Le récit du coach de l’équipe de France U20 de lutte libre, rescapée du séisme en Turquie

Photo d'un bâtiment effondré à Diyarbakir, en Turquie, après deux séismes, le 6 février 2023 - ILYAS AKENGIN / AFP
Photo d'un bâtiment effondré à Diyarbakir, en Turquie, après deux séismes, le 6 février 2023 - ILYAS AKENGIN / AFP

Luca Lampis, refaites-nous le film du tremblement de terre ?

Ça s’est passé dans la nuit de dimanche à lundi. On était à Kahramanmaras en plein milieu de ce terrible tremblement de terre. On était à l’hôtel, en pleine nuit, à attendre le départ le lendemain matin. On était en sommeil profond. Il était 4h30 du matin, on était tranquille, paisibles, dans nos lits.

Avez-vous senti rapidement la gravité de la situation ?

Grave ? Non car on ne se rend pas compte mais on voit qu’il y a un problème, un grave problème et qu’il faut vite bouger de là. Le niveau du tremblement ou le dommage que ça pouvait causer, on était à des années-lumière de se rendre compte de quoi que ce soit. D’un coup, tout s’est mis à bouger. Ça a bougé très fort dans un bruit assourdissant. Il faut vite se réveiller pour réagir et se dire qu’il faut sortie de là. Les murs vibraient, le carrelage tombait de partout. Je sors de ma chambre. Trois jeunes étaient dans la chambre en face de la mienne. Je dis "on sort de là, tout le monde dehors" Tout ça dans la précipitation. On s’habille rapidement et on se sauve. On prend l’escalier, des armoires bloquent. On se dépêche et on descend. Pour nous, ce n’était qu’un tremblement de terre. On pense alors "On va faire attention, ça bouge, on sort voir ce qu’il se passe et on remontera dans nos chambres." Voilà ce qu’on disait. Arrivé dehors, on récupère le groupe, tout le monde est là. Il pleuvait, neigeait, je demande à chacun s’il a ses affaires car il faisait vraiment froid. Certains étaient descendus pieds nus. On regarde un peu autour de nous et voit les bâtiments qui sont par terre. Là, on dit "je crois qu’on ne va pas remonter tout de suite." C’était nuit noire. Même si on voit des bâtiments par terre, on ne se rend pas compte. On n’imaginait pas que l’immeuble de neuf étages en face de nous ne fasse plus qu’un étage à peine. On ne pensait pas à ça. La priorité était de s’occuper de nos gars. On les récupère, tout le monde va bien. On se partage les affaires et on attend de voir ce qui se passe.

Rien ne peut préparer à ça…

Non, personne ne l’est. En y repensant, en en reparlant avec les jeunes, on se dit que le bâtiment, quand il tanguait, décidait s’il allait tomber ou pas. On peut être qui on veut, là, on n’est plus personne.

Votre chance, c’est que votre hôtel ait tenu...

Oui. Quand on voit tout ça on se dit qu’on a de la chance. Les autres bâtiments sont par terre, le nôtre est debout. Il est resté debout. On a pu en sortir. Pendant les quelques heures après, on a pu un peu rester dans le hall de l’hôtel voisin. Dans le nôtre, c’était impossible car il y avait de l’eau partout. Je pense que des canalisations avaient rompu. On s’est réfugié devant les portes de l’hôtel d’à-côté jusqu’à qu’on puisse être évacué. On est resté dans le hall d’hôtel, près des portes au cas où ça re-tremblait. Parfois, on a ressenti d’autres secousses, on se dépêchaient alors de ressortir. On a appris peu de temps après notre départ que ces deux hôtels sont tombés.

En tant que coach, vous avez essayé de rester solide, de ne pas montrer vos émotions, parce que vous êtes le leader auprès des jeunes ?

Oui parce si nous on panique, il n’y a pas de raison que les jeunes ne paniquent pas. On ne comprend pas tout et on ne se rend pas compte de l’ampleur de la catastrophe. On était loin d’imaginer le drame que ça a pu être. On gère comme on peut. La peur c’était "comment on va partir de là, faut qu’on se barre !" Comment on va faire ? On ne bouge pas, personne ne s’éloigne, on se met en sécurité et on se démerde pour trouver une solution.

Les jeunes se sont bien comportés ?

Oui. C’est ce qu’on leur a dit. Le plus jeune a 17 ans, le plus vieux à peine 19 ans. Ils sont restés calmes. Ils ont écouté. Personne n’a paniqué. Heureusement, on n’a pas eu à gérer un des jeunes qui puisse être mal. Pour nous c’était facile. Je leur ai dit d’écrire à leur famille pour dire que tout le monde allait bien. Une heure ou deux après l’événement les infos tournent. Ils ont écouté. Ils se sont mis dans un coin. On a essayé de récupérer les affaires de tout le monde. Les jeunes ont été solides, on peut le dire. Même s’ils étaient curieux de voir ce qui se passait au dehors, on a essayé de les préserver un maximum, de les garder un peu loin de tout ça. Les jeunes ont vraiment été bien, solides et courageux.

Assez vite, tout a pu s’organiser pour que vous puissiez rentrer en France ?

Pour nous, c’était long mais en y réfléchissant ça a été très rapide. On a été pris en main par la fédération turque de lutte. Je leur dis merci. Pendant un long moment de leur vie on pourra leur dire merci. Ils avaient beaucoup de choses à gérer. Ils ont subi des dommages bien plus importants que les nôtres et pourtant ils sont venus nous chercher, nous et l’équipe ouzbeke. Ils nous ont évacués de là rapidement en direction de Adana. De notre côté, on évaluait les options qu’on avait pour rentrer en France. On communiquait avec eux. A un moment, ils nous ont trouvé un bus. "Allez-là, le bus vous accueille et on vous emmène." Ils sont venus nous chercher à 50m de l’hôtel où on était. On s’est entassé dans un pick-up qui nous a emmenés dans une gare routière. On a pris deux bus pour Adana où il y avait l’espoir de prendre un avion. On a vu qu’on n’aurait aucun vol. On est allé à Adana puis un autre autobus jusqu’à Ankara grâce à la fédération turque.

A quoi pense-t-on quand on attend les secours ?

On pense à rassurer. La première chose que j’ai faite l’autre soir, c’est envoyer un message à ma femme : "il y a un tremblement de terre, ne t’en fais pas, je vais bien, je m’occupe de ce que je dois faire ici." C’était la priorité de rassurer. J’ai dit la même chose aux jeunes. On est en plein milieu du séisme mais on va bien. Puis on pense à ce qu’on peut faire pour aider. Malheureusement on ne peut pas faire grand-chose. On voit des gens qui courent vers des débris. On essaye de donner un coup de main. L’essentiel c’est de garder le groupe. Au début on ne sait pas si un athlète n’est pas un peu plus stressé. Une fois qu’on est dans l’attente, on regarde le jour se lever, on voit les dégâts et on se demande ce que l’on peut faire.

Vous avez essayé d’aider les locaux ?

Aider est un bien grand mot. On s’avance mais on ne sait pas quoi faire. J’ai vu des gens pleurer mais il y a la barrière de la langue. Les Turcs hésitaient à monter sur les bâtiments écroulés. On est allé récupérer des bouteilles d’eau, des couvertures pour aider les gens dans le froid.

Vous êtes resté un peu plus longtemps en Turquie à cause d’un problème administratif avec un athlète ?

Oui. On a eu un petit problème de papier. C’était la deuxième couche (rires). A l’aéroport, l’athlète ne pouvait pas monter dans l’avion. Je ne pouvais pas le laisser tout seul alors je suis resté avec lui. Les services de l’ambassade de France nous ont bien aidés et ont réussi à nous faire avoir tous les documents qu’il fallait et on a pu repartir le lendemain.

Avez-vous demandé aux athlètes d’aller voir la cellule psychologique ?

Avec mon collègue on a voulu se poser avec les athlètes en arrivant à l’aéroport en Turquie. Après avoir enregistré les bagages, on a voulu parler aux jeunes pour les remercier d’être restés solides et attentifs à la situation. Mais aussi pour leur parler de la cellule psychologique mise en place par la fédé pour les accompagner en cas de besoin. On leur demande d’avoir une première discussion avec une personne de la cellule. Et s’ils en ressentent le besoin de ne pas hésiter à parler, de vider son sac.

C’est le genre de moment qui soude un groupe.

C’est sûr qu’on s’en rappellera. On a vécu quelque chose tous ensemble qui forme la jeunesse et les plus vieux aussi (rires).

Article original publié sur BFMTV.com