Restos du Cœur : un impôt juste plutôt que la charité des milliardaires

« Restos du Cœur : un impôt juste plutôt que la charité des milliardaires » - la tribune de Maxime Combes, économiste
« Restos du Cœur : un impôt juste plutôt que la charité des milliardaires » - la tribune de Maxime Combes, économiste

SOLIDARITÉ - Les chiffres sont accablants. Fin 2022, ce sont 2.4 millions d’enfants, de femmes et d’hommes qui ont eu besoin de recourir aux banques alimentaires pour se nourrir. Un chiffre multiplié par trois en dix ans. Et cela progresse toujours : en 2023, les Restos du Cœur ont déjà reçu 18 % de personnes en plus (1,3 million) que sur la totalité de l’année passée.

La population française n’a pourtant crû que de 3,6 % depuis 2012. Les richesses disponibles, mesurées par le PIB, ont quant à elles augmenté de 26 % : la richesse moyenne par habitant s’est fortement accrue (+ 15,7%) mais des millions d’entre nous ne peuvent plus se nourrir autrement qu’en allant frapper à la porte des banques alimentaires.

À l’appel à l’aide du président des Restos du Cœur, la nouvelle ministre des Solidarités, Aurore Bergé, a répondu en deux temps. D’abord en annonçant une subvention de 15 millions d’euros, soit deux fois moins que les 35 millions d’euros dont les Restos ont besoin pour finir l’année à l’équilibre. Sans compter que 10 de ces 15 millions d’euros étaient déjà prévus dans le programme « Mieux manger pour tous ».

Au recyclage d’annonces insuffisantes déjà existantes, Aurore Bergé a ajouté la décision de l’exécutif de se défausser de ses responsabilités

Au recyclage d’annonces insuffisantes déjà existantes, Aurore Bergé a ajouté la décision de l’exécutif de se défausser de ses responsabilités : elle a lancé « un appel solennel à toutes nos grandes réussites françaises, à nos grandes entreprises », pour lutter contre la grande précarité, prenant exemple sur le « Téléthon des milliardaires » organisé pour financer la reconstruction de Notre-Dame. La famille de Bernard Arnault, propriétaire du numéro un mondial du luxe LVMH – dont 27 % des filiales se situent dans des paradis fiscaux – vient d’annoncer répondre favorablement à cet appel en annonçant un don de 10 millions d’euros aux Restos du Cœur.

Voilà un appel qui devrait sonner comme une invitation à l’indignation collective. Quand des millions de nos concitoyens galèrent au quotidien, on attend de l’exécutif d’un pays riche qu’il prenne des décisions courageuses à la hauteur des difficultés que nous traversons. Nous avons besoin que l’État et les pouvoirs publics fassent reculer la pauvreté (8,9 millions de personnes ont un revenu inférieur à 60 % du revenu médian) et les inégalités. Pas qu’ils désertent en rase campagne.

Que penser en effet d’un appel au don des plus riches pour couvrir un juste et nécessaire effort pour aider les plus précaires d’entre nous dans la 7e puissance économique mondiale, dans un pays où l’évasion fiscale – notamment des plus riches – est évaluée entre 60 et 100 milliards d’euros par an et où les entreprises du CAC40 ne cessent de battre leurs records de profits et de dividendes ?

Les pouvoirs publics doivent débloquer des financements pérennes, prévisibles et suffisants. Pas se lancer dans l’organisation hasardeuse d’un nouveau Téléthon pour milliardaires.

Dans cette période difficile, celles et ceux qui, en première ou deuxième ligne, font tenir le pays, ont besoin de garanties et de certitudes pour faire face aux difficultés actuelles et entrevoir une amélioration de la situation : pour cela, les pouvoirs publics doivent débloquer des financements pérennes, prévisibles et suffisants. Pas se lancer dans l’organisation hasardeuse d’un nouveau Téléthon pour milliardaires.

Que ces milliardaires soient désireux de se montrer charitables, nul n’en doute. Si possible avec une jolie opération de communication, comme pour Notre-Dame. Défiscalisés à 60 % (entreprises) ou à 66 % (particuliers), ces dons seraient par ailleurs in fine en grande partie rétrocédés sous forme de réductions d’impôts : les contribuables que nous sommes financeraient donc une grande partie des donations pendant que les milliardaires et les multinationales pourraient tranquillement s’adjuger le mérite d’avoir soutenu les banques alimentaires.

Allons-nous, contribuables que nous sommes, financer la générosité des plus riches qui s’exonèrent de contribuer à l’effort collectif en pratiquant l’évasion fiscale à grande échelle ? Par leurs pratiques, ces grands groupes et milliardaires français grèvent les finances publiques et la capacité des pouvoirs publics à financer la solidarité nationale et les services publics dont les plus précaires d’entre nous ont un besoin vital.

L’appel à dons d’Aurore Bergé conduirait les grandes fortunes de ce pays, après avoir trop souvent limité les capacités d’intervention des pouvoirs publics en pratiquant l’évasion fiscale pour réduire leur imposition, à se substituer à eux par ces dons pour montrer combien elles sont bonnes et généreuses, et combien les accusations qui pèsent à leur encontre (ou leur groupe) sont injustifiées. Bref, sous couvert de solidarité nationale, Aurore Bergé leur offre à peu de frais l’équivalent d’une indulgence catholique leur ouvrant les portes d’une rédemption publique.

C’est insensé, en plus d’être indécent.

À rebours, il est temps de réhabiliter l’impôt juste et bien utilisé, consacré par l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, et d’arrêter de le délégitimer. L’impôt est au fondement de ce qui permet de faire société : vivre ensemble, de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. En prélevant davantage sur les riches que sur les pauvres, l’impôt, juste et bien utilisé, permet de réduire les inégalités, d’assurer la cohésion sociale et de financer les services publics qui manquent cruellement de moyens.

Il est temps de réhabiliter l’impôt juste et bien utilisé. L’impôt est au fondement de ce qui permet de faire société : vivre ensemble, de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins.

Réhabiliter un impôt juste et bien utilisé, c’est d’abord le rendre plus progressif, moins pesant sur celles et ceux qui ont peu, et plus exigeant envers celles et ceux qui accumulent sans limite. Tout l’inverse de ce qu’Emmanuel Macron a fait depuis son arrivée au pouvoir : les études ont montré que la suppression de l’ISF et la création de la Flat tax sur le capital ont fait des 1 % des ménages les plus aisés les grands gagnants de la politique fiscale de l’exécutif, comme en témoigne également la croissance du nombre de millionnaires.

Non, on ne financera pas l’éradication de la faim dans ce pays par des appels à dons. Mais en s’assurant que chacun.e, entreprises multinationales comprises, paie leur juste part d’impôt. Lutte implacable contre l’évasion fiscale, rétablissement de l’impôt sur la fortune et de la progressivité de l’imposition sur les revenus du capital, suppression des aides publiques aux (grandes) entreprises inefficaces, voilà les mesures que l’exécutif devrait prendre.

Si la crise sociale est telle que le nombre de bénéficiaires des banques alimentaires ne cesse de s’accroître, on n’organise pas un Téléthon de la charité. On met à contribution les millionnaires et les milliardaires de ce pays : les taux supérieurs de l’impôt sur le revenu ont atteint 70 % à 94 % entre les années 30 et le début des années 80 aux États-Unis. Et près de 80 % en France, sous la présidence du général de Gaulle au milieu des années 1960. La pauvreté et les inégalités ont été réduites. Voilà la voie à suivre.

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