Rachida Brakni en cinq mots

Actrice, metteur en scène, épouse d'Eric Cantona, Rachida Brakni est à l'affiche de La Ligne droite, de Régis Wargnier. =Solidarité= "Le scénario de La Ligne droite(sortie prévue ce 9 mars) m'a passionnée pour son message humain: l'idée que chacun de nous puisse se reconstruire à travers l'autre. Ce film raconte l'histoire de deux accidentés de la vie, un homme et une femme en mille morceaux. Lui, Yannick (Cyril Descours), est un jeune athlète qui a perdu la vue dans un accident de voiture et vit dans un état de rébellion contre tout et tous. Leïla, mon personnage, est une ancienne athlète qui sort de prison et doit, comme lui, réapprendre à vivre malgré tout... Leïla devient le guide de Yannick: elle court avec lui, attachée à sa main par un fil, l'accompagne dans tous ses entraînements. Petit à petit, ces deux êtres dévoilent leurs fêlures, trouvent ensemble une façon de s'en sortir. C'est une belle métaphore de la vie. Je me suis reconnue dans mon personnage: adolescente, je faisais du sprint. J'étais classée en national et j'espérais en faire mon métier. Je me destinais au 400 mètres haies, une épreuve maîtresse de l'athlétisme, mais mon corps n'a pas suivi... Je suis devenue actrice. J'ai aussi aimé jouer dans ce film -au côté d'athlètes handicapés- parce qu'il dévoile à quel point le statut d'"invalide" fait peur à la société française. On ne montre quasi pas les épreuves d'athlétisme handisport à la télé, comme si cela nous horrifiait... On ne crée pas de structures pour ces personnes, alors que, dans des Etats comme le Canada, tout est pensé et conçu pour eux." =Racines= "Je suis née en France de parents algériens: ma mère est d'Oran et mon père, de Tipaza. Quand j'étais gamine, je parlais arabe à la maison et français à l'école. J'ai toujours passé mes vacances en Algérie, même si, aujourd'hui, j'ai moins le temps d'y aller. Tout me manque de là-bas: l'odeur, les fruits gorgés de soleil, la nonchalance, cette joie de vivre que j'adore... Je ne supporte pas que l'on me demande si je me sens plus française ou algérienne. C'est comme si je devais choisir entre deux identités! Comme si je devais dire qui je préfère entre mes deux chanteurs préférés - Alain Bashung et Cheikha Rimitti - entre deux langues que j'adore. Ça n'a aucun sens! Par ailleurs, il m'est souvent arrivé d'entendre mieux parler la langue de Molière en Algérie qu'en France: mes amis d'Oran utilisent encore l'imparfait du subjonctif ou des mots qui sont devenus désuets ici. Ces paradoxes font réfléchir." =Comédie-Française= "J'ai été pensionnaire de la Comédie-Française, de 2001 à 2004. Je garde des images, des sensations extraordinaires du Français: je repense à toutes ces couturières qui repassaient les collerettes des costumes avec de vieux fers en fonte, à ces petites mains qui s'affairaient autour de moi comme si j'étais une princesse... Je me souviens aussi de la joie que j'ai éprouvée quand j'ai reçu le molière pour mon interprétation dans Ruy Blas, de Victor Hugo. J'ai quitté la Comédie-Française pour d'autres expériences : en 2004, je suis partie sept mois dans le désert du Maroc pour tourner dans L'Enfant endormi, de Yasmine Kassari. Mais le théâtre reste ma grande passion. L'année dernière, j'ai mis en scène Face au paradis, avec Lorànt Deutsch et "mon homme", Eric Cantona. Et j'espère bientôt jouer dans Sophonisbe, de Corneille, sous la direction de Brigitte Jaques." =Quartiers= "J'ai grandi dans une cité, à Athis-Mons (Essonne). J'ai le souvenir d'une cohabitation heureuse entre les communautés. Il y avait des Algériens, des Italiens, des Français pure souche... On se parlait à la fenêtre, les enfants jouaient tous ensemble. Je ne nie pas la violence qui règne dans certains quartiers, mais je ne supporte pas la vision étriquée que donnent aujourd'hui les médias de la banlieue. Ce ton tragique, cette voix grave que prennent les présentateurs de la télé quand ils parlent d'endroits qu'ils ne connaissent souvent pas. Je préfère jouer dans des films comme Neuilly sa mère! de Gabriel Julien-Laferrière -l'histoire d'un jeune arraché à la banlieue où il vivait heureux, pour s'adapter à l'univers hostile et doré de Neuilly-sur-Seine- qui montre la rencontre entre deux cultures. Et je m'indigne quand je réalise que, pour beaucoup de gens, la seule façon pour un jeune de se sortir de la banlieue serait de devenir footballeur ou rappeur: c'est le même message réducteur que l'on destinait aux Noirs américains. Je crois que la seule solution serait de démolir cette enceinte matérielle, mais aussi invisible, qui entoure Paris, de jeter les clichés à la poubelle et d'apprendre à cohabiter avec d'autres cultures." =Féminisme= "Après le bac, j'ai entrepris des études de droit: je voulais devenir avocate et m'investir dans le social. J'ai pris un autre chemin, mais j'ai toujours conçu mon métier de comédienne comme une possibilité de rendre compte de l'actualité et du monde dans lequel je vis. Je me sens concernée par le respect des droits de la femme, et c'est aussi pour cela que j'ai joué dans Les Bureaux de Dieu, de Claire Simon, un film sur le Planning familial. Je m'insurge quand je constate que, en France, de plus en plus de ces lieux ferment, que les pouvoirs publics leur apportent si peu d'aide! Je pense à nos mères qui se sont battues pour ce droit fondamental: disposer de son corps comme on l'entend. Nous sommes loin de l'égalité des sexes; je remarque, au contraire, une régression dans la vision de la femme, de plus en plus réduite au statut de femme-objet, surtout à la télé. C'est une image qui, pour moi, n'est pas moins dégradante qu'un voile... Je suis une féministe moderne: je n'aime pas les idéologies extrêmes et communautaristes qui mènent à un combat entre hommes et femmes. Je préfère participer à des campagnes d'information, comme quand, en 2009, j'ai posé seins nus pour inciter les femmes à passer des mammographies dans le cadre du dépistage du cancer."