sécurité sociale de l'alimentation, ce n'est pas une aide alimentaire améliorée, c'est la transformation totale du droit à l'alimentation" plaide Marion Barlogis, présidente de l'association La Marmite Rouge, qui a lancé une expérimentation de Sécurité sociale de l'alimentation dans le XIIe arrondissement de Paris.

Durant un mois, une centaine de personnes volontaires ont cotisé selon leurs moyens et leurs revenus, de 2 à 20 euros en échange d'un lot de dix coupons leur permettant d'acheter une baguette dans les boulangeries participant à l'opération, dans le XIIe arrondissement de Paris. Pour une baguette vendue à 1,10 euro dans le commerce, les cotisants l'ont donc payé entre 0,20 euros pour les plus précaires, et deux euros pour les revenus les plus hauts. "L'objectif était que l'on soit à l'équilibre, et il y a eu autant de personnes soutenues que de personnes qui soutiennent et payent plus que le prix en magasin", nous détaille Marion Barlogis.

Des expérimentations partout en France

À Montpellier, Toulouse, Lyon, en Gironde, en Alsace... des expérimentations de Sécurité sociale de l'alimentation se préparent dans les prochains mois, lancées par des associations parfois avec des subventions de collectivités locales. "Le point de départ, ce sont les trois piliers qui ont fonctionné au début de la Sécurité sociale : pilier démocratique avec la gestion par les usagers, le financement par les cotisations, et l'universalité : tout le monde y a droit, cotise selon ses moyens et utilise selon ses besoins", détaille David Fimat, coordinateur du Collectif Acclimat’action qui porte le projet en Gironde avec 40 citoyens, le Conseil Départemental, la Ville de Bordeaux. Un projet qui associe lutte contre les inégalités et transition agro écologique, en permettant de valoriser les circuits courts et une juste rémunération pour les agriculteurs.

Un projet qui associe lutte contre les inégalités et transition écologique, en permettant de valoriser les circuits courts et une juste rémunération pour les agriculteurs. En Gironde, 400 personnes dans quatre territoires vont mener l'expérimentation, durant un an, à partir du printemps 2024 et pourront payer dans des commerces alimentaires qui se seront positionnés par rapport aux critères définis par les usagers.

"Avec une Sécurité sociale de l'alimentation, il n'y aurait plus besoin de demander d'aide alimentaire"

"Dans une caisse locale de l'alimentation c'est aux usagers de déterminer des choix tel que la part du bio, la part de l'alimentation carnée, le moyen de paiement... Le but est de voir les résultats si on laisse des citoyens issus de différents milieux sociaux et tenter de se mettre d'accord sur l'alimentation que l'on souhaite financer après avoir mis argent en commun", détaille David Fimat. À terme, il espère un droit à l'expérimentation au niveau local

"Avec une Sécurité sociale de l'alimentation, il n'y aurait plus besoin de demander d'aide alimentaire car ce serait un droit et c'est autre chose qu'être à l'abri de la faim, c'est un droit à la dignité, et l'accès à une alimentation choisie, de bonne qualité et produite dans des conditions de durabilité agricole", souhaite l'anthropologue Bénédicte Bonzi.

Vers une proposition de loi ?

Le député Modem du Loiret Richard Ramos est lui aussi séduit par l'idée d'une Sécurité sociale de l'alimentation, et souhaite déposer une proposition de loi d'ici la fin de l'année pour permettre une expérimentation, qu'il imagine financée "par une taxe sur les sodas, les produits ultra-transformés et les super-bénéfices des grandes entreprises. On utiliserait une carte, comme celle des tickets restaurants, avec un montant universel de 50 euros pour tous, puis, selon les revenus, jusqu'à 150 euros par mois dont une grande partie serait fléchée vers des circuits courts et des produits sains", nous explique l'élu.

"En parallèle, on peut gagner de l'argent sur la carte par l'activité, pour les personnes au RSA par exemple en passant des heures dans les emplois non marchants, les associations, contre de l'argent versé sur la carte", imagine le député dans un système toutefois différent que celui qui est expérimenté dans plusieurs territoires.

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