Ce rapport décrit un système de crèches « à bout de souffle », sans mettre en cause le secteur privé

Le projet de rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les crèches est critiqué par l’opposition et les professionnels de la petite enfance.

CRÈCHES - Le constat est sans appel. Le système des crèches est « à bout de souffle », estime la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le sujet, dont le projet de rapport est soumis au vote des députés ce lundi 27 mai. Cette commission avait pour objectif d’enquêter sur le modèle économique des crèches et la qualité d’accueil du jeune enfant.

Les enfants ont aussi une vie privée et la respecter, c’est leur « apprendre le consentement »

C’est avec ces mots que sa rapporteure, la députée Renaissance Sarah Tanzilli, résume la situation dans le projet de rapport : « Complexité kafkaïenne, sous-financement chronique, insatisfaction des usagers et des personnels, multiplication des dérogations : le système d’accueil des jeunes enfants en crèche est à bout de souffle. »

Si ce constat est implacable, l’implication des crèches privées dans les défaillances du système n’est pas mise en avant par le rapport. « Les travaux ont démontré que les défaillances identifiées n’étaient pas la conséquence de l’ouverture du secteur des crèches au secteur privé ou de l’influence des fonds d’investissement », estime l’élue du Rhône à l’AFP. « C’est le modèle économique et les règles de fonctionnement des crèches qui ont contribué à établir un cercle vicieux de la défaillance », explique-t-elle.

Selon l’élue, les auditions ont montré que « les fonds d’investissement n’ont pas un modèle basé sur la rentabilité à court terme ou le versement de dividendes à leurs actionnaires ». « Le modèle économique de ces fonds inclut la qualité d’accueil pour pouvoir croître », observe-t-elle, soulignant les déboires du groupe privé People & Baby depuis la mort d’un enfant dans une microcrèche à Lyon en 2022.

Selon elle, des problèmes liés à la qualité d’accueil s’observent partout, dans le privé (un quart des quelque 500 000 places) comme dans le public (la moitié) ou l’associatif (un quart).

Or, après la parution en septembre de deux livres-enquêtes mettant en cause les crèches privéesLe Prix du berceau et Babyzness –, c’est LFI qui avait obtenu, en novembre, contre l’avis des groupes LR et Renaissance, la création de cette commission d’enquête. Le poste de président est revenu à un député LR Thibault Bazin, et celui de rapporteure à Sarah Tanzilli.

Le député LFI William Martinet, vice-président de la commission, a indiqué qu’il publierait un contre-rapport. Pour lui, bien au contraire, « les travaux ont fait la démonstration des effets néfastes des crèches privées lucratives » : 93 % des 26 fermetures administratives de crèches ont eu lieu chez des gestionnaires privés lucratifs, a-t-il indiqué dans une conférence de presse jeudi 23 mai.

C’est également l’avis du Syndicat national des professionnel·le·s de la petite enfance (SNPPE), qui a réagi dans un communiqué : « Contrairement aux affirmations de la rapporteure, l’introduction du secteur privé lucratif a exacerbé les problèmes systémiques en augmentant le nombre d’enfants pris en charge avec moins de professionnel·les qualifié·es », estime le syndicat.

Si l’organisation reconnaît que « la marchandisation du secteur de la petite enfance n’est pas la cause unique des défaillances » – elle évoque aussi notamment l’embauche de personnels non qualifiés pour parer la pénurie de main-d’œuvre –, l’implication du secteur marchand dans la petite enfance « soulève des préoccupations légitimes ». « On laisse le privé lucratif continuer à s’enrichir sur le dos des enfants et des professionnel·les, ce qui est inacceptable. »

Les crèches privées ont fourni 90% des nouvelles places en dix ans. « Le rapport démontre que le secteur privé n’est pas responsable de la dégradation de la qualité d’accueil et que l’ensemble des crèches ont besoin d’une reforme globale du subventionnement public », s’est réjouie la FFEC, la Fédération française des entreprises de crèches (privées).

Un « cercle vicieux de la défaillance » est reconnu dans le rapport qui admet que, face au manque de personnel, les pouvoirs publics ont « allégé les taux d’encadrement ». Ce qui a dégradé les conditions de travail des professionnelles et les a poussées à quitter le métier. Avec, in fine, moins de berceaux : 10 000 places sont « gelées » en France faute de personnel.

Parmi les pistes envisagées, la rapporteure préconise de ramener le taux d’encadrement à un adulte pour 5 enfants (1 pour 6 actuellement) d’ici 2027, pour permettre aux professionnels de bien faire leur travail et attirer des vocations, puis à un professionnel pour 4 enfants d’ici 2030.

La rapporteure propose en outre de supprimer le mécanisme de réservation de berceaux par les employeurs, qui crée un « coupe-file » pour leurs employés. Dans une logique de service public de la petite enfance, la commune doit devenir selon elle l’interlocuteur unique des parents, soutenue par un « versement petite enfance » imposé aux employeurs.

Si le SNPPE reconnaît que ces recommandations « relèvent du bon sens », il interroge la manière dont elles pourraient être mises en œuvre et les moyens financiers mobilisés pour y parvenir. « Cette proposition [ndlr, ramener le taux d’encadrement à 1 adulte pour 5 enfants puis 1 pour 4] semble être un effet d’annonce, car il est bien connu que cet objectif est irréaliste. Que fera-t-on alors ? Rien pour les professionnel·les, à part introduire une carte professionnelle. Pendant ce temps, le secteur privé lucratif continue à faire des profits considérables au détriment des enfants », conclut-il.

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