Reconnaissance d'un État palestinien: que changerait une telle décision de la France?

L'Espagne, l'Irlande et la Norvège ont officiellement reconnu ce mardi 28 mai l'État de Palestine dans le but d'avancer, selon eux, vers la paix au Proche-Orient. Annoncée le 22 mai dernier de façon coordonnée par les Premiers ministres de ces trois pays européens, cette reconnaissance a pris effet mardi. Cette décision, mais également l'offensive israélienne à Rafah, ont mené plusieurs personnalités politiques, à gauche mais aussi au sein de la majorité, à demander une décision similaire de la part d'Emmanuel Macron.

Ce dernier avait déclaré mi-février que "la reconnaissance d'un État palestinien" n'était "pas un tabou pour la France", franchissant un pas diplomatique notable. "Je suis totalement prêt à reconnaître un État palestinien mais (...) je considère que cette reconnaissance doit arriver à un moment utile", a-t-il clarifié mardi depuis l'Allemagne. "Je ne ferai pas une reconnaissance d'émotion", a-t-il prévenu.

Interrogé le 22 mai, le ministère des Affaires étrangères a aussi affirmé qu'"il ne s’agit pas seulement d’une question symbolique ou d’un enjeu de positionnement politique, mais d’un outil diplomatique au service de la solution à deux États vivant côte à côte, en paix et en sécurité". "La France ne considère pas que les conditions étaient à ce jour réunies pour que cette décision ait un impact réel dans ce processus", a ajouté le ministère.

Une décision qui a "peu de conséquences pratiques"

Le professeur Bichara Khader, spécialiste des relations euro-arabes, définit dans L'Écho la reconnaissance d'un État comme "un acte libre par lequel un ou plusieurs États constatent l’existence sur un territoire déterminé d’une société humaine politiquement organisée, indépendante de tout autre État existant, capable d’observer les prescriptions du droit international et manifestant en conséquence leur volonté de la considérer comme membre de la communauté internationale".

L'État de Palestine est désormais reconnu par 147 des 193 États membres de l'ONU, selon des chiffres donnés par le ministère des Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne. La plupart des pays d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord, l'Australie, le Japon ou encore la Corée du Sud sont absents de cette liste.

Une telle reconnaissance a "assez peu de conséquences pratiques", explique Michel Liegeois, professeur de relations internationales à l'université catholique de Louvain, à BFMTV.com. La Palestine dispose par exemple déjà d'une représentation diplomatique en France, la Mission de Palestine en France, qui est traitée "pratiquement comme une ambassade", souligne-t-il.

Au niveau des organisations internationales, les décisions se prennent indépendamment de la décision des pays de reconnaître ou non un État. À l'ONU par exemple, la Palestine a un statut d’État observateur, rehaussé par un vote de l'Assemblée générale le 10 mai. Cela signifie que la Palestine n’a pas le droit de vote à l’Assemblée générale ni le droit de présenter sa candidature aux organes de l’ONU, mais qu'elle peut notamment déposer des propositions et des amendements.

Un geste "essentiellement politique"

Aussi, reconnaître un État palestinien est "un geste essentiellement politique", pour Michel Liegeois. "La reconnaissance d'un État repose en principe sur des éléments concrets", développe le chercheur: "une population", "une autorité politique unique" et "un territoire bien défini". Ces deux derniers points sont "plus compliqués" concernant la Palestine, qui dispose d'une Autorité qui ne s'exerce que sur certaines parties de la Cisjordanie et dont une partie du territoire est colonisée par Israël.

Aussi, aujourd'hui "quand on décide de reconnaître un État palestinien, on ne reconnaît pas un État palestinien qui existe déjà, on reconnaît la légitimité de l'aspiration du peuple palestinien à avoir un jour un État", estime Michel Liegeois. Prendre cette décision aujourd'hui équivaut donc à dire sa volonté de "relancer un processus pour aboutir à une solution à deux États", pour le spécialiste des relations internationales.

Venant de la France, ce geste serait également significatif puisque jusqu'alors, peu de pays d'Europe occidentale ont reconnu l'existence d'un État palestinien. "Si la France s'engageait dans ce mouvement, ça pourrait avoir un effet d'entraînement sur d'autres pays", juge Michel Liegeois.

Israël accuse l'Espagne de décerner "un prix au Hamas"

Cette décision n'est toutefois pas anodine dans un contexte de conflit entre Israël et le Hamas depuis le 7 octobre. Ce jour-là, des commandos du mouvement islamiste palestinien infiltrés depuis la bande de Gaza ont attaqué le sud d'Israël, entraînant la mort de plus de 1.189 personnes, majoritairement des civils, selon un nouveau décompte réalisé mardi par l'AFP à partir des derniers chiffres officiels disponibles.

Sur les 252 personnes emmenées comme otages, 121 sont toujours détenues à Gaza, dont 37 sont mortes selon l'armée israélienne. En représailles, Israël a promis d'anéantir le Hamas et lancé une offensive qui a fait au moins 36.096 morts, en majorité des civils, selon des données du ministère de la Santé de l'administration du Hamas, au pouvoir à Gaza depuis 2007.

Que la France reconnaisse un État palestinien serait "très mal vécu à Tel-Aviv", anticipe Michel Liegeois. Le ministre israélien des Affaires étrangères Israël Katz a ainsi pris lundi des "mesures punitives" à l'encontre du consulat d'Espagne à Jérusalem. "Nous ne tolérons pas que l'on porte atteinte à la souveraineté et à la sécurité d'Israël", a-t-il dit, en accusant l'Espagne de décerner "un prix au Hamas".

Israël Katz a aussi mis en ligne dimanche sur le réseau social X une vidéo associant des images de l'attaque du 7 octobre avec d'autres de danseurs de flamenco, en affirmant que le Hamas disait "merci pour (ses) services" à Pedro Sánchez. Une vidéo qualifiée de "scandaleuse et d'abominable" par son homologue espagnol, José Manuel Albares.

De son côté, la France semble toujours peser les enjeux d'un tel geste. Interrogé à l'Assemblée ce mardi, le Premier ministre a esquivé la question. "Oui ou non, le gouvernement français va-t-il enfin reconnaître l'État de Palestine?", a demandé la cheffe de file des députés écologistes Cyrielle Châtelain. Gabriel Attal n'a pas répondu, disant seulement chercher "une solution politique durable".

Article original publié sur BFMTV.com