Rennes: en lutte avec le grand banditisme, une magistrate réclame une protection rapprochée

L'entrée de la cité judiciaire, le tribunal de Rennes, le 23 septembre 2019 (photo d'illustration) - Loic Venance / AFP
L'entrée de la cité judiciaire, le tribunal de Rennes, le 23 septembre 2019 (photo d'illustration) - Loic Venance / AFP

Affectée à la juridiction interrégionale spécialisée de Rennes, la juge d'instruction a l'habitude des dossiers complexes. Pourtant, celle-ci fait l'objet de graves menaces de la part d'individus avec qui elle a eu à faire dans le cadre de son travail. À tel point que la magistrate a demandé une protection policière rapprochée. Une protection qu'elle n'a d'ailleurs pas obtenue, a appris BFMTV.com, confirmant les informations du Monde.

Dans le cadre de son travail, la juge rennaise gère les enquêtes qui traitent du grand banditisme. Elle s'occupe notamment des individus qui se livrent une guerre pour le contrôle du trafic de stupéfiants, et des règlements de comptes qui peuvent en découler. Depuis deux ans, elle mène les investigations concernant la fusillade du Moonlight qui s'est produite à Nantes dans la nuit du 22 au 23 avril 2019. Ce soir là, un commando avait tiré à l'arme de guerre sur ce bar à chicha, tuant un serveur de 24 ans.

"Tout se paie dans la vie"

À Nantes, cinq fusillades avaient éclaté en quelques jours à cette époque, suscitant un vif émoi parmi la population. La juge d'instruction, en charge du dossier "Moonlight", avait mis en examen en 2019 cinq personnes interpellées en novembre 2019 par la PJ nantaise dans ce dossier, dont le commanditaire et le tireur présumé. Tous contestent vigoureusement leur implication. Au cours de leurs auditions, la magistrate a dû faire face à des insultes puis à des menaces de la part des individus mis en examen.

"Tout se paie dans la vie", lui avait alors lancé l'un des mis en cause, relate Le Monde. Un autre lui a assuré qu'il ne la "lâchera jamais".

Jusqu'à cet été, ces individus étaient incarcérés dans le cadre de cette procédure. Sauf qu'il y a six mois, ils ont été libérés un à un, dont ceux qui ont menacé la magistrate. En cause? La lenteur de la justice: Le Parisien révélait qu'Ilias N., l'un des membres présumés du commando, avait été remis en liberté. La justice n'avait pas audiencé dans les temps sa demande de remise en liberté.

Au mois de juillet, le commanditaire et le tireur présumés de cette fusillade ont également été remis en liberté. Là encore, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes n'a pas examiné dans les délais leur contestation de l'ordonnance de mise en accusation.

"Mise sous surveillance"

Apprenant leur remise en liberté, la juge d'instruction a demandé son placement sous protection rapprochée. Une demande appuyée par sa hiérarchie auprès des services du ministère de la Justice. "C'est le ministère de l'Intérieur qui gère cette demande de protection rapprochée, le ministère de la Justice peut toutefois appuyer sa demande", relève Thibaut Spriet, secrétaire national du Syndicat de la Magistrature. Le syndicat a alerté la Chancellerie de cette situation dans un courriel en date du 6 septembre.

La protection policière rapprochée, à savoir un accompagnement 24h/24 par des policiers du Service de la protection (SDLP) spécialisés dans la protection des personnalités politiques, publiques ou particulièrement menacées, est décidée par le cabinet du ministre de l'Intérieur au terme d'une analyse soit des services de l' l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), soit de la Direction générale de la police nationale.

"C'est un dispositif lourd, rappelle Pascal Bitot-Panelli, ancien commandant fonctionnel du SPHP (service de protection des hautes personnalités, ex-SDLP) et expert en sécurité. Avant de disposer de policiers d'élite, il y a une analyse du spectre de la menace."

La menace rééxaminée

Dans le cas de cette magistrate, au vue d'une première évaluation de la menace qui pèserait sur elle, il a été décidé au niveau local d'une "mise sous surveillance", selon les termes de l'expert, avec des patrouilles policières autour de son domicile, un accompagnement sur son lieu de travail ou encore une surveillance des numéros de téléphone utilisés par sa famille. Lundi, le Syndicat de la magistrature a renvoyé un courriel au ministère de la Justice, estimant les mesures insuffisantes.

"On parle d'atteinte à la vie de notre collègue", rappelle Thibaut Spriet.

Selon nos informations, une analyse de la menace va être lancée prochainement par l'UCLAT, qui évalue tout type de menaces, pour déterminer si oui ou non la magistrate doit bénéficier d'une protection rapprochée.

Article original publié sur BFMTV.com