La réforme des retraites peut-elle faire tomber le gouvernement d’Élisabeth Borne ?

Élisabeth Borne photographiée le 28 février à l’Assemblée nationale.
Élisabeth Borne photographiée le 28 février à l’Assemblée nationale.

POLITIQUE - « Le gouvernement passera-t-il l’hiver ? », s’interrogeait Le HuffPost à la fin du mois de décembre. À cinq jours de l’arrivée du printemps, la question revient avec insistance au regard du parcours législatif tourmenté de la réforme des retraites portée par Élisabeth Borne. En cause, l’incertitude qui plane autour de l’issue du vote à l’Assemblée nationale prévu jeudi 16 mars, si le texte passe le test de la Commission mixte paritaire mercredi.

Car malgré les nombreuses rencontres avec les patrons des Républicains, la cheffe du gouvernement n’est toujours pas assurée du soutien de la droite, tout en ayant du mal à faire le plein de voix dans les rangs macronistes. Ce qui place Élisabeth Borne face au choix suivant : faut-il tenter le coup d’un vote au Palais Bourbon qui donnerait une légitimité parlementaire à ce texte impopulaire et contesté dans la rue, ou alors choisir le passage en force en utilisant l’article 49-3, s’exposant à une motion de censure risquant de lui être fatale ?

Choix cornélien

Parlementaire d’expérience, voici comment Bruno Retailleau résume la situation dans laquelle se trouve la Première ministre. « Elle va avoir un choix cornélien : c’est la roulette russe ou la grosse Bertha », a analysé vendredi 10 mars sur Sud Radio le patron des sénateurs LR. Soit le dilemme entre une option tant hasardeuse que dangereuse et un scénario qui pourrait provoquer de sérieux dégâts.

Prenons l’option numéro un. Et imaginons que l’Assemblée nationale rejette le texte, infligeant un camouflet à la « mère des réformes » voulue par Emmanuel Macron. La cheffe du gouvernement en ressortirait considérablement fragilisée. D’autant que certains ministres commencent à bruisser en « off » qu’ils verraient bien du changement à Matignon, rapporte L’Express. « Élisabeth Borne ne tient qu’à un fil », reconnaît un cadre de la majorité, convaincu que la Première ministre doit se résoudre à tenter le vote, en dépit d’une défaite qui pourrait lui coûter son maroquin.

« Ils le savent très bien : en l’état actuel, la réforme ne passe pas » - un député LR au HuffPost.

« Le 49-3, dans ce contexte, serait d’une violence inouïe », avertit notre interlocuteur, pourtant soutien de la réforme, considérant que le jeu n’en vaut pas la chandelle : « mieux vaut perdre, être humilié et repartir sur autre chose ». Dans l’hémicycle ce mardi 14 mars, Élisabeth Borne a assuré qu’elle comptait aller au bout. « Une majorité existe, elle n’a pas peur des réformes, même impopulaires, quand elles sont nécessaires », a-t-elle fermement martelé.

« Notez qu’elle ne dit pas qu’elle n’utilisera pas le 49-3… », sourit auprès du HuffPost un député LR plutôt acquis à la réforme, mais qui n’en finit plus d’hésiter sur son vote. « On est dans une guerre de communication. Ils répètent qu’ils veulent une majorité et ils viendront nous dire ensuite qu’ils sont obligés d’utiliser le 49-3. Ils le savent très bien : en l’état actuel, la réforme ne passe pas. Alors ils se préparent au passage en force, en se disant qu’on ne votera pas une motion de censure », analyse cet élu rompu aux intrigues parlementaires.

Une motion de censure fatale ?

Arrive alors l’hypothèse du 49-3 et d’une censure qui, si elle était adoptée, ferait chuter le gouvernement et provoquerait (selon la promesse élyséenne) une dissolution de l’Assemblée. D’un point de vue comptable, il faudrait une trentaine de voix LR pour faire tomber la Première ministre. Officiellement, le groupe de droite ne mange pas de ce pain-là. En conférence de presse, le président du groupe LR Olivier Marleix, hostile à ce scénario, a confirmé que les élus de droite qui voudraient signer la motion transpartisane préparée par le groupe LIOT avaient vocation à siéger ailleurs.

Reste que certains députés LR ne sont pas contre, comme l’a annoncé à Libération le député du Pas-de-Calais Pierre-Henri Dumont. « Je suis prêt à toute possibilité pour faire comprendre au gouvernement que « this is not a method, this is a provocation », a menacé le jeune parlementaire, citant Chirac. Pas impressionné non plus, son collègue Pierre Cordier (apparenté au groupe de droite) : « S’il y a vingt députés qui signent la motion de censure, cela va être compliqué d’exclure les vingt députés en question », a déclaré le député des Ardennes sur LCP, qui n’exclut pas de se joindre à l’initiative envisagée par le député LIOT Charles-de-Courson et de voter la motion de censure.

De quoi sceller le sort de la Première ministre ? Un député LR, souhaitant garder l’anonymat, n’y croit pas. « Il n’y aura jamais trente élus de chez nous pour voter la motion de censure. En revanche, ce sera le gouvernement seul qui sera comptable du 49-3 devant les Français. Bonne chance avec ça », pronostique notre interlocuteur.

« Elle peut tenir »

Se profile enfin l’autre inconnue de la séquence : les conséquences politiques de l’usage de cet article controversé dans le contexte explosif d’une réforme jugée injuste par une large majorité de Français. Ce qui pourrait déboucher sur un remaniement, histoire de clore la séquence et redonner de l’oxygène au chef de l’État.

« Il ne faut pas sous-estimer l’effet Cresson » - un conseiller ministériel, au HuffPost.

« S’ils décident d’aller au 49-3, c’est Macron qui sera fragilisé », craint un cadre de la majorité, qui se passerait bien du signal envoyé par une fin de bail anticipé pour Élisabeth Borne, dont le départ acterait un passage aussi court à Matignon que celui d’Édith Cresson (10 mois, en 1991-1992, ndlr). Un argument repris de bon cœur par un influent conseiller ministériel : « Il ne faut pas sous-estimer l’effet Cresson. Emmanuel Macron qui n’aime pas prendre de décisions sous la pression, encore moins quand il s’agit de ressources humaines, pourrait avoir envie d’attendre un peu avant de changer de personne », prédit ce fin connaisseur de la politique.

À l’Élysée, on se mure dans le silence. Emmanuel Macron a laissé entendre lundi qu’il avait « une majorité » pour faire passer la réforme. Une majorité qui reste à trouver jeudi 16 mars si le texte arrive dans les deux chambres pour un vote définitif après la version de la commission mixte paritaire. C’est de ces deux jours décisifs dont découlera sa décision de conserver ou non Élisabeth Borne à Matignon. Comme le résumait un député du MoDem mardi, « lui seul a la clé ».

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