Référendum en Nouvelle-Calédonie: si le "oui" l'emporte, ce que la France perdra

OUTRE-MER - 16.000 km de distance, 24 heures de vol. Bienvenue dans une relation longue distance entre la France et la Nouvelle-Calédonie. Entre l’éloignement géographique et le statut autonome unique de l’archipel, il y a de quoi se demander ce qui les rassemble encore. Les Calédoniens jugent ce dimanche 12 décembre si le jeu en vaut la chandelle. À Paris, on sait déjà qu’une rupture serait douloureuse.

La position officielle du gouvernement sur la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie est claire: neutralité et respect de la décision des Calédoniens, quelle qu’elle soit ce dimanche. Mais malgré ce devoir de réserve, il est facile de lire entre les lignes. “La France ne serait pas la même sans la Nouvelle-Calédonie”, a ainsi déclaré Emmanuel Macron en visite à Nouméa en mai 2018 avant le premier référendum.

À l’heure du troisième et dernier vote pour l’accession à la “pleine souveraineté” selon la formule consacrée, l’exécutif reste de marbre et se cantonne à son rôle d’organisateur des scrutins. Au ministère des outre-mer, on ne se prononce pas sur une potentielle allocution présidentielle ou ministérielle à la lecture des résultats. Pourtant, on se prépare depuis des mois au “jour d’après”. Tous les scénarios ont été envisagés, une victoire du “non” comme du “oui”, car comme le répète l’entourage de Sébastien Lecornu, “le ‘oui’ ne vaut pas le ‘non’”.

Dans tous les cas, la “question de la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie et du lien de celle-ci avec la France” est considérée comme “centrale”, selon les termes du communiqué du ministère des outre-mer, à l’issue d’une session de travail en juin 2021 avec les élus calédoniens.

La puissance maritime dans le Pacifique

10,2 millions de kilomètres carrés d’espaces maritimes, répartis sur tous les océans, permettent à la France d’être la deuxième puissance maritime mondiale. 1,4 million de kilomètres carrés reviennent directement à la Nouvelle-Calédonie, qui assure (avec Wallis-et-Futuna et la Polynésie française) la présence bleu-blanc-rouge dans le Pacifique.

Grâce à l’archipel, la France peut se vanter d’avoir une frontière -maritime- avec l’Australie. Un point crucial pour Emmanuel Macron, qui a misé dès le début de son mandat sur “l’axe Paris-New Delhi-Canberra (qui) se prolonge de Papeete à Nouméa”. Devant les Calédoniens après quelques jours en Australie en mai 2018, le président a défendu son “ambition géostratégique”.

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Il se réjouissait alors d’avoir signé le “contrat du siècle”: la vente d’une douzaine de sous-marins à l’Australie. Trois ans plus tard, le contrat est tombé à l’eau. Et la colère palpable côté français. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian est sorti de sa réserve habituelle pour dénoncer “la duplicité” des Australiens, l’ambassadeur français à Canberra a été brièvement rappelé et Emmanuel Macron a publiquement accusé le Premier ministre australien de lui avoir menti.

Depuis, les tensions se sont apaisées, au moins en surface. Et le président de la République a assuré que ce revers ne changeait “en rien la stratégie indopacifique de la France”.

Elle ne se limite pas au commerce. La France mise aussi sur le sécuritaire pour se faire une place dans la zone. Elle participe ainsi depuis 2018 à un dispositif de contrôles des sanctions onusiennes à l’encontre de la Corée du Nord. Une façon “de contribuer la crédibilité de la France comme puissance, même secondaire, du Pacifique”, décrypte pour l’AFP Hugo Decis, analyste à l’Institut international d’études stratégiques de Londres.

“L’ogre chinois” appâté par le nickel

La “puissance” de la France est plus que jamais cruciale dans la région. En face, il y a Pékin, “l’ogre chinois”, comme l’a qualifié le député Calédonie ensemble/UDI Philippe Gomès. “La Chine a tissé progressivement sa toile et force est de constater qu’elle a aujourd’hui une mainmise sur l’arc mélanésien”, (zone au nord-est de l’Australie, de la Papouasie-Nouvelle Guinée aux Fidji, NDLR), déclarait-il à l’AFP en novembre.

L’intérêt de Pékin pour la Nouvelle-Calédonie tient en un mot: nickel. L’archipel abrite environ 25% des réserves mondiales de ce minerai, utilisé pour fabriquer l’acier inoxydable et les batteries des voitures électriques. Un marché en pleine expansion et dont le leader mondial n’est autre... qu’une entreprise chinoise.

Interrogé par l’AFP sur ses ambitions insulaires, le ministère chinois des Affaires étrangères a refusé d’évoquer le sujet. Zhao Shaofeng, directeur du Centre de recherche sur les îles du Pacifique à l’Université de Liaocheng (dont l’une des missions est de créer du lien entre la Chine et les îles de la région) concède simplement que l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie pourrait dynamiser un “commerce bilatéral” déjà florissant.

Le risque est dans tous les esprits côté français. Avant le début du processus de référendum, Emmanuel Macron avait évoqué à Nouméa “la Chine qui en train de construire son hégémonie”, hégémonie susceptible de “réduire nos libertés, nos opportunités” si elle se faisait sans accords avec d’autres partenaires - sous-entendu, la France.

“Ni naïveté ni agressivité”

Au ministère des Outre-mer, on note que “l’influence de la République Populaire de Chine dans la région est similaire à ce qu’elle a pratiqué en Afrique”, à savoir “une insertion économique via des emprunts consentis”. Et on rappelle au passage que le FLNKS -principal parti indépendantiste - fait partie du groupe régional du “Fer de lance mélanésien” dont le siège flambant neuf à Port Villa a été offert par Pékin.

À la veille du référendum, la parole officielle prône le diplomatiquement correct: “ni naïveté ni agressivité” envers la Chine. Et on préfère miser sur la bonne entente avec les Calédoniens. En cas de victoire du “oui”, la “recherche sincère d’un partenariat avec la France” figure parmi les sujets qui seront évoqués, même “sans garantie de réussite”, précise le document de travail commun aux représentants français et calédoniens. Dans les faits, les élus calédoniens seront aux manettes, et ils choisiront ce que leur intérêt leur dicte.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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