Rentrée scolaire : l’allemand est délaissé par les professeurs et les élèves, et ça ne risque pas de s’arranger

Thérèse Clerc, présidente de l’Association pour le Développement de l’Enseignement de l’Allemand en France, explique au HuffPost pourquoi l’apprentissage de l’allemand au collège est de moins en moins répandu.

RENTRÉE SCOLAIRE - Les comptes ne sont pas bons. Emmanuel Macron a beau avoir promis de mettre un « professeur devant chaque classe », 16,6 % des places ouvertes à la session 2023 pour des postes dans le second degré n’ont pas été pourvues, selon France info.

Parmi les matières les plus en difficultés se trouve l’allemand, avec 57,78 % des postes ouverts encore vacants. Un manque qui ne date pas d’hier : selon BFM, qui cite les chiffres de l’ADEAF (Association pour le Développement de l’Enseignement de l’Allemand en France), le nombre de professeurs d’allemand dans les établissements publics est passé de 10 189 professeurs en 2006 à 5 801 en 2021.

Et les élèves ne sont pas en reste. La part de celles et ceux qui choisissent l’allemand, en première ou en seconde langue, a elle aussi baissé, selon l’ADEAF. Si 22,9 % des élèves du public et du privé apprenaient encore l’allemand en 1995, ils n’étaient que 14,1 % en 2022. En comparaison, sur la même période, la part des élèves apprenant l’espagnol est passée de 28,9 % à 58,9 %.

Afin de savoir de quels maux souffrent cette matière, Le HuffPost a interrogé Thérèse Clerc, enseignante de la langue de Goethe à la retraite et présidente de l’ADEAF.

Le HuffPost : Pourquoi les élèves français boudent-ils l’allemand ?

Thérèse Clerc : Ce n’est pas une matière comme les autres. Elle a pu être utilisée pour des stratégies scolaires par des parents car elle offrait aux élèves de bonnes conditions d’apprentissage. Par exemple, les classes comptaient souvent moins d’élèves. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Les classes étaient parfois meilleures que les autres car l’allemand était conseillé qu’aux bons élèves. Elle est perçue comme une langue plus difficile. Mais il n’y a pas de raisons objectives de penser ça par rapport à la langue. On essaye de faire passer le message que l’allemand est une langue pour tous.

Qu’est ce qui a changé au niveau de l’apprentissage des langues ?

L’allemand a longtemps bénéficié d’un dispositif spécifique et attractif : le dispositif bilangue. Il permettait d’apprendre deux langues dès la classe de 6e à heures équivalentes. Les élèves avaient plus de temps pour apprendre la langue. Mais ce dispositif a été modifié par la réforme de l’enseignement au collège de 2015. On peut toujours prendre allemand dès la sixième mais les horaires ne sont pas égaux avec l’anglais. À cela s’ajoute l’augmentation de l’attractivité de l’espagnol qui s’est faite au détriment de l’allemand. Ça s’est accentué ces dernières années.

Pourquoi l’allemand souffre d’un déficit de professeurs ?

À l’instar d’autres matières, cet enseignement pâtit du déficit d’attractivité dû niveau de vie des professeurs. Il y a aussi des difficultés propres à ce métier : les enseignants sont très nombreux à devoir travailler sur plusieurs établissements. C’est par conséquent plus difficile de mettre en place des mobilités et des échanges. Il y a aussi des classes à plusieurs niveaux. Et ça sera encore sûrement le cas cette année.

Quel est le lien entre le manque d’élèves et le manque d’enseignants ?

Il existe un lien de causalité : s’il y a moins d’élèves, il y a moins d’étudiants et donc moins de professeurs. C’est une spirale qui n’est pas vertueuse. Les dysfonctionnements dans un collège peuvent aussi avoir un impact localement, au niveau d’une commune ou au sein d’une même famille. D’autant plus qu’il y a très souvent qu’un seul professeur dans les établissements.

Pourtant, l’allemand n’offre-t-il pas des avantages par rapport aux autres langues ?

Ça reste extrêmement intéressant professionnellement parlant de le maîtriser. Associée à l’anglais, c’est la langue la plus demandée sur le CV. Même si ça reste très rare qu’on nous demande de maîtriser uniquement l’allemand. Les élèves qui le maîtrisent ont toujours de bonnes perspectives d’emplois car il y a un déficit de germanistes. Il y a également d’autres avantages : les relations franco-allemandes au niveau des villes, des partenariats culturels, l’accès aux mobilités et aux échanges ou encore Berlin, qui reste une ville attractive… Mais ça ne trouve pas l’écho que ça devrait avoir dans l’apprentissage scolaire.

Que faut-il faire alors pour relancer l’apprentissage de l’allemand ?

Il faut une offre de qualité pour susciter une demande. L’Éducation nationale doit proposer des parcours solides qui permettent aux élèves d’atteindre un bon niveau. Il faut donc donner les moyens aux établissements de mettre en place suffisamment d’heures d’allemand. Et il faut des campagnes pour donner envie de choisir cette langue.

L’ADEAF demande aussi la création d’un enseignement de spécialité à deux langues au lycée. Il se compose actuellement de 6 heures d’une même langue - en plus des deux heures par langue du tronc commun. Les élèves choisissent donc souvent l’anglais. On veut qu’ils puissent faire trois heures d’une langue et trois heures d’une autre.

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