Sur la réforme des retraites plane à nouveau l’ombre du 49-3

POLITIQUE - Disons-le d’emblée, ce n’était pas le scénario privilégié par l’exécutif. Et même s’il revient sur la table ce jeudi, il espère l’éviter. Les yeux doux aux Républicains et les nombreux rendez-vous à Matignon en amont de la réforme des retraites visaient justement à chasser le fantôme du 49-3. Cet outil constitutionnel perçu comme brutal, permettant de « passer en force » sur un projet tout autant perçu comme brutal par ses opposants.

Prudence étant mère de sûreté, Élisabeth Borne s’était quand même gardé cet atout dans la manche. En réformant via le Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), la Première ministre se gardait en réalité la possibilité de dégainer ce fameux article. S’agissant d’un texte budgétaire, le gouvernement peut recourir à cet outil sans entamer son « stock » d’utilisations autorisées, limité à un usage d’un 49-3 par session parlementaire.

Durant les premières semaines, et après avoir topé avec les chefs à plumes des Républicains, la Macronie pensait être à l’abri de cette hypothèse, qui jetterait de l’huile sur le feu de la contestation. Or, plus le temps avance, moins le soutien des élus LR semble acquis. Même au Sénat, où les troupes de Bruno Retailleau sont censées être bien plus en phase avec le gouvernement que celles d’Olivier Marleix à l’Assemblée, la droite ne vote pas comme un seul homme.

« Ils ne feront pas le plein chez LR »

Dans la soirée du mercredi 8 au jeudi 9 mars, 15 sénateurs LR se sont abstenus sur l’article 7 de la réforme, celui instaurant le report de l’âge légal à 64 ans. Deux ont même voté contre. Si autant de voix manquent dans un groupe de sénateurs perçu comme discipliné, le soutien des députés LR (publiquement divisés sur le texte) paraît alors bien compliqué. D’autant que des voix centristes, certaines venant de Renaissance, manquaient à l’appel.

« Le vote au Sénat hier soir a prouvé qu’ils ne feront pas le plein chez LR et même dans des groupes de la majorité », souffle ce jeudi auprès du HuffPost une source parlementaire socialiste, décrivant le cheminement pouvant conduire au 49-3.

« Le projet de loi risquant en plus d’être encore plus brutal après sa lecture au Sénat qu’avant, je vois mal comment la bande à Pradié et la bande à Pompili voteront ce texte. Ou alors on serait sur l’un des plus gros reniements de la Ve République », poursuit notre interlocuteur, en référence à la vive opposition exprimée par le député LR du Lot et aux réticences assumées par l’ancienne ministre de la Transition écologique.

Résultat : une option 49-3 qui fait son petit bout de chemin dans la sphère politico-médiatique. Et d’ores et déjà agitée comme un chiffon rouge par les opposants à la réforme. « Quelques réticences dans la majorité, plus des réticences assez nombreuses chez certains députés LR, me permettent de vous dire que ça n’est pas gagné pour le gouvernement », a estimé ce jeudi Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, jugeant que le recours au 49-3 constituerait « une démonstration de faiblesse absolument inouïe », qui « en dirait long sur la manière dont ce gouvernement se comporte tant à l’égard du peuple français qu’à l’égard de la représentation nationale ».

Un texte dépourvu de légitimité parlementaire ?

Une hypothèse également brandie en épouvantail par le leader de la CGT Philippe Martinez. « Adopter une telle réforme, qui touche au quotidien des citoyens, de cette façon-là… Ça peut mettre le feu aux poudres », a averti sur France 2 le syndicaliste, dénonçant la « violence » de cette option. Et d’insister : « « Pour les citoyens, c’est une colère qui va grandir (...) dans les mobilisations, dans tout ce qu’on connaît aujourd’hui, et peut-être de façon plus forte », a-t-il prédit.

Auprès de L’Opinion, Bernard Sananès, président de l’institut Elabe, ne dit pas autre chose. Selon lui, le recours à cet outil constitutionnel « pourrait redonner de l’oxygène à une mobilisation déjà très forte ». D’autant que la réforme serait dépourvue de toute légitimité parlementaire, alors que celle-ci est toujours massivement rejetée par les Français.

Reste que la Macronie ne s’interdit rien. « Le 49-3 est une arme constitutionnelle, je rappelle que Rocard l’a utilisé plusieurs dizaines de fois », a défendu sur LCI le président du MoDem François Bayrou. Car en réalité, l’option a toujours été sur la table. Selon Le Monde, les services de l’Élysée se sont assurés que l’avion présidentiel, en marge d’un déplacement en Allemagne à la mi-février, soit équipé d’une connexion sécurisée permettant à Emmanuel Macron d’autoriser Élisabeth Borne à recourir, si besoin, au fameux article.

Notons toutefois que le procédé n’est pas sans risque pour le gouvernement, qui pourrait faire les frais d’une motion de censure, dont l’issue est rendue incertaine par la poignée d’élus LR farouchement opposés à la réforme, lesquels verraient d’un très mauvais œil que la réforme passe de cette façon. Raison pour laquelle certains continuent d’espérer que la réforme passe via un vote au Palais Bourbon. « J’envoie un message très fort au gouvernement et au président de la République, nous voulons voter ce texte », a déclaré ce jeudi Bruno Millienne sur BFMTV, député des Yvelines et porte-parole du MoDem.

Jouer gros dans l’hémicycle en tentant le « passage en force » ou risquer le camouflet en tentant un vote à l’issue incertaine à l’Assemblée nationale : voilà le dilemme que le Première ministre aura à trancher d’ici la semaine prochaine.

À voir également sur Le HuffPost :

Réforme des retraites : la jeunesse se mobilise le 9 mars

Comment Macron ferme la porte à l’intersyndicale, sans l’avouer